Conséquences de l'abandon du portail public de facturation, rôle de PEPPOL en matière d'interopérabilité, tarification des PDP, prochaines étapes de déploiement de la réforme... Christophe Viry, product et marketing director chez Generix group, livre son analyse sur la future obligation de facturation électronique.
A votre avis, quelles sont les raisons de l’abandon par le gouvernement du portail public de facturation (PPF) ?
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La raison officielle, c'est qu'il n'y a plus vraiment nécessité à faire ce PPF parce qu'il y a un écosystème de PDP [plateformes dématérialisées partenaires] nombreuses et dynamiques, avec déjà plus de 70 PDP immatriculées et une centaine attendue d'ici la fin de l'année.
Le deuxième argument, c'est que le projet de directive VIDA [VAT in the digital age], adopté par le Conseil de l’Union européenne le 5 novembre, n'incite pas les États membres à avoir une plateforme centralisée unique. Au contraire, elle indique que ce n'est pas l'architecture cible. Lors d’une réunion le 13 novembre, la DGFiP a d’ailleurs rappelé que leur choix était en conformité avec les préconisations de VIDA.
La troisième raison, c’est que l'administration n'était pas prête. Le projet de développement de la réforme n'avançait pas très vite et coûtait beaucoup plus cher que prévu. L'un des arbitrages a été de décider qu’il valait mieux réduire le périmètre plutôt que d’avoir un nouveau report de la réforme. Un troisième report aurait été assez peu supportable pour les entreprises car cela coûte cher (équipes mobilisées…) et entraîne une perte de confiance.
Le PPF se recentre donc sur ses fonctions d’annuaire et de concentrateur de flux. Ces services-là seront-ils utiles ?
La partie annuaire n'est pas si fondamentale en terme d’interopérabilité. L’annuaire de l'administration indique quelles sont les SIREN des entreprises assujetties à la réforme de la facturation électronique. Il va permettre à un fournisseur qui envoie une facture de savoir s’il doit le faire de manière électronique ou pas, et par voie de conséquence s’il est redevable de l’obligation d’e-invoicing ou d’e-reporting. Si le destinataire n'est pas assujetti à la réforme, le fournisseur peut continuer d'envoyer la facture par voie papier et n'a pas toujours besoin de la déclarer auprès de l'administration car il n'y a pas nécessairement de TVA à récolter dessus. L’annuaire sert aussi à placer les bonnes informations dans la facture c'est-à-dire qu’il indique le numéro de SIREN, l'adresse de dénomination sociale, ainsi que la PDP choisie.
Mais on ne va pas utiliser cet annuaire pour tout ce qui est interopérabilité parce que PEPPOL [pan-european public procurement on line, réseau de messagerie sécurisée au niveau européen] prendra le relais sur ce sujet.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le rôle de PEPPOL en matière d’interopérabilité ?
Mettre en place des échanges entre 100 PDP, c'est compliqué. Laisser les 100 PDP s'appeler l'une derrière l'autre pour faire des tests et établir des liens entre elles prendra beaucoup de temps et ne sera pas parfait parce que des PDP ne joueront pas le jeu, n'auront pas les ressources ou n'auront pas le temps. Donc il existe ce qu'on appelle des « réseaux de réseaux », dont le plus connu est PEPPOL. Le principe est le suivant : lorsque vous êtes un membre du réseau, vous faites des tests, vous vous connectez au réseau et une fois que vous êtes certifié comme membre du réseau, dès que vous envoyez quelque chose, vous pouvez l'envoyer aux 600 autres membres sans les connaître.
Donc une PDP qui veut envoyer une facture ira vérifier dans l'annuaire de l'Etat si le destinataire est bien assujetti à la réforme. Si oui, elle prendra son adresse électronique et la redonnera à PEPPOL qui donnera le chemin pour l’envoyer à la bonne PDP. C'est le principe de l'interopérabilité. C'est à l’Etat de le faire car les référentiels des SIREN assujettis à la TVA sont tenus par un service de la DGFIP.
Et le deuxième rôle de "concentrateur de flux" ?
C’est un service essentiel de récolte des données de facturation, de transactions, d’encaissement et des statuts obligatoires qui vont servir à remplir la CA3 (déclaration de TVA), qui est quand même le premier objectif de la réforme.
Quelles sont les conséquences de cet abandon du service de facturation de la PPF ?
Il y a beaucoup d’impacts et on en découvre au fur et à mesure ! Principalement, les textes réglementaires doivent être repris et les spécifications externes du PPF doivent être refaites (avec les deux services et non plus trois) et republiées. Le portail public de facturation sera probablement renommé pour acter de son recentrage fonctionnel.

Le focus des spécifications externes sur ces deux services pose problème car il n’y aura plus de normes communes applicables entre les PDP si le PPF ne publie plus ses spécifications exposant le service facturation. Donc comment faire si on veut continuer à avoir un référentiel identique entre les PDP, c'est-à-dire qu'elles aient toutes un service équivalent pour qu'elles puissent parler entre elles ?
