Facture électronique : "l'expert-comptable doit enfermer son client dans son écosystème"

Facture électronique : "l'expert-comptable doit enfermer son client dans son écosystème"

16.07.2024

Gestion d'entreprise

Usage de l’IA générative par les experts-comptables, engagement en termes de cybersécurité, réforme de la facture électronique… Arthur Waller, CEO de l'éditeur de logiciel Pennylane, répond à nos questions.

Selon Pennylane, à quoi l'IA générative peut-elle servir pour les experts-comptables ?

Un premier cas d'usage est l'aide au conseil. En gros, cela permet au collaborateur d'être plus proactif et de gagner du temps dans sa partie conseil au client. Concrètement, Pennylane peut générer automatiquement un commentaire d’un état financier, commentaire qui est exposé uniquement au cabinet. Cela n'a pas vocation à être parfait puisque le chatbot a uniquement accès à la donnée comptable du dossier. Il ne connaît pas le contexte de qui est le dirigeant, quel est son objectif, etc. Le but est de faire passer la peur de la page blanche ressentie par le collaborateur. On sait qu'avec la facture électronique, il y a des collaborateurs, qui faisaient surtout de la saisie, qui vont devoir évoluer vers des rôles un peu plus de posture de conseil. Notre but est de les aider dans cette transition-là.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Deuxième cas d'usage, c’est ce qu'on appelle le compte assistant qui a deux sous-cas d’usage. On demande à l'utilisateur si sa question est d'ordre métier comptable ou porte sur l’utilisation de Pennylane. Pour la question d'ordre métier comptable, on apporte une réponse très comptable, par exemple dans quel compte imputer une dépense.

Concernant l'usage de Pennylane, cela peut-porter par exemple sur comment amortir une toiture en béton. Le bot va répondre en citant ses sources et dire qu’il faut définir un plan d'amortissement, une méthode initiale, la durée de vie utile, etc. Et en donnant un peu de concret, en indiquant par exemple 40 ans pour une toiture en béton. L’utilisateur peut ensuite lui demander le schéma d'écriture comptable correspondant. L’outil va alors sortir le modèle d'écriture à passer.

Aujourd’hui, vous avez un peu deux bots. Un qui est plus généraliste qui ne prend pas encore en compte le contexte du dossier. Et l'autre qui prend uniquement en compte le contexte du dossier mais qui ne connaît pas le métier, pas la comptabilité, etc. On travaille à les fusionner et faire en sorte qu’idéalement, quand je pose une question à l’outil, il me réponde en connaissant le contexte du dossier que je suis en train de traiter.

L'exemple que vous prenez du schéma d'une écriture comptable d'une dotation aux amortissements existe depuis très longtemps dans des logiciels classiques, c'est à dire qu’à partir du moment où le logiciel est compétent et qu’il a compris qu'on veut amortir telle immobilisation il génère le plan d'amortissement et il est capable de générer l'écriture comptable correspondante. Donc de ce point de vue-là, je ne suis pas sûr de voir quelle est la valeur ajoutée de votre approche.

Dans un logiciel classique vous allez créer une immobilisation que vous appelez toiture, vous allez dire [un amortissement sur] 25 ans, etc. Et ça va vous générer vos écritures. La vraie différence, c'est qu'il n'y a pas d'intelligence, c'est à vous de fixer la durée d’amortissement.

Mais une fois qu'on a rentré le nombre d'années d'amortissement et le mode d'amortissement, le logiciel peut générer l'écriture. Cela existe depuis longtemps.

La révision, c'est un peu débugger de la compta

Exactement. Mais l’IA suggère des questions à poser en repérant des anomalies pour faire gagner du temps dans la révision. Par exemple pourquoi ça ne cadre pas entre la comptabilité et ce qu’il y a dans le module d'immobilisation. La révision, c'est un peu débugger de la compta.

