Facture électronique : "On va vivre à peu près la même chose qu’avec la DSN"

01.06.2023

Gestion d'entreprise

Evolution des missions du cabinet, accompagnement des équipes comptables, souveraineté numérique... Michel Besançon, directeur général de Cerfrance Maine-et-Loire, livre son point de vue sur les enjeux de la généralisation prochaine de la facture électronique. Interview.

Quels sont pour votre AGC les enjeux de la généralisation prochaine de la facture électronique ?

Les enjeux sont selon moi déjà dans un premier temps au niveau de l’ensemble de nos équipes. Elles vont vivre quelque chose que je n’ai pas connu puisque c’est le passage de la logique papier à la logique informatisée en d’autres temps. On va vivre probablement le même bon technologique à savoir le passage à la quasi 100 % dématérialisation et donc des pratiques qui génèrent forcément des évolutions des missions au sein de notre cabinet.

C’est un premier enjeu dans des activités où la valeur de l’entreprise repose essentiellement sur les personnes puisque on vend de la matière grise. La notion de RH est un enjeu de taille. En plus de ça on est dans un contexte de tensions sur le marché de l’emploi avec une raréfaction des compétences et une difficulté entre les besoins et les ressources. Les enjeux sont très significatifs à ce niveau-là.

L’autre volet, au niveau d’un cabinet tel que le nôtre, va se concentrer sur le sujet des systèmes d’information au sens large tant dans leur sécurisation que dans leur capacité à être ergonomique et facilement utilisable par nos clients et d’avoir un degré d’efficience technique qui soit très élevé pour que effectivement on n’est pas de couac dans le système.

Sur l’évolution des pratiques et des métiers, plus précisément à quoi pensez-vous ?
La collecte de données va être dans un premier temps basique 

On a aujourd’hui des structurations qui sont peu ou prou les mêmes dans beaucoup de cabinets à savoir des gens qui sont en charge de la tenue, d’une manière générale, des gens qui sont en charge de la notion de révision et des personnes en charge aussi de l’accompagnement des dirigeants d’entreprise et certaines personnes sont amenées aujourd’hui parfois à faire les trois — pas tant chez nous mais ça existe encore quand même. Inévitablement, tout ce qui est lié à la tenue va être impacté le plus lourdement en termes de mission puisque on a le sujet de la facture évidemment électronique qui va arriver avec la collecte de données. La collecte de données va être dans un premier temps selon moi basique. Donc il va toujours y avoir le besoin de clarification notamment pour des cabinets comme le nôtre qui sont amenés à faire beaucoup d’analytique.

De comptabilité analytique ?

Oui. On fait beaucoup de travail sur l’analytique pour favoriser les éléments de gestion. Et la Factur-X ne va pas résoudre cela. Par contre, les process tels que des outils d’intelligence artificielle eux qui vont être aussi connectés dans l’esprit à cette dynamique de Factur-X — et les deux vont arriver à peu près au même moment — vont complètement révolutionner le métier avec un flux d’informations qui va être continu, un traitement de l’information qui va devoir être continu et donc probablement des méthodes et des pratiques autour du métier d’assistant comptable qui va être fortement bougé même si le volume de besoin ne va pas se réduire.

J’entends différentes opinions sur le sujet du gain de temps ou pas généré par la facture électronique. J’entends souvent qu’à terme cela va apporter un gain de temps en matière de saisie comptable des factures. Mais certains disent que cela va générer davantage de contrôle à court terme même si à terme les choses seront peut-être différentes. J’entends dire aussi que pendant la période transitoire du 1er juillet 2024 jusqu’à début 2026 beaucoup d’entreprises vont devoir gérer plusieurs types de factures puisque potentiellement cohabiteront des factures électroniques et des factures papier, ce qui peut entraîner une charge de travail supplémentaire. J’entends dire qu'il va falloir gérer en plus des factures les statuts de ces factures donc davantage, de ce point de vue-là, de données à traiter, etc. Globalement, sur le volet temps de travail, estimez-vous que cette réforme va être bénéfique à court terme et à plus long terme ?

