Erreur de régime de TVA : quand un cabinet est responsable

Erreur de régime de TVA : quand un cabinet est responsable

15.02.2019

Gestion d'entreprise

La société d'expertise comptable Fideliance a manqué à son devoir de conseil car elle a mal interprété des textes fiscaux sur l'application du régime de TVA sur marge, confirme la cour d'appel de Paris. Cependant, son erreur n'a pas entraîné la liquidation judiciaire de son client.

250 000 euros. C’est le montant des dommages et intérêts auquel PDF iconest condamné en appel le cabinet comptable Fideliance. Ce dernier était chargé d’établir les déclarations fiscales, notamment de TVA, d’une société automobile ayant pour activité le négoce de véhicules d’occasion en provenance de l’Union européenne.

Application erronée du régime de TVA sur marge

A l’origine de cette affaire, l’expert-comptable conseille à son client d’appliquer la TVA sur marge. Ce régime concerne les assujettis revendeurs qui cèdent un bien d’occasion acheté auprès d’un non redevable de la TVA. Dans ce cas, la TVA n’est pas calculée sur le prix de vente mais sur la marge réalisée par le revendeur. Ce qui permet donc de diminuer le montant de la TVA due. A deux reprises, en 2008, le professionnel du chiffre informe l’entreprise qu’elle doit mentionner sur ses factures la phrase : "application de la TVA sur marge selon la 7ème directive UE".

Lors d’une vérification de comptabilité, la société automobile se fait épingler par l’administration fiscale qui considère que le régime de la TVA sur marge ne s’applique pas à l'une de ses opérations intra-communautaires, à savoir la revente en France de véhicules d’occasion acquis auprès de fournisseurs allemands. "Les acquisitions réalisées par [la société] donnaient lieu à autoliquidation de la TVA et par voie de conséquence à une déduction de la TVA ayant grevé l’achat des véhicules". La société cliente écope de 760 000 euros de pénalités. Elle se retourne contre son expert-comptable.

Insuffisance des moyens mis en oeuvre dans le cadre du devoir de conseil

En première instance puis en appel, le cabinet comptable est reconnu responsable d’avoir mal interprété les textes fiscaux applicables à la situation. Et d’avoir ainsi conseillé un régime de TVA inapplicable aux opérations effectuées par le client. Des opérations "dont l’expert-comptable avait parfaitement connaissance", soulignent les juges.

L’obligation de conseil est de moyens (et non de résultats) et Fideliance n’a mis en œuvre les moyens suffisants pour vérifier le régime applicable que deux ans après l’application d’un régime de TVA erroné, justifie la cour d’appel. En effet, en 2010, l’expert-comptable avait communiqué à son client "de la documentation sur les textes fiscaux (…) concernant le régime fiscal de la vente de véhicules d’occasion et du champ d’application du régime de la taxation sur la marge, afin qu’elle puisse ‘se justifier auprès du concessionnaire Mercedes’" et avait indiqué "prendre à sa charge les recherches et démarches fiscales pour approfondir l’application des textes fiscaux".

Par ailleurs, l’obligation de conseil de l’expert-comptable "ne s’effac[e] pas devant des clients professionnels", ajoutent les magistrats. Et même si ces clients font valoir "une position particulière" sur un régime d’imposition applicable, le professionnel du chiffre doit "les en dissuader dans le cadre de son devoir de conseil".

Perte de chance de recouvrer la TVA

Le montant des dommages et intérêts imputables au cabinet est légèrement plus faible qu’en première instance (261 000 euros). La cour d’appel confirme que le redressement fiscal subi par la société automobile "découle directement" de l’erreur commise dans le choix du régime de TVA applicable. Et le préjudice subi par l’entreprise est fondé sur la perte de chance de recouvrer la TVA auprès de ses clients pour la période concernée par le redressement fiscal. En effet, l’erreur du cabinet comptable "a empêché" la société "d’appeler en temps utile sur ses clients l’exacte TVA due sur le prix de vente, qu’elle était tenue d’acquitter auprès de l’administration fiscale et qu’elle n’est plus en mesure a posteriori de pouvoir récupérer, eu égard aux délais écoulés", justifient les juges.

Cependant, en l’absence d’erreur sur la TVA applicable, le prix de revente des véhicules aurait été plus élevé, donc moins concurrentiel, et "il n’est dès lors pas établi que le volume des ventes, à ces conditions, aurait été conforme à celui réalisé, qui a servi de base au redressement". De plus, la possibilité de récupérer après la vente, "même à bref délai", un complément de prix au titre de la TVA auprès de clients "restait très limitée", selon la cour d'appel. D’où cet ajustement du niveau des dommages et intérêts.

Pas de lien avec la liquidation judiciaire de la société cliente

En revanche, les juges considèrent que le redressement fiscal – et l’erreur de l’expert-comptable – n’est pas à l’origine de la liquidation judiciaire de la société cliente, survenue en 2015. "Rien ne démontre que [la] chute brutale de [ses] résultats [à partir de 2010] résulte de l’erreur d’assiette commise par Fideliance en 2008", souligne la cour. Cette baisse du chiffre d’affaires découlerait plutôt de "la moindre attractivité des prix" proposées par la société automobile.

Nous ne savons pas si l'une des parties s'est pourvue en cassation.

Céline Chapuis

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