Et le Graal, c'est quand le chatbot va savoir coupler la donnée métier, c’est-à-dire en gros ce que la loi ou la doctrine disent de faire, avec ce cas-là, au vu des données du dossier dans Pennylane, et ainsi recommander une action que j'accepte ou que je refuse.

Autre cas d'usage, qu’on appelle query builder. En gros, on transforme une question en langage naturel en requête SQL. C’est quelque chose que l'IA sait très bien faire. Par exemple, pour indiquer quels sont, dans le portefeuille, les dossiers qui font plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires et qui ont comme fournisseur EDF. Aujourd'hui, un expert-comptable galère un peu à sortir cette info. Demain, l'IA la fournira en deux secondes parce que concrètement c'est une requête SQL sur la base, ce qui est super simple.

Et on garantit que toutes les données envoyées à l’IA générative restent chez nous, c’est-à-dire qu’elles ne sortent pas de nos serveurs.

Je voudrai revenir sur le premier cas d'usage dont vous avez parlé, celui de la génération de recommandations, de conseils sur la base des états comptables. On voit bien a priori l'intérêt. J'entends très souvent que, effectivement, l’IA générative permet de gagner du temps. Une des précautions, une des limites, c'est que ça ne va pas transformer quelqu'un qui n'est pas spécialiste en un spécialiste. Vous parliez d’un collaborateur qui fait de la saisie qui ainsi pourrait avoir des suggestions de conseils financiers. Mais si ce collaborateur ne fait que de la saisie, a priori, je ne suis pas du tout persuadé qu'il ait les compétences, même avec de l'IA générative, pour aller faire du conseil financier. Donc de ce point de vue là, ça semble assez théorique ce que peut apporter l'IA générative.

Oui, clairement pour moi, ça ne suffit pas. Il y a un besoin de formation des collaborateurs dans les cabinets sur des compétences dures et des compétences plus soft skills. Moi, si j'étais patron de cabinet d'expertise comptable, le truc qui m'empêcherait de dormir aujourd'hui, c'est comment je vais reformer mes collaborateurs pour le métier de demain. Après, ce que je dis, c'est que quand bien même on les a formés, ils peuvent avoir une peur de la feuille blanche. Et s'ils arrivent le matin dans Pennylane et qu'on leur dise « tiens, je pense qu'aujourd'hui tu devrais contacter tel client. Et puis au passage je t’ai prérédigé un peu un brouillon sur ce que tu peux lui dire», peut-être que ça met le pied à l'étrier. Ca peut être une aide précieuse.

Est-ce que Pennylane s'engage sur certains sujets auprès des cabinets comptables, voire aussi auprès des clients TPE-PME des cabinets comptables, en matière de cybersécurité ?

Nous sommes hébergés chez Amazon web services, forteresse la mieux gardée

Oui. Je vous invite, si vous voulez creuser le sujet, à aller en bas de notre site. Vous y trouverez beaucoup d’infos sur tout ce qu'on fait en matière de protection des données et notamment de prévention du risque cyber. Nous sommes hébergés chez Amazon web services, forteresse la mieux gardée. C'est notre premier gage de protection. Même s’il ne nous rend pas inviolables. En parallèle, on investit assez massivement pour protéger les données de nos utilisateurs. Pour vous donner une idée, on a à peu près 10 personnes chez nous, à temps plein, qui ne font que ça.

Vous êtes combien à peu près chez Pennylane ?

450 personnes dont à peu près 230 en R&D. De plus, dans chaque équipe R&D, il y a un ambassadeur cyber. Dès qu'on réalise de nouvelles fonctionnalités, cela est pensé nativement avec le risque cyber.

Notre temps de recovery [rétablissement] est d’une heure

Et être chez Amazon nous procure des avantages non seulement en termes de protection mais aussi de redémarrage s'il y a un souci. Amazon nous met à disposition des outils, qu'on appelle infrastructure as code, qui font que si jamais notre infrastructure était amenée à tomber, ce sont des scripts qui feraient repartir le tout. Nous faisons des tests d’intrusion et de recovery assez souvent. Aujourd'hui, notre temps de recovery [rétablissement] est d’une heure.

