Est-il pertinent de tenir compte de l'âge pour fixer un barème d'indemnités de licenciement ?

Est-il pertinent de tenir compte de l'âge pour fixer un barème d'indemnités de licenciement ?

14.01.2016

Gestion du personnel

Le gouvernement travaille à la rédaction d'un nouveau barème d'indemnités en cas de licenciement injustifié après la censure du premier projet de barème par le Conseil constitutionnel. L'ancienneté et l'âge seraient les deux critères pris en compte pour apprécier le préjudice subi. Reste à savoir si l'âge est bien un critère pertinent.

La ministre du travail, Myriam El Khomri, a déclaré le 5 janvier dernier devant les journalistes de l'information sociale qu'elle réfléchissait à un nouveau barème d'indemnités en matière de licenciement injustifié qui tiendrait compte de l'ancienneté et de l'âge, des propos confirmés quelques jours plus tard au micro d'Europe 1. Rappelons que le Conseil constitutionnel a censuré le barème prévu par le projet de loi Macron. Les Sages ont retoqué non pas le barème en tant que tel mais l'un des critères retenus à savoir la taille de l'entreprise. Reste à savoir si ce nouveau critère de l'âge passerait sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.

L'âge et l'ancienneté pour déterminer le préjudice subi

Si l'on ne connaît pas pour l'heure les détails du nouveau barème, on peut supposer que l'idée serait de mieux indemniser le préjudice subi par les salariés seniors dont la situation sur le marché du travail est plus délicate après une rupture de contrat. "La question est de savoir s'il s'agit d'un critère pertinent pour apprécier le préjudice", s'interroge David van der Vlist, avocat et membre du Syndicat des avocats de France (SAF) qui avait participé en juillet dernier à la rédaction d'une saisine du Conseil constitutionnel pour contester le premier barème. Il n'est pas davantage convaincu par la tournure que semble prendre ce nouveau barème. "C'est pertinent pour le salarié senior qui n'a pas retrouvé de travail, mais pas pour celui qui en retrouve un rapidement". Surtout, souligne-t-il, "il y a aujourd'hui deux classes d'âge durement touchées par le chômage : les jeunes et les seniors".

C'est une opinion partagée par Marc Canaple, responsable du département du droit social au sein de la CCI d'Ile-de-France. "S'il peut être difficile pour un salarié senior de se réinsérer sur le marché du travail, il peut être aussi compliqué pour un jeune qui, par exemple, avait trouvé un emploi à 19 ans d'en retrouver un à 20 ans !"

La question se pose donc d'un barème qui protégerait les deux classes d'âge les plus concernées par le chômage.

Gestion du personnel

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- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Une discrimination tolérée ?

D'un point de vue strictement juridique, un tel barème pourrait passer l'étape constitutionnelle. "Constitutionnellement, il est difficile de discriminer en fonction de l'âge ; toutefois des discriminations sont permises par le Conseil constitutionnel dès lors qu'elles sont strictement proportionnées à l'objectif recherché et liées à la situation du marché du travail", explique Nicolas Sauvage, avocat associé au sein du cabinet SEA avocats. Déborah David, avocate associée au sein du cabinet Jeantet, rappelle qu'aujourd'hui dans le cadre d'un PSE, il est possible d'introduire des mesures d'âge ; elle recommande toutefois au gouvernement d'établir "une étude d'impact très documentée".

Les seniors et les jeunes ?

La loi Macron prévoit un référentiel indicatif d'indemnités de licenciement, applicable devant le bureau de jugement, qui doit être établi par décret après avis du Conseil supérieur de la prud'homie, et qui tient compte de l'ancienneté, de l'âge et de la situation du demandeur par rapport à l'emploi (dont on attend toujours le décret d'application). A l'occasion des débats au Parlement sur ce dispositif, le député Jean-Patrick avait exprimé des doutes sur ce critère de l'âge. "L’ancienneté reflète naturellement l’âge d’une personne, mais je crains que cette mention ne crée une discrimination (...) Je ne voudrais pas que cela devienne une discrimination à l’égard des jeunes pour qui le licenciement serait moins grave, ce qui justifierait une indemnité moins importante". Emmanuel Macron avait justifié la prise en compte de ce critère, comme "l’un des éléments objectifs [qu'il faut prendre en compte] avec l’ancienneté et la situation du demandeur (...). L’âge détermine aussi la capacité objective à retrouver un emploi".

Quid  de la situation réelle du salarié par rapport au marché du travail ?

Toutefois, il est permis de se demander si le troisième critère prévu par le référentiel d'indemnités - la situation du demandeur d'emploi par rapport au marché du travail - pourrait s'ajouter aux deux premiers. Derrière ce débat se pose la question d'une appréciation in abstracto de la difficulté à retrouver un emploi, selon l'âge, ou in concreto en tenant compte des caractéristiques de chaque salarié licencié et de sa situation par rapport à l'emploi. Déborah David estime ainsi nécessaire "de se demander si le salarié est susceptible de percevoir une retraite à taux plein". Elle soutient également que "le barème devrait tenir compte de toutes les indemnités extra-légales et extra-conventionnelles versées par l'entreprise au moment de la rupture du contrat de travail qui vendraient ainsi en déduction du montant prévu par le barème".

Attention aux effets pervers pour les seniors

Enfin, Déborah David alerte sur le risque qu'un tel barème se retourne contre les salariés seniors. "Il faut être prudent avec les mesures d'âge car elles peuvent se révéler contre-productives et dissuader l'embauche de salariés âgés". Pour y remédier, "il pourrait être possible de n'appliquer un barème différencié aux salariés seniors que s'ils atteignent un certain seuil d'ancienneté".

Florence Mehrez
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