Si j’ai à faire un parallèle dans ce qui va se passer dans nos cabinets d’une manière générale, on va vivre à peu près la même chose qu’avec la DSN dans les années 2017-2018. C’est un phénomène de transformation digitale qui impacte un métier de manière très importante qui a pu générer potentiellement en amont des peurs sur est-ce que mon métier va toujours exister. Ce qu’on constate aujourd’hui, si on a structuré à la fois son offre, si on a été accompagnant des dirigeants et si on a eu des moyens technologiques pour pouvoir le faire, c’est qu’on a probablement plus d’activité dans beaucoup de cabinets qu’avant 2017. Et pourtant cette transformation digitale s’est opérée.

Dans un cabinet comptable, l’activité de paie génère une proportion importante mais négligeable à l’échelle de la compta. Là on va le vivre sur la compta et inévitablement avec un volume beaucoup plus important. Cette transition va générer des activités complémentaires qui ensuite pourraient se réduire sauf si on se structure pour accompagner les dirigeants lesquels vont peut-être aussi comme pour la paie se dire que c’est peut-être mieux et plus fiable de déléguer. Et là le cabinet comptable pourra se positionner en tiers déclarant tel que la loi lui permet.

Quel sera l’impact de cette réforme de la facture électronique sur l’attractivité de vos cabinets à l’égard des collaborateurs ?

Il y a le sujet des collaborateurs qui sont actuellement habitués à travailler d’une façon qui est du rôle du cabinet de favoriser leur accompagnement à l’évolution du métier. Il y a tout un travail en matière de GPEC [gestion prévisionnelle des emplois et des compétences] nécessaire dans les cabinets. En termes d’attractivité, cela va dépendre de la politique du cabinet.

Des métiers nouveaux vont s’ouvrir

Deuxième chose : des métiers nouveaux vont s’ouvrir laissant possiblement l’opportunité de faire entrer des nouveaux profils et peut-être — on peut l’espérer aussi — une forme de diversité de profils dans nos cabinets, c’est-à-dire mélanger peut-être des praticiens historiquement du chiffre avec des futurs praticiens du traitement de la donnée qui ne sont pas loin d’être la même chose mais qui probablement n’auront pas le même rapport à ce qui était historiquement la saisie ou la tenue comptable. On peut peut-être imaginer des possibilités d’attractivité par des métiers qui vont naître et qui vont pouvoir faire grandir nos cabinets d’une manière générale dans le temps. Il y a une vraie question au niveau des cabinets en termes d’attractivité pour pouvoir justement préparer ces profils de métiers et faire en sorte, d’ores et déjà aujourd’hui, d’intégrer des profils un peu différents dans les pratiques notamment de la tenue comptable.

Ça répondrait à quels besoins concrètement ? Est-ce que ça veut dire par exemple vouloir développer davantage d’informations de gestion à fournir aux entreprises clientes ?

Ça peut générer des points de vue différents mais on pourrait imaginer des suivis d’activité compte tenu du flux continu et de la fiabilisation par les outils qui le permettront demain après une vérification qui sera toujours nécessaire ou utile ou pertinente pour faire des éléments de gestion. Nos assistants comptables aujourd’hui, s’ils sont en logique mensuelle, peuvent très facilement générer une approche de premier niveau et remettre [les suivis d’activité] à la disposition du dirigeant assez facilement sur le monde de la TPE. Et ça commence à se structurer un peu comme ça. On n’est pas sur l’analyse de gestion qui est faite en général par le praticien de l’accompagnement du dirigeant mais les métiers actuellement autour de l’assistant comptable pourraient aussi voir le jour à ce niveau-là.

Il va y avoir peut-être aussi une dissociation entre ceux qui vont traiter purement de la data et ceux qui voudront peut-être demain avoir un relationnel client plus fort

Il va y avoir peut-être aussi une dissociation entre ceux qui vont traiter purement de la data, et qui seront rassurés quelque part par cette logique back office, et ceux qui voudront peut-être demain avoir un relationnel client plus fort, et qui seraient intéressés pour justement travailler la mise à disposition de l’information et la préparation des éléments en lien avec la relation client.