Est-ce que ça veut dire que si demain Pennylane subit une cyberattaque, vous vous engagez pour que dans l'heure qui suit les cabinets comptables clients puissent continuer à travailler ?

Je ferais faillite si je dédommageais un cabinet à hauteur de 10 jours non travaillés

Vous avez toutes ces infos dans nos SLA [service level agreement]. Après, toute la question, pour Pennylane comme pour n'importe qui d'autre, porte sur les pénalités maximales qu'on encourt. Oui si après une heure, on n'est pas live, on peut nous demander des pénalités. Mais aujourd'hui, pour la plupart des éditeurs Saas, le maximum des pénalités qu’on peut leur demander c'est souvent ce qui a été payé en abonnement. C’est le cas avec Pennylane comme avec Microsoft comme avec n’importe qui. Mais la perte à laquelle peut être exposé un cabinet pour ne pas pouvoir travailler pendant trois jours est bien plus importante que ce qu'il a payé en abonnement à son éditeur Saas. Je ferais faillite si je dédommageais un cabinet à hauteur de 10 jours non travaillés. C’est ça tout l'enjeu. Je n'ai pas de solution magique même si on s’engage.

Concrètement, l'heure dont vous me parliez, je ne suis pas sûr de comprendre à quoi ça correspond, à quoi ça renvoie.

C'est-à-dire qu'à partir du moment où j’arrête mon serveur parce qu'il est hacké j'ai toute une infrastructure qui est automatisée où je fais repartir des nouveaux serveurs soit dans un nouveau datacenter soit dans le même datacenter. C’est pour ça qu'en une heure les nouveaux sont prêts. Nous réalisons des tests pour faire exprès de faire tomber le serveur et nous vérifions que, effectivement, en une heure, tout repart. Après, vous ne pouvez jamais prévoir le cas extrême. Notre job est d’investir pour protéger et de sensibiliser nos utilisateurs à la fois internes et les cabinets pour minimiser le risque d'intrusion.

Que pensez-vous du projet de généralisation de la facture électronique, que soit en termes de calendrier que de modalités de préparation de cette réforme ?

Ce qui est certain, c'est qu'on va y aller de toute façon. Notamment parce que tous les pays européens sont en train d'y aller. Le vrai sujet, c'est la timeline [calendrier]. Si j’étais Bercy, mais je ne le suis pas, j’aurais plutôt échelonné la réforme en disant de faire d'abord la facture électronique puis le e-reporting puis les cas complexes. Le fait de faire un package complet rend la chose assez indigeste. Il y a eu une rumeur sur un nouveau report de la réforme. L’administration a démenti. On a vu les dernières spécifications sortir il y a une semaine ou deux sur la partie facture électronique (*). Donc le calendrier est tenu là-dessus.

Ce qui va vraiment accélérer les choses c'est la sortie de l’annuaire. A partir de là, les gens vont commencer à goûter pour de vrai à la facture électronique. Ce qui les intéresse c’est que les factures arrivent directement et que la facture d'achat soit déjà saisie.

Je reviens sur un autre sujet concernant la cybersécurité. J'entends des voix dire qu'il serait peut-être intéressant d'imposer légalement une sorte de certification de la cybersécurité à toutes les entreprises ou à un grand nombre d’entre elles. Et qu’on avance en matière de reporting d'entreprise avec celui comptable qui existe depuis très longtemps et, depuis peu, en tout cas pour certaines entreprises, avec le reporting de durabilité qui au passage n’évoque pas la cybersécurité, ce qu’on peut trouver étrange d’un point de vue conceptuel. Comment peut-on être certain qu'une entreprise est durable alors qu'on ignore complètement si elle est sécurisée au plan cyber ! Donc certains disent qu’il faudra peut-être ajouter une brique de cybersécurité. Que pensez-vous de cette idée ?

