Entre contraintes juridiques et opérationnelles et difficultés pratiques à quitter la Russie, le point sur la situation des sociétés françaises qui cherchent encore à sortir du marché russe.
Toutes les sociétés originaires de pays considérés comme « inamicaux » par le Kremlin font face à des difficultés similaires depuis le début de la guerre. Mais la spécificité de la situation des entreprises tricolores tient à leur forte présence sur le marché russe avant le début de la guerre en Ukraine. « Les sociétés françaises étaient toujours dans le peloton de tête des investisseurs, elles occupaient la première ou la deuxième place selon les années », rappelle Catherine Joffroy, avocate associée du cabinet Dentons Europe à Paris et responsable de la commission ouverte internationale Russie de l’ordre des avocats de Paris. « La France est le pays qui a le plus perdu en termes d’investissements, au fil des sanctions. »
Les très nombreuses mesures restrictives prises par l’Union européenne ont conduit bon nombre d’entreprises étrangères à quitter le pays ou à mettre fin à leurs échanges avec la Russie. « Du fait des sanctions, beaucoup d’entreprises européennes se sont retrouvées face à l’impossibilité juridique de continuer à travailler et commercer avec les entreprises russes », souligne l’avocate. C’est le cas des sociétés qui fabriquent ou commercialisent des marchandises à double usage, civil et militaire, par exemple – le secteur de l’aéronautique a ainsi été particulièrement touché. Mais beaucoup d’autres activités et entités entrent dans le champ des mesures restrictives, qui n’a de cesse de s’étendre depuis 2022.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
En parallèle, « certaines entreprises n’ont pas eu d’autre choix que de partir parce que les conditions sur place ne permettent presque plus de continuer à travailler normalement ». Beaucoup de départs ne sont ainsi pas directement liés aux sanctions mais aux contraintes opérationnelles induites par ces dernières, à commencer par des difficultés d’approvisionnement ou de financement. Pas moins de 15 paquets de sanctions ont été adoptés par l’UE depuis février 2022 (y compris celles adoptées en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée). Chaque paquet est venu étendre le champ d’application des précédents, en ciblant de nouvelles activités et de nouvelles personnes et entités et en instaurant de nouveaux types de restrictions.
Plutôt que de tout abandonner, un certain nombre de sociétés ont fait le choix de mettre leurs activités en sommeil. « Il s’agit essentiellement de sociétés qui n’ont pas beaucoup d’actifs sur place. Elles ont fait le choix de se mettre en sommeil en résiliant la plupart de leurs contrats et en se séparant de leurs salariés, tout en gardant un dirigeant qui n’est pas forcément une personne physique mais qui peut être une société de gestion russe. » D’autres ne veulent pas partir et poursuivent leurs activités. « C’est le cas dans les secteurs qui, à ce jour, ne sont pas visés par les sanctions européennes et les contre-sanctions russes – tels que l’industrie pharmaceutique, les produits agricoles et alimentaires. Ces secteurs sont quand même impactés car les banques russes et européennes sont de plus en plus frileuses. Mais les entreprises ne veulent pas partir car elles réalisent des profits substantiels. »
Reste qu’un certain nombre d’entreprises étrangères ont pris la décision de quitter le marché russe, devenu trop risqué sur le plan économique et juridique, ainsi que réputationnel. Accusées de contribuer à la machine de guerre russe (via leurs impôts, la mobilisation de leur personnel ou des réquisitions), les sociétés qui poursuivent leurs activités dans ou avec le pays subissent en effet les pressions de l’opinion publique et de Kiev, qui les exhortent à quitter le pays et lancent des appels au boycott. Sans oublier les risques de mise en cause pour complicité de crimes de guerre, comme celle dont a fait l’objet TotalEnergies pour avoir permis la fabrication en Russie de carburant utilisé par des avions en Ukraine. La plainte a été classée sans suite par le parquet de Paris.
Certaines entreprises françaises ont très vite pris la décision de quitter le marché russe. « Elles se sont désengagées en vendant parfois leurs actifs à des tiers mais le plus souvent à leurs propres salariés russes. » Plusieurs sociétés du CAC40 ont été parmi les premières à annoncer leur départ. « Certaines d’entre elles étaient présentes en Russie depuis 30 ans via des joint-ventures et/ou propriétaires d’usines. » Mais cette fenêtre s’est assez vite refermée avec la mise en œuvre effective des nouvelles dispositions prises par le Kremlin en réponse aux sanctions. Et il est alors devenu beaucoup plus difficile de quitter le pays, sauf à tout abandonner sur place. Dès 2022, le gouvernement russe a en effet mis en place tout un arsenal juridique et administratif pour freiner les départs des entreprises et en tirer le maximum de profits. En septembre 2022, un décret est ainsi venu instituer une sous-commission chargée de délivrer des autorisations préalables pour toutes les opérations de sortie du pays, pour toutes les transactions sur les actions et parts sociales, y compris les cessions indirectes via des sociétés intermédiaires.
« Les sociétés ont dès lors rencontré beaucoup plus de difficultés à partir parce qu’il leur faut demander et obtenir l’autorisation de cette sous-commission, accorder une décote qui atteint désormais au moins 50% de la valeur des actifs et payer l’exit tax, qui n’a fait qu’augmenter au fil du temps jusqu’à atteindre 35% du montant de la vente. Une fois le dossier déposé, il n’y a pas de délai légal de réponse de la sous-commission. Ce délai est de trois à six mois en moyenne, et il faut actualiser régulièrement les documents produits, ce qui représente un coût. L’acquéreur doit par ailleurs démontrer au ministère de tutelle qu’il est le bon candidat au rachat, et les fonds issus de la vente doivent être transférés sur le compte d’une banque russe, en roubles. »
De plus, « d’autres autorisations peuvent être requises, pour les investissements étrangers directs jugés stratégiques et les transactions qui impliquent des banques ou des assurances, notamment, ainsi que celle du comité anti-monopole au-delà de certains seuils de chiffre d’affaires assez facilement atteignables. Et la décision de la sous-commission, qui n’est pas motivée et peut être assortie de conditions, n’est pas susceptible d’appel. » Et, dans certains cas, les entreprises françaises doivent également obtenir une autorisation du ministère de l’Économie et des Finances, en France.
Aujourd’hui, trois ans après le début de la guerre en Ukraine, il est donc encore possible mais extrêmement difficile pour les entreprises françaises de quitter le marché russe, étant donné les exigences du Kremlin et le coût très dissuasif de l’opération. Les sociétés qui ont fini par quitter le pays seront-elles prêtes à y retourner lorsque la guerre aura pris fin ? « Je pense qu’il y a un gros capital confiance qu’il va falloir restaurer et cela peut prendre beaucoup de temps. Et la place laissée par la plupart des entreprises qui ont quitté le pays est désormais prise, notamment par des sociétés concurrentes souvent issues des BRICS. Ce marché sera donc très difficile à reconquérir », conclut Catherine Joffroy.
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