Faut-il une inexécution fautive du contrat pour permettre la résolution judiciaire ?

15.02.2023

Gestion d'entreprise

Par un arrêt du 18 janvier publié au Bulletin, la Cour de cassation donne un éclairage attendu quant aux conditions permettant le prononcé d’une résolution judiciaire au regard des nouveaux textes applicables, aux contrats passés après le 1ᵉʳ octobre 2016 à la suite de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Dans cette chronique, Emmanuelle Faivre, counsel au sein du cabinet Reed Smith, revient sur la portée de cet arrêt.

En l’espèce, le 13 février 2020, une société exploitant un établissement d’hôtellerie et de restauration situé à Cannes avait signé avec une société proposant des prestations de traiteur un contrat par lequel cette dernière s’engageait à fournir des prestations de restauration pendant le salon du marché international des professionnels de l’immobilier (MIPIM) devant se tenir du 9 au 13 mars 2020. En raison de l’épidémie de Covid, le salon a été reporté puis définitivement annulé le 26 mars 2020.

Le 12 juin 2020, l’hôtel a mis en demeure la société de traiteur de lui restituer l’acompte versé au titre du contrat. Au motif que le contrat n’était pas résilié, le traiteur a refusé cette restitution. L’hôtel l’a alors assigné en résolution du contrat et restitution de l’acompte.

La cour d’appel rejeta ces demandes après avoir rappelé que le contrat prévoyait une retenue de 100 % du prix des prestations commandées en cas d’annulation tardive comme c’était le cas en l’espèce et en énonçant, que si l’annulation du salon avait empêché la société de traiteur d’exécuter sa prestation de traiteur, elle n’a pas empêché l’hôtel de remplir son obligation de verser les sommes contractuellement prévues et que, bien que l’inexécution du contrat ait été totale et d’une gravité suffisante, elle ne pouvait être considérée comme fautive puisqu’elle avait été causée par l’annulation du salon.

Au vu de cette motivation, la Cour de cassation se devait d’apprécier si seule l’inexécution fautive du contrat permettait au créancier de se prévaloir de la résolution judiciaire ou si toute inexécution le permettait à condition, toutefois, de revêtir la gravité suffisante requise par l’article 1224 du code civil.

La résolution judiciaire ne suppose pas l'inexécution fautive du contrat

En effet, la Cour a adopté dans la décision commentée une position claire en cassant l’arrêt d’appel qui avait refusé de prononcer la résolution du contrat et la restitution de l’acompte litigieux malgré l’inexécution totale du contrat et en présence d’une inexécution d’une « gravité suffisante » au motif que celle-ci ne pouvait être qualifiée de fautive puisqu’elle était la conséquence du salon et en indiquant que le seul constat que les prestations objet du contrat n’avaient pas été exécutées justifiait la résolution judiciaire, le tout au visa des articles 1217, 1227 et 1229 du code civil.

Ainsi, pour la Cour, la résolution judiciaire n’est pas seulement la sanction de l’inexécution contractuelle imputable au débiteur mais permet de solliciter qu’il soit mis fin au contrat dès lors qu’il y a inexécution contractuelle d’une gravité suffisante et ce, indépendamment de son caractère fautif.

Tel était évidemment le cas en l’espèce dès lors que l’annulation du salon immobilier avait privé le contrat litigieux de toute exécution de la part de la société de traiteur.

Fin d'une certaine controverse doctrinale et continuation de la jurisprudence antérieure majoritaire

Si cette solution jurisprudentielle est claire et dépourvue d’ambiguïté, elle permettra sans doute d’apaiser quelques débats doctrinaux (et au passage, quelques litiges qui se nourrissaient de cette ambiguïté).

En effet, pour certains auteurs, depuis la réforme de 2016, l’inexécution justifiant le prononcé de la résolution judiciaire devait être fautive, c’est-à-dire imputable au débiteur. Il a ainsi pu être affirmé que, si un événement de force majeure empêche l’exécution, sa résolution pourra intervenir « de plein droit » (article 1218 alinéa 2 du code civil), c’est-à-dire en dehors de toute décision judiciaire même si rien ne devrait toutefois empêcher créancier, s’il le souhaite, de privilégier la voie judiciaire, notamment pour éviter la contestation ultérieure du débiteur défaillant.

Cependant, la très grande majorité des auteurs reconnaissaient que ces débats n’animaient que la doctrine alors que tant la loi que la jurisprudence ne distinguaient pas la cause justifiant la résolution judiciaire et l’autorisaient ainsi plus largement.

Ainsi, la jurisprudence avait depuis longtemps admis la résolution même dans le cas d’une inexécution non fautive due à un cas de force majeure et prononçait la résolution aussi bien lorsque l’inexécution provenait d’une cause étrangère que lorsqu’elle était imputable à la faute ou à la négligence du défendeur.

Au regard des nouveaux textes, la solution semble bien établie par cette décision du 18 janvier 2023, qui conforte les solutions jurisprudentielles antérieures.

Pallier les éventuelles difficultés pour un créancier à se prévaloir d'un événement de force majeure

Au vu du contexte particulier des faits de l’espèce liés à l’épidémie de Covid-19, il pouvait sembler envisageable d’opter pour une demande fondée sur la force majeure.

Or, notamment depuis un arrêt rendu le 25 novembre 2020 par la Première chambre civile de la Cour de cassation, l’invocation par un créancier d’un événement de force majeure peut sembler quelque peu périlleuse lorsqu’il souhaite notamment mettre fin à un contrat alors qu’il n’aurait pas pu profiter de la prestation attendue.

En effet, cette décision de 2020 rendue au visa du nouvel article 1218 du code civil relatif à la notion redéfinie de la force majeure contractuelle et largement diffusée a refusé que le seul fait pour un créancier de ne pouvoir profiter de sa prestation puisse le libérer, par voie de conséquence, de son obligation d’en payer le prix.

Dans ce contexte, le choix d’orienter les demandes sur la résolution judiciaire prévue à l’article 1227 du code civil et non sur la force majeure est une stratégie judicieuse qui, par cette décision du 18 janvier 2023, se voit consacrée comme reposant sur une base juridique solide.

Ainsi, au regard de cette décision du 18 janvier 2023, le justiciable souhaitant exercer une résolution judiciaire aura la charge de la preuve de l’inexécution contractuelle d’une gravité suffisante pour se délier du contrat et obtenir le cas échéant restitution des prestations d’ores et déjà effectuées, étant rappelé que la gravité suffisante à laquelle l’article 1224 du code civil se réfère (et qui est laissé à l’appréciation des juges du fond) renvoie davantage aux conséquences objectives néfastes quant à l’équilibre et l’exécution du contrat qu’au caractère blâmable subjectif du comportement du contractant qui n’exécute pas ses obligations, sans que le demandeur n’ait à rapporter la preuve de la faute de son cocontractant.

Enfin, la solution donnée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 18 janvier 2023 rejoint une solution ancienne car, même avant l’instauration du code civil, Domat admettait la résolution, même en l’absence de faute du défendeur en ces termes : « L’inexécution de la part d’un des contractants peut donner lieu à résolution, soit qu’il ne puisse, soit qu’il ne veuille exécuter son engagement »… 

 

 

Emmanuelle Faivre

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