Pourquoi pas. En tout cas, la cyber, tout comme d'ailleurs la certification des comptes, c'est le genre de problème où, si on n'impose pas aux gens de se protéger, ils ne le font pas. C’est dans l'intérêt de l'État et des entreprises de prendre les mesures en amont. Donc je serais plutôt favorable. Et je pense que les cabinets pourraient avoir un rôle à jouer. Après, il faut acquérir les compétences aussi dessus.

Est-ce qu'il y a des choses de cet ordre-là qui s'imposent aux éditeurs de logiciels, c’est-à-dire une sorte de certification obligatoire légalement et non pas par le marché ?

Quand il y a eu l'affaire Coaxis, des personnes, d'ECF je crois, sont venues me voir en me disant est-ce que vous seriez prêt à participer à une sorte de label des éditeurs de la profession pour que les gens puissent avoir une grille de lecture sur vos investissements pour faire face au risque cyber. J'avais dit être ouvert mais aucune suite ne m’a été donnée.

Le mouvement Ensemble pour agir ! propose de créer une agence de notation des éditeurs de logiciels. Je ne sais pas si c'est à ça que vous pensez ?

C'est encore une autre initiative. Pourquoi pas, je trouve ça bien. Après il faut que ce soit objectif. Pour un expert-comptable qui n'a pas les moyens de se payer les ressources internes pour analyser les différentes offres, sachant qu’on parle d'outils ultra clés pour le cabinet et avec une profondeur d'offres de services qui est énorme, ce serait bien de proposer une grille de lecture. Mais il ne faudrait pas qu’elle soit biaisée par un éditeur qui pousse sa philosophie.

Pennylane a combien de clients experts-comptables ?

Il y a 2 800 cabinets qui ont un compte cabinet sur Pennylane. 30% d'entre eux ont l'intégralité de leur portefeuille tenue sur Pennylane.

Sur le sujet de la facturation électronique, est-ce que vous pensez que les experts-comptables ont intérêt à laisser largement la main à leurs clients en termes d'outillage ou bien plutôt à les pousser à prendre une solution ?

Je suis absolument convaincu que l'expert-comptable, c'est un peu moche dit comme ça, doit enfermer son client dans son écosystème même s’il ne l'imposera pas à 100% parce que, de toute façon, il n'y a pas une PDP qui sera bien pour 100% des clients. Mais si l'expert-comptable n'arrive pas à équiper la majorité de ses clients de son outil qui est bien compatible avec lui, il sera en permanence en train de courir derrière la donnée ou d'avoir de la donnée qui arrive chez lui dans son outil de production mais pas bien synchronisée.

[note de la rédaction : le service de presse de Pennylane nous apporte, le 23 juillet, la réponse complémentaire suivante : "L’expert-comptable doit encourager ses clients à adopter son écosystème, même s'il ne peut évidemment pas l'imposer à 100%, car il n'existe pas de solution universelle adaptée à tous les besoins clients et les nombreux cas de figure qui peuvent se présenter. Cependant, si l'expert-comptable ne parvient pas à équiper la majorité de ses clients avec un outil compatible, des problèmes de synchronisation des données notamment risquent de lui compliquer la tâche et de lui faire perdre un temps précieux"].

Dans le cahier des charges de la réforme il n'y a absolument pas cette notion de lettrage

Un expert-comptable a besoin de faire du lettrage. Or, dans le cahier des charges de la réforme il n'y a absolument pas cette notion de lettrage. Si demain le client utilise une solution à lui, l'outil de production du cabinet va juste recevoir l’information selon laquelle une facture est payée. Mais ça ne va pas lui automatiser le lettrage.

Quel est le chiffre d'affaires de Pennylane ?

Nous ne communiquons pas dessus. Mais je peux dire qu'on sera rentable normalement l'année prochaine.

(*) cette interview a été réalisée le 1er juillet

Propos recueillis par Ludovic Arbelet
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