Escroquerie dans des paris sportifs

05.12.2018

Gestion d'entreprise

Sont coupables d'escroquerie ceux qui organisent le truquage d'un match donnant lieu à des paris, ces manoeuvres frauduleuses ayant conduit la société la Française des jeux à payer des sommes indues aux parieurs gagnants suite à cette tricherie.

Commettent le délit d’escroquerie les prévenus qui ont organisé le truquage d’un match de handball donnant lieu à des paris, ces manœuvres frauduleuses ayant conduit la société la Française des jeux à payer en conséquence aux parieurs gagnants suite à cette tricherie des sommes indues. Sont irrecevables les actions civiles de la société Montpellier Agglomération Handball et de l’association Montpellier Handball en raison du caractère indirect du préjudice moral que leur auraient causé les agissements considérés.

Un arrêt solennel de rejet de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 21 novembre 2018, rendu en formation plénière et promis à une large diffusion, est l’épilogue judiciaire d’une affaire très médiatisée de paris truqués dans le monde du handball. Cet arrêt mérite assurément de retenir l’attention, au niveau de l’action publique certes, mais encore plus au niveau de l’action civile.

Une escroquerie autour de paris sportifs

Le stratagème avait été bien organisé. Un des leaders de l’équipe de handball de Montpellier, parieur d’habitude, et un de ses amis, tenancier d’un centre de jeux, avaient mis en place une entente préalable permettant, d’une part que les paris concernant tous le score à la mi-temps et devant rester anonymes, soient tous passés à la même heure et selon les mêmes modalités, d’autre part que les joueurs sur le terrain, dont notamment certains prévenus, ayant fait prendre des paris, se comportent de façon à ce que l’équipe de Montpellier soit menée à la mi-temps du match joué le 12 mai 2012 contre l’équipe de Cesson-Sévigné, d’un niveau bien inférieur. Il y avait là manifestement des manœuvres frauduleuses caractérisées générant une escroquerie (C. pén., art. 313-1) au détriment de la société réceptrice des paris, la Française des jeux, qui a dû ainsi verser aux tricheurs des gains indus – « hors de proportion avec ceux payés habituellement pour ce genre de manifestations » - d’un montant total de 300 000 €. Ainsi notamment les cinq demandeurs aux pourvois – le leader, le buraliste et trois joueurs – avaient été condamnés par la cour d’appel de Montpellier pour escroquerie ou complicité de ce délit à des peines plutôt modérées comprises entre deux et quatre mois d’emprisonnement avec sursis et entre 5 000 et 40 000 € d’amende. La chambre criminelle approuve sans surprise le raisonnement des juges du fond sur la caractérisation de ces qualifications.

Quid de la qualification de corruption dans le cadre d'une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs ?

Mais subsistent deux interrogations. En premier lieu, pourquoi les autorités judiciaires n’ont pas retenu la circonstance aggravante de bande organisée (C. pén., art. 313-2, dernier alinéa), définie comme " tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions " (C. pén., art. 132-71) ? La répression encourue s’élevant alors à dix ans d’emprisonnement (au lieu de cinq pour le délit simple) et à 1 million d’€ d’amende (au lieu de 375 000 pour le délit simple). Nouvel indice d’une certaine clémence judiciaire.

En second lieu, les poursuites visaient initialement encore une autre qualification, soit la corruption dans le cadre d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs. Il s’agit de deux délits – corruption active (C. pén., art. 445-1-1) et corruption passive (C. pén., art. 445-2-1) – créés par la loi n° 2012-158 du 1er février 2012. Il y a là une occasion manquée de doter d’une première application jurisprudentielle ces deux délits qui, près de sept ans après leur instauration, procèdent toujours du droit virtuel.

La cour d’appel de Montpellier avait déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la Société Montpellier Agglomération Handball et de l’association Montpellier Handball en observant que leur préjudice - résultant du retentissement médiatique engendré par les infractions et donnant un impact négatif sur l’image mais surtout sur les résultats du club – n’est pas en relation directe avec les infractions d’escroquerie reprochées, mais avec le défaut d’exécution de bonne foi du contrat de travail liant les joueurs au club. Et les juges du fond de poursuivre en relevant qu’ont seules subi un préjudice en relation directe avec les escroqueries " les personnes déterminées par les manœuvres frauduleuses à verser des fonds ".

Un raisonnement inédit de la Cour de cassation

Tout en confirmant l’irrecevabilité des deux actions civiles, la chambre criminelle adopte un raisonnement différent. Elle énonce d’abord, conformément à une jurisprudence établie, " que l’existence d’une relation contractuelle entre l’auteur des faits et la partie civile n’est pas de nature en elle-même à exclure la recevabilité de la constitution de cette dernière ". Mais voici l’essentiel : " les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction visée à la poursuite ; que tel n’est pas le cas du préjudice découlant du comportement consistant, pour des participants à une compétition sportive, à s’entendre pour en fausser le résultat, ce comportement n’étant que l’un des faits constitutifs de l’infraction d’escroquerie ".

Ainsi donc le préjudice n’était directement relié qu’au premier élément matériel de l’escroquerie – les manœuvres frauduleuses – mais non pas au second élément matériel du délit, la remise des fonds par la dupe, soit la Française des jeux. Ce préjudice direct de moitié seulement est dès lors postulé par la structure de l’escroquerie qui est un délit complexe, dont l’élément matériel est double.

La chambre criminelle apporte ici un raisonnement à la fois inédit et d’une extrême subtilité. Mais le byzantinisme est une arme à double tranchant car on peut aussi considérer que la remise ayant été opérée au bénéfice d’escrocs, le club sportif se prévalait bien d’un préjudice moral direct à 100 %, ayant été sali par des joueurs non seulement auteurs de manœuvres frauduleuses mais aussi bénéficiaires de ces manœuvres. Le concept de préjudice direct, au demeurant, est très malléable, entièrement à la discrétion de la Cour de cassation. Quoiqu’il en soit, les deux parties civiles auraient agi sur un terrain plus sûr si les délits de corruption active et passive dans le cadre d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs avaient été simultanément retenus. Ces délits, en leur intégralité, semblaient bien avoir causé aux deux entités montpelliéraines de handball un préjudice moral direct avéré (V. ainsi W. JEANDIDIER, Corruption et trafic d’influence, Dalloz coll. Corpus 2018, n° 407 et 500). Quoi de plus désastreux pour l’image d’un club sportif que d’avoir en son sein un leader et plusieurs joueurs tricheurs corrompus ?

 

Wilfrid Jeandidier, Professeur agrégé des facultés de droit

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