Généralisation du préjudice d'anxiété à tous les travailleurs exposés à l'amiante

10.04.2019

Gestion d'entreprise

Mais encore faut-il que l'employeur n'apporte pas la preuve qu'il a pris toutes les mesures pour prévenir ce risque et que l'existence de ce préjudice soit suffisamment caractérisée.

Jusqu’à présent, seuls les salariés bénéficiaires de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) ou ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, pouvaient demander la réparation d’un préjudice d’anxiété (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, n° 939 P + B + R ; Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-26.175, n° 388 P + B + R ; Cass. soc., 26 avr. 2017, n° 15-19.037, n° 696 P + B).
 
En l’espèce, un ancien employé d’EDF, exposé à l’inhalation de fibres d’amiante durant son activité professionnelle en qualité de rondier, chaudronnier et technicien, demande réparation de son préjudice d’anxiété pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat, bien qu’il n’a pas travaillé dans un établissement mentionné à l’article 41 de la loi de 1998. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, saisie de l’affaire, reconnaît que la jurisprudence de la chambre sociale évoquée ci-dessus a pour effet d’exclure de nombreux salariés, alors qu’ils « ont pu être exposés à l’inhalation de poussières d’amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé ».
 
Revenant sur la position de la chambre sociale, l’Assemblée plénière en déduit qu’ « il y a lieu d’admettre, en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, que le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ».
 
Mais en contrepartie de cette extension de la réparation du préjudice d’anxiété à tous les travailleurs exposés aux poussières d’amiante pendant leur activité professionnelle, la Cour de cassation rappelle ou précise les conditions requises pour en bénéficier :
 
- en premier lieu, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs doit être exonéré de sa responsabilité. Or, la cour d’appel avait jugé qu’il suffit que le salarié apporte la preuve de son exposition au risque d’inhalation de poussières d’amiante pour que le manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat soit établi. Son arrêt est cassé pour avoir refusé d’examiner les éléments de preuve des mesures que l’employeur prétendait avoir mises en œuvre.
 
Remarque : selon la « note explicative »  figurant sur le site de la Cour de cassation, l’Assemblée plénière reprend à son compte un arrêt de la chambre sociale (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444, n° 2121 P + B + R + I). Selon  le Rapport  annuel de la Cour de cassation concernant cet arrêt, il appartient « aux juges du fond, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis, d’évaluer le comportement de l’employeur, notamment la pertinence des mesures de prévention et de sécurité prises et leur adéquation au risque connu ou qu’il aurait dû connaître » ;
 
- en second lieu, les juges du fond doivent caractériser, par des motifs suffisants, le préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave. Est donc cassé l’arrêt qui s’est déterminé par des motifs généraux, en retenant que « ce préjudice résultant de l’inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l’une des maladies mortelles liées à l’inhalation de fibres d’amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif ».
 
Remarque : pour les salariés bénéficiant de la préretraite amiante (ACAATA) ou ayant travaillé dans un établissement mentionné à l’article 41 de la loi de 1998, il est possible de présumer que l’existence d’un préjudice d’anxiété résulte du seul fait d’avoir travaillé dans un établissement classé « amiante » et d’avoir exercé un métier figurant dans la liste des métiers fixée par l’arrêté ministériel ouvrant droit au bénéfice de cette préretraite (tel n’est pas le cas par exemple d’employés administratifs ou de femmes de ménage : Cass. soc., 25 mars 2015, n° 13-21.716, n° 513 P + B).
En revanche, on comprend que, pour les autres salariés, les juges devront caractériser le préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave. Est-ce à dire que cette règle s’appliquera également aux salariés des établissements classés « amiante » ? Par ailleurs, la Cour de cassation ne devra-t-elle pas dégager les critères permettant d’établir à partir de quel moment et selon quelles circonstances intervient l’existence d’un « risque élevé de développer une pathologie grave » générateur de préjudice d’anxiété ? Enfin, le terme de « pathologie grave » ne permet-il pas, de par sa généralité, que d’autres pathologies que celles liées à l’amiante puissent être invoquées à l’appui d’une demande de réparation d’un préjudice d’anxiété ?
 
 
James Landel, Conseiller scientifique du Dictionnaire Permanent Assurances

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