Est-ce que ça peut vouloir dire concrètement fournir régulièrement des indicateurs, alerter beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui par exemple en disant à un client attention la semaine dernière votre chiffre d’affaires a baissé de 10 %, c’est curieux, etc. ? Ce que beaucoup de cabinets veulent faire depuis très longtemps mais dans les faits très peu le font. Parce qu’il y a déjà tellement de travail réglementaire à faire, parce que envoyer des indicateurs par mail n’apporte pas forcément grand-chose, l’accompagnement doit aller beaucoup plus loin que ça, etc.

L’indicateur doit être un moyen de discuter avec un dirigeant. Et puis on est tous à dire qu’on fait du conseil mais en réalité si on prend réellement nos activités, tous autant que nous sommes, libéraux ou associatifs, on est contraint, notamment en lien avec cette particularité du marché de l’emploi, de traiter l’obligatoire et que après on est amené à faire l’accompagnement. Et les dirigeants ne sont pas tous prêts à mettre les moyens nécessaires pour pouvoir disposer des suivis de gestion.

De ce que je comprends de la réforme et de la Factur-X, c’est que l’objectif aussi de l’Etat est d’avoir une dynamique et une information en temps réel de la situation économique des secteurs. Ce qu’il ne peut pas avoir par l’intermédiaire de bilans comptables qui sont certes réels, justes et pertinents mais qui sont toujours 18 mois en retard par rapport à l’instant t. Ce serait dommage que l’Etat ait des indicateurs et que nous ne soyons pas capables de les fournir à nos clients. Et si ce sont des éditeurs et des PDP [plateforme de dématérialisation partenaire], dont on n’a ni la gouvernance ni la maîtrise, la vraie valeur ne sera plus dans les mains des cabinets.

Est-ce réalisable d’orienter certains profils comptables dans vos cabinets sur des missions de gestion sur les indicateurs de base ? J’aurai tendance à dire qu’ils ont la technique nécessaire. La question qui se pose davantage peut-être c’est celle de la culture. Une information comptable ce n’est pas la même chose qu’une information de gestion qui nécessite moins de précision et de rigueur mais plus de réactivité.

Ca fait partie des grands enjeux. Les métiers de la comptabilité vont avoir un effet ricochet. Inévitablement, les missions qui pouvaient être de la fréquence et de la récurrence vont être en partie phagocytées par ce qu’on vient d’évoquer.

De l’autre côté va se poser la question du rôle du comptable. Dans tous nos cabinets on a la question de l’évolution des missions. L’une des spécificités Cerfrance est qu’on vient du milieu du conseil historiquement. On a des conseillers d’entreprise qui sont présents. Je sais qu’il y a beaucoup de cabinets libéraux qui aujourd’hui se structurent aussi dans cette dynamique-là, qui ont des chefs de mission de très bonne tenue qui font de l’accompagnement conseil de niveau très intéressant.

Il faut arriver à inculquer la culture de l’entrepreneuriat auprès des équipes comptables

Il va y avoir par effet de ricochet pour les comptables des positionnements autour là encore de est-ce que je produits du réglementaire ou est-ce que je me positionne conseil. Et quand je dis conseil ce n’est pas être capable effectivement de lire des indicateurs mais d’être relais auprès du dirigeant, son bras droit. Et là j’ai l’impression que le réseau Cerfrance n’est pas en retard sur le sujet. Nos collaborateurs en fait travaillent avec les clients, chez les clients. Et ce qui les intéresse le plus c’est d’être en co-pilotage avec le dirigeant. Certains collaborateurs comptables voudront vraiment être en back office. Mais la demande est d’être de plus en plus dans le relationnel et dans l’échange avec le pilotage d’entreprise. Il faut arriver à inculquer la culture de l’entrepreneuriat auprès des équipes comptables. Ca me semble largement faisable.

