"Festina lente" : pour des transformations équilibrées

"Festina lente" : pour des transformations équilibrées

20.11.2022

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Philippe Hancart, directeur du développement de Sémaphores et associé du Groupe Alpha, explique comment une transition écologique trop rapide viendrait fragiliser l'emploi dans les secteurs en mutation.

"Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?". A cette question posée par E. Lorenz en 1972, la réponse est oui pour ce qui concerne nos économies et sociétés modernes. Plus les systèmes sont interconnectés, plus les relations de cause à effet sont nombreuses, provoquant ici ou là des réactions en chaîne confirmant le propos de Lorenz.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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C’est le cas de la question écologique, un sujet que plus personne ne peut ignorer et qui pousse plusieurs industries à se transformer, parfois malgré elles. En France, certains salariés sont au centre de la tornade déclenchée par une inflexion des modes de consommation qui, eux-mêmes, conditionnent les modes de production.

L'électrification programmée des véhicules en est un premier exemple : avec une perte potentielle de 100 000 emplois directs d'ici 2035 (source : PFA, Plateforme, filière automobile et mobilités), l’industrie automobile française va être lourdement touchée et cela est sans compter avec l’impact sur les activités connexes, comme les activités d’entretien, de réparation, les réseaux de distribution de pièces et de carburant.

Autre exemple significatif, celui de Vallourec, fabricant de tubes pour l’industrie pétrolière et gazière. Les salariés des Hauts-de-France, après ceux de l’usine normande, subissent une restructuration déclenchée - au-delà des problèmes liés à l’endettement du groupe - par une inflexion des modes de consommation d’hydrocarbures en Europe et par un déclin de la production mondiale de pétrole prévue d’ici 2030 (1). Ce dernier entraîne le repli de l’exploration, lui-même générant le recul du besoin en tubes pour l’acheminement de l’or noir. A cela, s’ajoute la concurrence d’usines plus performantes ailleurs dans le monde en raison de leurs coûts de main d’œuvre plus compétitifs. Tout est étroitement lié.

Ceux qui estiment que la transition écologique ne se fait pas assez vite ont, là, sous leurs yeux, deux illustrations de sa marche inexorable. Mais, du point de vue des salariés des Hauts-de-France, ce rythme de transformation industrielle est bien évidemment trop rapide et brutal. C’est ce que rappelait Jean-Dominique Senard, président du groupe Renault, lors du débat organisé par le Groupe Alpha le 15 septembre dernier sur les enjeux de la transition écologique : "ne refaisons pas la même erreur avec l'électrique que celle commise avec le diesel. L'arrêt trop brutal d'une technologie réduit les capacités d'anticipation sur le plan industriel mais aussi sur le plan social en limitant les possibilités de reconversion".

Les constructeurs étaient en effet parvenus à un niveau élevé d’optimisation de la consommation des moteurs. Il n’est pas certain que la mise en production à plein régime de centrales à charbon pour fournir de l’énergie nécessaire aux besoins massifs de recharge des batteries des véhicules électriques soit une meilleure source de réduction des gaz à effets de serre. D’autres pistes alternatives sont en parallèle envisageables, avec, toutes, un impact sur la consommation d’énergies fossiles : réduire le poids des véhicules et la puissance des moteurs, mixer les sources d’énergies (pétrole, électrique et hydrogène). En basculant sur le tout électrique, certains pointent déjà du doigt une pénurie rapide des ressources en lithium, cobalt ou nickel.

Carlos Tavarés, Directeur Général de Stellantis, est, de son côté, encore plus tranché. Il juge naïf le choix de l’Union Européenne. Les véhicules chinois sont proposés à un prix plus compétitif que les véhicules construits en Europe. Un tapis rouge, selon ses termes, a été déroulé aux constructeurs de l’Empire du Milieu. Repousser la date du "new gas-powered car ban" serait donc une sage option.

