Fusions-absorptions : feu vert au transfert de la responsabilité pénale

Fusions-absorptions : feu vert au transfert de la responsabilité pénale

22.12.2020

Gestion d'entreprise

Le 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation, en sa forme solennelle, a opéré un important revirement de jurisprudence en matière de transfert de responsabilité pénale entre personnes morales en cas de fusion-absorption. Benoît Charot, avocat associé, Yéléna Nobou, avocat et Margot Lacaud, avocat, Reed Smith, nous livrent leur analyse dans cette chronique.

Le 25 novembre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt qui va considérablement bouleverser la pratique des fusions-absorptions. Désormais, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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En contrepartie, la société absorbante bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, et peut ainsi se prévaloir de tout moyen de défense que cette dernière aurait pu invoquer. C’est le cas notamment des éventuelles exceptions de nullité de procédure.

Jusqu’à cette décision, la chambre criminelle interprétait l’article 121-1 du Code pénal comme interdisant d’engager des poursuites pénales contre la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.

Cette solution était attendue puisqu’elle s’aligne sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-343/13) et sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14). En revanche, elle ne s’appliquera qu’à certaines opérations de fusions conclues postérieurement au 25 novembre 2020, sauf si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale.

Quelles sont les conditions ?

Si la Cour de cassation accepte que la responsabilité pénale de la société absorbée soit transférée à la société absorbante, celle-ci soumet ce transfert à des conditions strictes et cumulatives :

  • les sociétés, absorbante et absorbée, doivent relever du champ d’application de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017. Sont visées les fusions entrant dans le champ d’application de la directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978 relative aux fusions des sociétés anonymes, codifiée à l’article 105 de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017. Bien que cette directive ne le mentionne pas expressément, il est admis que les sociétés par actions simplifiées entrent dans son champ d’application, ces dernières empruntant plusieurs dispositions au régime des sociétés anonymes (art. L. 227-1 al. 2 du Code de commerce) ;
  • la fusion doit avoir entrainé la dissolution de la société absorbée mise en cause. Les apports partiels d’actifs n’entrainant pas la dissolution de la société apporteuse, ils ne devraient donc pas être concernés par ce revirement. En revanche, une question subsiste à propos des scissions pour lesquelles la jurisprudence avait écarté la transmission de la responsabilité pénale sur le fondement de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CA Paris, 14 mai 1997, n°96/85036) ;
  • seule une peine de nature patrimoniale (amende ou confiscation) est susceptible d’être prononcée à l’égard de la société absorbante. Par conséquent, toutes les autres peines, telles que l’interdiction d’exercer sont exclues.
  • seules les opérations postérieures au 25 novembre 2020 sont concernées par cette nouvelle solution. A noter que la chambre criminelle a précisé que cette interprétation nouvelle de l’article 121-1 du Code pénal ne s’appliquera qu’aux fusions postérieures au 25 novembre 2020, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Une limite à l’application de la nouvelle solution : la fraude à la loi

En revanche, si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale, et notamment aux conséquences des infractions commises, la responsabilité pénale de la société absorbante pourra être engagée sans qu’il soit nécessaire que soient remplies les conditions précitées.

Ainsi, dans cette hypothèse, la fusion frauduleuse pourra ne pas entrer dans le champ d’application de la directive et toute sanction pénale pourra être appliquée.

Enfin, le régime particulier de la fraude à la loi s’appliquera aussi bien aux fusions-absorptions antérieures, que postérieures à la date de la décision.

Quelles sont les mesures que les entreprises vont devoir prendre ?

Cette importante décision n’est pas sans conséquence et entraine de facto des conséquences importantes sur les futures opérations de fusions-absorptions. Les entreprises devront être plus vigilantes en matière de prévention des risques et devront intégrer cette nouvelle exigence lors de la préparation et l’organisation des opérations de fusion.

Il est dès lors recommandé de prendre conseil auprès de praticiens spécialisés en droit pénal, compte tenu des questions complexes qui pourraient se poser. C’est le cas notamment de celles relatives à la prescription des infractions occultes ou dissimulées, qui commence à courir au jour de la découverte de ces infractions, et non au jour de leur commission. Ainsi, non seulement la responsabilité pénale liée à ces infractions est désormais transférée à la société absorbante, mais en plus, leur délai de prescription pourrait commencer à courir après l’opération de fusion.

En outre, il faut savoir que le législateur français a récemment considérablement renforcé les mécanismes de lutte contre certaines infractions, telles que la corruption ou le trafic d’influence, en mettant notamment en place la convention judiciaire d’intérêt public.

Enfin, il faut également tenir compte d’une autre nouvelle solution jurisprudentielle en matière de responsabilité contractuelle et selon laquelle : « l'assurance de responsabilité de la société absorbante, souscrite avant la fusion, n'a pas vocation à garantir le paiement d'une [dette de responsabilité], dès lors que le contrat d'assurance couvre, sauf stipulation contraire, la responsabilité de la seule société assurée, unique bénéficiaire, à l'exclusion de toute autre, même absorbée ensuite par l'assurée, de la garantie accordée par l‘assureur en fonction de son appréciation du risque » (Cass. civ. 3e, 26 novembre 2020, n° 19-17.824).

Il est donc fortement recommandé de prêter attention aux nouveaux risques que la Cour de cassation fait peser sur les sociétés absorbantes en cas de fusion-absorptions.

Benoît Charot Co-auteur : Yéléna Nobou, avocat et Margot Lacaud, avocat, Reed Smith
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