Vous parliez aussi d’un enjeu en termes de système d’information. Pouvez-vous en dire davantage ?
Imaginer que la notion de réglementation nous sauvera me paraît dangereux

C’est un sujet central pour l’avenir de notre profession. Parce qu’on appartient à un Ordre qui organise extrêmement bien les choses et qui s’auto-réglemente et c’est plutôt bien. D’un autre côté on a des outils et donc des éditeurs qui voient ça comme un marché, à juste titre, et qui cherchent à opérer un business, ce qui s’entend parfaitement. Imaginer que la notion de réglementation nous sauvera me paraît dangereux. Et la question de la souveraineté d’une manière générale de nos outils et de la souveraineté des données de nos clients est un élément clé majeur pour pas que demain on se retrouve quelque part à la merci d’éditeurs. On sait qu’aujourd’hui toute la logique des systèmes d’information a été beaucoup déléguée dans nos cabinets. Et que aujourd’hui le moyen d’entrer chez un client passera aussi par l’outil. Et comme les automatisations vont se faire de plus en plus, la valeur ajoutée nous amène quand même à penser ou d’une manière générale à bien réfléchir. Je crois que l’Ordre a travaillé ces sujet-là dans le cadre de la mandature de l’année passée avec des choix d’investissement. Investir c’est bien. Vérifier effectivement ce que vont devenir ces outils-là ou quels sont les possibles rachats c’est encore mieux.

Au niveau du réseau Cerfrance, y-a-t-il des outils cœur de métier qui sont faits maison ?
La question de la souveraineté est importante parce que nos clients sont des adhérents

Chez Cerfrance Maine-et-Loire, on est notre propre éditeur d’outil comptable. Tout ce qui va concerner l’intelligence artificielle est traité avec une souveraineté totale aussi. C’est-à-dire qu’on travaille en groupe de plusieurs Cerfrance. Et tout ce qui va concerner la notion de plateforme, qu’on appelle PDP pour la Factur-X, est aussi dans une logique de souveraineté totale à l’échelle quasiment du réseau. Je ne sais pas si nous avons raison mais nous sommes à peu près certains de pouvoir nous donner les moyens de la souveraineté sur ces sujets-là. La question de la souveraineté est importante parce que nos clients sont des adhérents. Ce que disent concrètement nos élus, c’est qu’ils ne souhaitent pas, en tant que clients, que leurs données partent à la fois n’importe où et soient utilisées ou valorisées d’une façon ou d’une autre. Beaucoup de dirigeants ont cette question-là.

Après concrètement c’est vraiment au niveau des cabinets d’expertise comptable qu’on doit se poser la question parce que si la donnée est ailleurs et que l’éditeur travaille directement avec nos clients, à un moment c’est à se demander si nous ne devrons pas payer pour tout simplement travailler avec nos clients. A l’avenir, la stratégie des éditeurs est quand même très claire. Ils l’affichent ouvertement. C’est un enjeu de taille.

Est-ce que ça veut dire que vos outils maison se chargent, entre autres, de l’hébergement des données de vos clients ?

Oui. Avec la notion de cybersécurité qui va derrière. Ce sont des enjeux majeurs. On sait qu’il y a quelques cabinets qui ont été impactés et bloqués. On est tous à la merci de ce type de choses. Il faut être très humble par rapport à la notion de protection. Nos propres clients sont attaqués mais nous sommes aussi des cibles.

Sur les outils liés à la facture, est-ce que vos clients utilisent vos outils maison ou bien, comme le disent certains cabinets, des outils tels qu’Excel, etc. ?

Sur ce sujet-là, ça me fait encore penser à la logique DSN. On a des clients qui ont des gestions co [commerciales] qui sont sur le marché lesquelles vont devoir être certifiées comme il se doit. Il va aussi y avoir des banques qui vont se positionner sur la logique de facturation. Et puis pour tout ce qui va concerner la facturation il y a des outils maison dans le cadre de portails dédiés auprès de nos clients là aussi dans une logique 100 % réseau.

 

Propos recueillis par Ludovic Arbelet

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