Etat d’urgence sanitaire : allons-nous vraiment en sortir le 11 juillet prochain ?

Etat d’urgence sanitaire : allons-nous vraiment en sortir le 11 juillet prochain ?

17.06.2020

Gestion d'entreprise

Hier, un collectif de juristes - avocats, magistrats, professeurs de droit, et membres d’associations - signait une tribune dans laquelle ils alertent sur la « dangerosité » du projet de loi organisant la fin de l’état d’urgence sanitaire.

« Le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire est un véritable trompe-l'œil : contrairement à ce qu'annonce le titre, son objet est bel et bien de prolonger l'état d'urgence sanitaire pendant une période de 4 mois ». C’est le sentiment du SAF (Syndicat des avocats de France) du Syndicat de la magistrature ainsi que de 8 associations – dont la Ligue des droits de l’Homme – et d’une trentaine d’avocats et d’universitaires, tous membres du réseau de veille sur l’état d’urgence sanitaire. Dans leur tribune, publiée hier, ils estiment qu’ « une sortie d'état d'urgence ne s'organise pas, ne s'aménage pas, ne se décline pas : il se lève dans sa totalité pour mettre fin à l'exception. Ce brouillage inédit des frontières est inacceptable ». Qu’est-il reproché au premier texte de ce genre que les députés doivent examiner aujourd’hui en première lecture en séance publique ?

Un état d’urgence « Canada Dry »

Tout d’abord de ne « pas porter son nom ». Pour le collectif, le projet de loi maintient un régime juridique d’exception pour 4 mois supplémentaires - en commission les députés ont toutefois proposé de raccourcir cette durée d’un mois - alors que « les conditions d’un état d’urgence sanitaire ne sont plus réunies ». C’est « un état d’urgence Canada Dry », lance Stéphanie Renard, professeur à l’Université de Bretagne Sud. Le texte permettra au Premier ministre, durant cette période, de prendre par décret, et donc sans l’aval des parlementaires, tout un tas de mesures. Il pourra : 

  • « réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ;
  • ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, en garantissant l’accès des personnes aux biens et services de première nécessité ;
  • réglementer les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature et (…) soumettre à autorisation au regard de la mise en œuvre des mesures barrières destinées à lutter contre l’épidémie de covid-19 les manifestations sur la voie publique ».

Un pouvoir considérable serait donc laissé à l’exécutif et on pourrait imaginer qu’il l’utilise pour décider de la fermeture des bars, des restaurants et des cafés sur l’ensemble du territoire national ou pour limiter les déplacements au-delà de 100 kms en cas de résurgence de l’épidémie. Or « il n’y a plus de menace sanitaire réelle » justifiant cette nouvelle période de droit dérogatoire, selon Stéphanie Renard. Le projet cherche « à faire face aux incertitudes liées à l’évolution de la situation sanitaire dans les prochains mois ». Une justification insuffisante aux yeux du collectif.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Un droit commun déjà bien ficelé

Surtout, la loi organisant la sortie de l’état d’urgence ne serait pas nécessaire. Car celle du 23 mars a introduit dans le code de la santé publique un chapitre permettant de déclarer l’état d’urgence sanitaire pour un mois par simple décret en cas de catastrophe sanitaire. Ce cadre est applicable jusqu’au 1er avril 2021. Ce qui assure au Premier ministre la possibilité de réglementer au-delà de ce qui est proposé dans le cadre du projet de loi en cours.

Il existe aussi, dans le droit commun, un article - L3131-1 du code de la santé publique - qui donne pouvoir au ministre de la Santé, après la fin de l’état d’urgence sanitaire, de prescrire par arrêté « toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter » les « conséquences des menaces sanitaires graves appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie ». Le droit commun suffirait donc. L’article a été utilisé en 2009 face à la grippe H1N1 ou en 2012 pour éviter le retour de la tuberculose, indique Stéphanie Renard. C’est aussi ce fondement qui a été utilisé au tout début de la crise du Covid-19, avant l’état d’urgence sanitaire. Il a été activé pour permettre le placement à l’isolement et en quarantaine des rapatriés de Wuhan à Carry-le-Rouet, explique Stéphanie Hennette-Vauchez, professeur à l’Université Paris Nanterre.  

Un projet de loi à « l’idéologie très répressive »

Ce que reproche particulièrement le collectif à la démarche actuelle du gouvernement c’est de maintenir avec ce projet de loi « le délit de violation réitérée des interdictions édictées en lien avec la pandémie ». Une incrimination pénale nouvelle qui aurait permis de sanctionner le non respect des mesures de confinement, comme la circulation sur la voie publique ou l’utilisation des moyens de transports, en dehors des cas prévus par les attestations à fournir aux autorités de police. Il y a eu « de nombreuses verbalisations abusives et plus de vingt millions de contrôles » avec « des peines d’amendes pas anodines », estime la magistrate Sarah Massoud qui conteste « l’idéologie très répressive » du projet de loi actuel. Le délit est actuellement soumis au Conseil constitutionnel, via trois questions prioritaires de constitutionnalité. La décision des sages est attendue aujourd’hui.

Les signataires regrettent également que le texte de sortie de l'état d'urgence permette toujours d’encadrer les rassemblements et manifestations. Rappelons que sur ce point le Conseil d’Etat a invalidé ce week-end les décrets du 11 et 31 mai interdisant tout rassemblement de plus de 10 personnes. Le gouvernement a donc publié un nouveau décret, lundi dernier, maintenant l’interdiction uniquement dans le cas où les mesures barrières - notamment le respect d’au moins un mettre entre deux personnes - ne peuvent être respectées dans les manifestations.

Le collectif appelle les parlementaires à « mettre véritablement fin à l’état d’urgence sanitaire ». Pour l’instant il n’a pas été entendu en commission à l’Assemblée nationale.

Sophie Bridier
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