Frilosité, incohérence, incomplétude : à propos de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 octobre 2019 sur le barème

Frilosité, incohérence, incomplétude : à propos de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 30 octobre 2019 sur le barème

06.11.2019

Gestion du personnel

Julien Icard, professeur de droit privé à l’université polytechnique Hauts-de-France, analyse l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 30 octobre dernier. Les juges parisiens ont estimé que le barème d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse était bien conforme aux normes internationales.

Dans un arrêt du 30 octobre 2019, la cour d’appel de Paris s’est à nouveau (1) prononcée, quelques semaines après la cour de Reims (2) et quelques mois après la Cour de cassation (3), sur la conventionnalité du barème Macron prévu à l’article L.1235-3 du code du travail.

Sans revenir de manière exhaustive sur cette saga, partie du conseil de prud’hommes de Troyes (4), initiée par le Syndicat des Avocats de France et alimentée par certains écrits doctrinaux (5), il y a lieu de rappeler que la Cour de cassation semblait y avoir mis un terme dans deux avis rendus le 17 juillet 2019. Réunie en formation plénière, cette dernière avait accepté, contre toute attente, de se prononcer sur la conventionnalité du barème. Ecartant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en considération de ce que les dispositions n’entraient pas dans son champ d’application et l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui serait dénué d’effet direct entre particuliers, elle était d’avis que le barème était conforme à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.

Se cantonnant à un contrôle in abstracto, sans doute le seul possible dans le cadre d’une demande d’avis, la Cour de cassation a été débordée par certaines juridictions du fond laissant ouverte, au moins sur le principe, la faculté d’un contrôle in concreto (6). Il s’agirait pour le juge de se demander si l’atteinte par le barème aux droits du salarié d’obtenir une indemnité adéquate ne serait pas, dans le litige et compte tenu de la situation personnelle du salarié, disproportionnée. Une telle "approche repose sur une reconnaissance de principe de la conventionnalité du barème. Ce n'est qu'à titre exceptionnel que son inconventionnalité serait admise, en raison des circonstances factuelles d'une affaire" (7). .

C’est à l’aune de ces différentes décisions qu’il convient d’apprécier l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 30 octobre dernier qui est frileux, incohérent et incomplet.

Frilosité

La cour d’appel de Paris adopte la quasi-totalité du raisonnement tenu par la Cour de cassation dans ses deux avis, ce qui témoigne, à défaut d’effet obligatoire, de l’autorité symbolique forte attachée aux avis rendus en formation plénière. La cour d’appel reprend presque mot pour mot les motifs de la Cour de cassation concernant l’argument de la contradiction entre le barème et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, jugeant que les dispositions en cause ne créaient qu’un obstacle matériel et non procédural à l’accès au juge et n’entraient pas dans le champ de l’article précité. Bien plus, c’est la reprise par la cour d’appel de la formule de la Cour de cassation relative à l’article 24 de la Charte sociale européenne qui révèle sa pusillanimité : "les dispositions de l’article 24 de ladite Charte […] ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers". L’usage de cette formule présente dans les deux avis de la Cour surprend pour plusieurs raisons. D’abord, elle n’est assortie d’aucune justification. La cour d’appel ne se donne pas la peine de reprendre la motivation de la Cour de cassation. Or, la solution comme la justification sont très largement sujettes à controverses (8). D’ailleurs, et c’est la seconde raison, la cour d’appel de Reims s’est démarquée sur ce point : se fondant sur une approche objective des dispositions conventionnelles, elle a jugé que l’article 10 de la Convention OIT comme l’article 24 de la Charte sociale européenne, "qui sont tous deux rédigés de façon très proche […] bénéficient d’un tel effet direct, permettant à [la salariée] de s’en prévaloir dans le litige prud’homal". Enfin, une telle carence de motivation et, pour tout dire, une telle facilité rédactionnelle, dissimulent assez mal, comme nous l’avions souligné pour la Cour de cassation, l’évitement du problème principal, à savoir la question de la portée des décisions du Comité européen des droit sociaux (CEDS). Afin de ne pas avoir à lui refuser en aval une autorité interprétative, reconnue par ailleurs au comité d’experts de l’OIT (9), il est bien plus aisé de refuser en amont toute invocabilité des dispositions de la Charte sociale.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Incohérence

Toujours à propos de l’effet direct, l’arrêt de la cour d’appel de Paris laisse par ailleurs apparaître une certaine incohérence, preuve une nouvelle fois que la reprise de la formulation de la Cour de cassation est bien artificielle. D’un côté, elle affirme que les articles 4, 9 et 10 de la Convention n°158 OIT "sont d’application directe en droit interne". Ni explication à partir des critères classiques, ni précision sur l’horizontalité ou la verticalité de cet effet direct. Le décalque des avis est une fois encore patent, ces derniers n’ayant fourni aucune raison susceptible d’admettre, pour la Convention n°158 de l’OIT, ce qui avait été écarté pour l’article 24 de la Charte sociale européenne (10). De l’autre, la cour d’appel ne prend pas la peine de poser la question de l’effet direct à propos de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, alors qu’était en cause dans cet arrêt la compatibilité du barème aux articles 20, 21 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’argument ne manquait pas d’intérêt : appliquer le barème à des salariés licenciés conduirait à traiter de manière analogue des situations différentes, ce qui contreviendrait à la vision européenne de l’inégalité de traitement. Or, se poser la question de la possible contrariété du droit interne vis-à-vis du droit de l’Union européenne suppose nécessairement de s’interroger sur l’invocabilité directe des dispositions en cause. Pourtant, la cour d’appel, après avoir rappelé le contenu des trois dispositions et l’argument des syndicats intervenants, juge que "l’inégalité de traitement alléguée n’est pas démontrée". Ainsi, la cour d’appel se livre au contrôle de conventionnalité, pour conclure à l’absence de contrariété, sans analyse de l’effet direct des dispositions en cause. Si l’article 21 de la charte a pu être jugé d’effet direct par la Cour de Justice de l’Union européenne (11), il n’en va pas de même en particulier de l’article 30 de la Charte selon lequel "tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales". Un examen rapide du contenu de l’article à l’aune des critères traditionnels de l’effet direct suggère pourtant qu’il est loin d’être auto-suffisant et a peu de chances d’être invocable directement. En d’autres termes, toute invocabilité d’exclusion, même théorique, est sujette à caution et peu cohérente.