Le secteur aéronautique a montré, lui, que l’anticipation était clef dans la gestion des transformations. Le premier vol propulsé par une pile à combustible à hydrogène date de 2008. Boeing était à l’origine de cette innovation. L’Union Européenne lance la même année le programme Clean Sky (2) visant à développer la recherche et l’innovation pour un ciel plus propre. Toujours en 2008, les premiers biocarburants sont mélangés à l’avitaillement des avions. Dix ans plus tard, un B777 de l’entreprise Fedex effectuait un vol complet, alimenté avec du seul biocarburant. Le 28 mars dernier, Airbus annonçait avoir certifié un vol de trois heures sur A380 avec du SAF (3), produit par TotalEnergies près du Havre, et affichait pour ambition de certifier tous ses avions 100 % SAF d’ici la fin de la décennie. L’avionneur européen, en s’engageant sur la voie de la réduction de la consommation des réacteurs avec ses motoristes, la recherche et l’innovation sur les matériaux pour limiter le poids total de l’appareil, a réduit la consommation moyenne de 30 % de ces avions et pris la première place devant Boeing en termes de ventes depuis maintenant trois ans. Au passage, il s’est ainsi assuré plusieurs années de production qui structureront l’emploi de la filière au niveau européen. Sans s’arrêter là, il a également lancé un démonstrateur A380 pour le développement d’un appareil à combustion à hydrogène. Dans l’aviation générale, les concepts et prototypes de VTOL (4) propulsés par des batteries électriques se multiplient depuis plusieurs années. Certains observateurs comparent la période actuelle à celle des années trente, au siècle dernier, au cours de laquelle la recherche et l’innovation avaient permis de faire fleurir de nombreux projets et modèles, les plus visionnaires comme les plus fous. Tous n’ont pas abouti mais ils ont contribué à façonner l’aviation d’aujourd’hui. C’est le cas actuellement alors que les projets alternatifs se comptent en centaines. Il est intéressant de voir comment l’Union Européenne a traité de façon différente deux secteurs confrontés à la transition énergétique. Pour l’un, l’anticipation, avec un programme d’initiative conjointe, pour l’autre, un "ban" imposé. Dans le premier cas, l’innovation se développe, dans le second cas, le secteur automobile, moins chanceux, est fragilisé.

Il existe également une dimension sous-jacente à cette transition écologique : la désindustrialisation. Prenons la liste des secteurs considérés comme polluants. Sont concernés, entre autres, la métallurgie, le textile, les matériaux de construction (et, au premier chef, les cimentiers), le papier et le carton, la chimie, le verre, l’agro-alimentaire, l’automobile et l’aéronautique qui sont, rappelons-le, pour ces deux derniers secteurs, deux avantages comparatifs français (5). Avec le poids de la question climatique, la tendance à exporter les industries polluantes hors de la zone euro s’installe. La population active employée dans l’industrie au sens large dans le PIB français n’a cessé de décroître pour atteindre 12,4 % ; sans que les efforts de relocalisation permettent d’endiguer le phénomène à ce jour. Pouvons-nous devenir un pays sans industrie ?

Face à ces phénomènes complexes, le seul angle écologique ne peut pas servir d’analyse. Un rythme soutenu des transformations est aujourd’hui imposé par l’urgence climatique. Mais ce que nous gagnerons en rapidité dans la course au climat impliquera une adaptation coûteuse d’un point de vue social. Donner le temps nécessaire à ces transformations n’est pas renoncer à la protection de la planète. Nous vivons un moment historique, concernant, notamment, le taux de chômage qui est passé sous la barre des 8 % - ce qui n’était pas arrivé depuis 2008 -. Mais nous sommes touchés par une crise géopolitique et par un retour de l’inflation qui fragilise les économies, les entreprises et les salariés. Le risque de cumul des crises économiques et des crises sociales est particulièrement fort. La spirale récessionniste peut rapidement s’installer. Or, personne n’y a intérêt.

Le rythme de transition imposé par la Commission européenne dans le dossier automobile - et auquel la France a souscrit - est trop élevé pour permettre la transition sociale sans dommages. Les moyens mis en œuvre pour mener cette transition sociale ne sont pas aujourd’hui suffisants. Nous ne pouvons qu’enjoindre nos dirigeants nationaux et européens à se hâter lentement – "festina lente" - pour concilier les équilibres économiques, sociaux et environnementaux. Que le propos soit bien compris, il ne s’agit pas de scepticisme climatique mais de pragmatisme, se hâter lentement, c’est marcher à la fois de façon déterminée pour atteindre les objectifs de transition écologique mais avec un rythme prudent pour ne pas compromettre par témérité le succès auquel on aspire.

 

(1) Matthieu Auzanneau dans Pétrole, le déclin est proche.

(2) https://www.clean-aviation.eu/

(3) SAF : Substainable Aviation Fuel

(4) VTOL : Vertical Take-off and landing

(5) Au sens de la NDIT, Nouvelle Division Internationale du Travail

Philippe Hancart
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