Des arbitrages sont en cours pour créer une organisation qui gouverne le déploiement de la réforme et maintienne le socle normatif (un cahier des charges communs à toutes les PDP puisque ça ne peut plus être le cahier des charges du PPF qui n'a plus le même périmètre que les PDP). Et ce, en dehors de l'AIFE (Agence pour l'informatique financière de l'État) qui se restreindra à son rôle sur le PPF. Cette future structure pourrait faire intervenir l'AFNOR et des services particuliers. Il est aussi envisagé une autorité PEPPOL France qui gérerait le réseau PEPPOL en France.
Un autre changement interviendra pour les entreprises qui avaient prévu d’utiliser les services du PPF. Elles n'auront pas d'autre choix que d'aller choisir une PDP.
Justement, pour les PDP comme vous, est-ce que cette nouvelle situation est une aubaine ?
Oui bien sûr, ça nous légitimise dans le rôle de prestataire. Après, seules 10-15% des entreprises (*) envisageaient d'utiliser le PPF ce qui montre bien que les PDP étaient confiantes. Mais nous n'avons plus la concurrence gratuite de l'État, ce qui était inconfortable, et cette situation ouvre le marché puisque tous les éditeurs de logiciels sont obligés de choisir une PDP. Donc c'est une bonne nouvelle pour les PDP : elle vient compenser le fait que les investissements sont beaucoup plus importants que budgétés initialement et que les revenus ont été repoussés de 2 à 3 ans. Plus de 20 % des PDP ont d’ailleurs dû changer d’actionnaire et se refinancer.
Cette situation va-t-elle créer une concurrence féroce entre vous ?
En fait, la concurrence féroce était déjà là avant. Il y a 70 acteurs, dont beaucoup de start-up qui sont surtout là pour se valoriser en terme capitalistique plutôt que d'avoir un retour sur investissement. Ça écrase les prix. C'est assez classique d'un marché naissant avec une très très forte croissance.
Et combien coûte votre intervention, en tant que PDP, pour les entreprises ?
Il y a deux grandes natures de tarification. Des PDP comme Generix, qui sont des pure players de la facture électronique, vendent quelques centimes ou dizaines de centimes par facture et plus vous avez de factures, moins c'est cher. C'est un modèle qui est largement utilisé.
Un deuxième modèle, utilisé par exemple par les experts-comptables et les éditeurs de logiciels, consiste à proposer à sa clientèle existante de payer un abonnement avec 2-3 euros de plus par mois qui comprend le service de PDP.

Que pensez-vous de l’initiative du Conseil national de l’ordre des experts-comptables de lancer sa propre plateforme de facturation gratuite ?
Le CNOEC va proposer un bouquet de services réduit et gratuit. C'est du freemium, dans la mesure où c'est gratuit jusqu'à un certain niveau de service ou une certaine quantité de flux, et après ça bascule en service payant. D'autres acteurs proposent déjà un service gratuit dans le monde de l'expertise comptable, comme l'éditeur Tiime et Pennylane.
Mais la gratuité n’est pas sans contrepartie. Il faut bien regarder le contrat qui est souscrit. L’intérêt pour le CNOEC est d’avoir plus de factures, plus de data, pour que leur modèle d'IA ait une qualité grandissante.
Chez Generix, vous avez beaucoup d'entreprises intéressées par votre PDP ?
Notre cible de clientèle ce sont les grandes entreprises et ETI que l'on signe en direct (BNP, Thalès, Safran, Publicis, Auchan, EDF, Tereos, Samsung, Renault...). Nous avons par ailleurs une base installée de 2700 clients que nous sommes en train de reconvertir.
Pour aller capter des entreprises plus petites, nous vendons des solutions à des éditeurs de logiciels ou à des experts comptables (In Extenso, Fiteco…) qui vont revendre notre PDP en marque blanche à leurs clients.
Vous assistez régulièrement à des réunions avec la DGFIP. Avez-vous des informations sur le calendrier et les prochaines étapes de déploiement de la réforme ?
Nous avons eu confirmation de la sélection de quelques PDP pilotes pour organiser le mini-pilote autour du service annuaire en janvier 2025. Le 28 novembre 2024, on aura la liste des PDP participantes. Et le 15 janvier, les tests pourraient commencer. Si tout se passe bien, le service annuaire serait ouvert le 3 mars 2025. Et les autres PDP pourraient commencer à s'inscrire et à se déployer. La réforme pourrait donc commencer à se mettre en production, pour les volontaires, à partir de mars 2025. Donc ça vient assez vite maintenant, ça s'accélère.
(*) Il s'agit de grandes entreprises et d'entreprises de taille intermédiaire, selon le baromètre 2024 Markess & Generix. Des petites entreprises avaient, elles aussi, opté pour le PPF.
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