Incomplétude

La lecture attentive de l’arrêt de la cour d’appel de Paris laisse en définitive sur sa faim concernant l’intensité du contrôle de conventionnalité. Dans un raisonnement quasi-identique à celui mené par la Cour de cassation dans ses deux avis, la cour d’appel juge le barème conformes aux articles 4, 9 et 10 de la Convention n°158 de l’OIT par une formulation très ambigüe : "la mise en place d’un barème n’est pas en soi contraire aux textes visés […] le juge français […] gardant une marge d’appréciation". Prima facie, la cour d’appel se livre à un contrôle abstrait du barème. Trois arguments militent en ce sens : l’usage des termes de "mise en place" et non de mise en œuvre, "d’un barème" et non du barème, voire d’une tranche spécifique du barème, et de l’expression "en soi". La cour d’appel de Paris ne se livre pas à une appréciation concrète de l’incidence du barème pour le calcul de l’indemnité adéquate du salarié en cause mais uniquement à un examen abstrait de l’effet du principe d’un barème impératif pour le juge français du travail. Pourtant, après ces réflexions générales, elle relate des éléments factuels relatifs au salarié (âge, droit au chômage, bénéfice d’une formation) lui permettant de conclure au caractère adéquate de l’indemnité versée au salarié pour le préjudice né de la rupture. Il en résulte une étrange impression, l’arrêt s’arrêtant au milieu du gué. Au regard des décisions rendues ces dernières semaines, l’arrêt est à ce titre particulièrement en retrait. Certes, selon la cour d’appel de Reims, le contrôle concret ne peut être mis en œuvre d’office par le juge et doit être demandé par le salarié. Néanmoins, cette carence procédurale n’avait pas empêché la cour d’appel de Reims de donner les grandes lignes d’un potentiel contrôle in concreto. La cour d’appel de Paris fait quant à elle le strict minimum dans un arrêt somme toute assez décevant.

 

[1] Voir déjà cour d'appel Paris, 18 septembre 2019, RG 17/06676 ;

[2] Cour d'appel de Reims, 25 septembre 2019, RG 19/000003 ;

[3] Cassation formation plénière, 17 juillet 2019, n°15012 et n°15013 ; JCP G 2019, 826, note G. Loiseau ; Lexbase éd. Social, 25 sept. 2019, n°792, note P. Lokiec ; JCP S 2019, act. 289, note G. Loiseau et N. Collet-Thiry ; SSL n°1871, 26 août 2019, note J. Icard ; BJT sept. 2019, p. 18, obs. G. Duchange ; Dr. ouv. nov. 2019, n°856, p. 659, note M. Henry et M.-F. Bied-Charreton. V. égal. : Cass. soc., 25 septembre 2019, n°19-70014, BJT nov. 2019, n° 112j4, p. 26, obs. J. Icard ;

[4] CPH Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00036 ; LexBase Hebdo éd. Social, 10 janv. 2019, n°767, note S. Tournaux ; Dr. soc. 2019, 122, note J. Mouly ; BJT janv. 2019, p. 9, note J. Icard ;

[5] J. Mouly, "Le plafonnement des indemnités de licenciement injustifié devant le Comité européen des droits sociaux", Dr soc. 2017, 785 ; "L’indemnisation du licenciement injustifié à l’épreuve des normes supra-légales", Dr ouvr. juillet 2018, n° 840, p. 435 ;

[6] Cour d'appel de Reims, 25 septembre 2019, RG 19/000003 V. déjà en ce sens antérieurement : Cour d'appel de Chambéry, 27 juin 2019, n°18/01276 ;

[7] J. Mouly, "L'inconventionnalité du barème : une question de proportionnalité ?", Dr. soc. 2019, 234 ;

[8] Voir nos critiques : "Avis relatifs au barème Macron : la stratégie du flou", préc. ;

[9] Arrêt de la Cour de cassation, 14 novembre 2018, n°17-18259 ; RDT 2019, 196, note G. Pignarre ; Gaz. Pal. 12 mars 2019, p. 53, obs. A Bugada ; BJT janv. 2019, p. 18, obs. J. Icard ;

[10] Voir nos critiques : "Avis relatifs au barème Macron : la stratégie du flou", préc. ;

[11] CJUE, 15 janvier 2014, Association de médiation sociale, C‑176/12 ; CJUE, 19 janvier 2010, Kücükdeveci, C-555/07 ; CJUE, 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16 ; CJUE, 6 novembre 2018, C‑569/16 et C‑570/16.

Julien Icard
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