Google ne paie pas autant d’impôts qu’il ne le prétend parfois

Google ne paie pas autant d’impôts qu’il ne le prétend parfois

14.12.2018

Gestion d'entreprise

La filiale française laisse entendre que la multinationale verse dans le monde un impôt total sur les bénéfices au taux moyen de 26 %. Selon nos calculs, cela ne renvoie pas aux montants décaissés, qui sont beaucoup plus faibles, mais probablement aux charges provisionnées. Explications.

Google France vient de mettre les pieds dans le plat de l’assiette d’impôt. "La fiscalité actuelle n’est pas adaptée aux enjeux d’internet. L’enjeu pour Google spécifiquement n’est pas d’ailleurs combien on paie mais c’est vraiment où on paie, a lancé Sébastien Missoffe, le directeur général de la filiale française, lors d’un petit-déjeuner de l’Ajef (association des journalistes économiques et financiers). Au niveau mondial, Google a payé depuis 5 ans chaque année 26 % d’impôt sur les sociétés", a-t-il ajouté, avant de comparer ce chiffre aux "20 % des moyennes de l’OCDE".

15,9 % d’impôt sur les bénéfices payé sur la période

Alors, nous sommes partis à la recherche de l’impôt sur les sociétés payé par la multinationale baptisée Alphabet depuis 2015 — pour cela, nous nous sommes basés sur ses 5 derniers rapports annuels, c’est-à-dire ceux des exercices comptables 2013 à 2017. Résultat : selon nos calculs, le montant de l’IS payé dans le monde est loin du taux de 26 % affiché par le représentant français. Il atteint une moyenne de 15,9 % sur la période. Le pourcentage mentionné par Sébastien Missoffe relève probablement d’un autre indicateur, celui de la charge d’IS provisionnée laquelle s’élève même à 27,7 %.

 

L'IS payé par Google est beaucoup plus faible que celui provisionné

Source : Rapports annuels de Google (Alphabet à partir de 2015) / actuel-expert-comptable
 
Fiscalité américaine...

Alors, comment comprendre un tel écart entre ces deux indicateurs ? La principale piste d’explication réside dans la fiscalité américaine applicable jusqu’à la réforme du Tax act adoptée en décembre 2017. Dans cet ancien régime, les bénéfices réalisés par les filiales du groupe hors Etats-Unis sont imposés aux Etats-Unis, sur la base d’un taux de 35 %, à partir du moment où ils sont versés à la maison mère américaine — ils ne sont donc pas imposés par le fisc américain dans le cas contraire. C’est pourquoi de nombreuses multinationales américaines ont accumulé d’énormes liquidités provenant de filiales implantées dans des paradis fiscaux qui ne distribuent pas, ou peu, de dividendes à leur maison mère. La trésorerie d’Alphabet s’élève à un peu plus de 100 milliards de dollars à fin 2017 dont près de 63 milliards sont détenus par des filiales à l'étranger. Jusqu’en 2016, la charge d’impôt d’Alphabet pouvait donc être beaucoup plus importante que la somme payée aux administrations fiscales en fonction des hypothèses de distribution future des bénéfices des filiales non domestiques. La réforme Tax act de décembre 2017 change radicalement la donne. A cette date, les bénéfices accumulés à l'étranger qui n’avaient pas été imposés par le fisc américain le deviennent, à un taux de 15,5 % ou 8 % selon les actifs sous-jacents, tandis que les bénéfices réalisés aux Etats-Unis deviennent imposés, à compter de 2018, au taux de 21 % au lieu de 35 %. Cela explique que la charge d’impôt pour 2017 fasse un bond, tant en valeur relative qu’en valeur absolue.

... et paradis irlandais

L’autre sujet abordé par Sébastien Missoffe concerne la répartition de l’assiette d’IS entre les Etats où la multinationale réalise des bénéfices. On s’aperçoit qu’il existe, en ce qui concerne Alphabet, une différence fiscale énorme selon que l’on se situe aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde. Outre-Atlantique, le taux d’IS provisionné — nous ne connaissons pas le taux d'IS payé — s’élève à près de 51 % sur la période 2013/2017 — ce niveau très élevé tient au phénomène exceptionnel du tax act de 2017 ; le niveau tourne plutôt autour de 30 % sur la période 2013/2016. Les impôts sur les bénéfices réalisés en dehors des Etats-Unis ne sont quant à eux provisionnés qu’au taux de 8,3 %. La raison est simple : quasiment tous les gains réalisés hors Etats-Unis sont fiscalisés en Irlande, un paradis fiscal pour les entreprises. Et encore, nous ne savons pas si derrière ce taux de 8,3 % se cache en fait un impôt susceptible d'être versé au fisc américain dans l’hypothèse où il renvoie à un bénéfice distribué à la maison mère. Bref, toute cette complexité milite pour que la transparence soit faite sur la contribution fiscale des multinationales. C’est-à-dire que soient publiées, pour chaque pays où elles opèrent, des informations clés telles que leur bénéfice, leurs impôts payés, leurs charges d’impôt, etc — ce qu’on appelle aussi le reporting public des entreprises pays par pays. Google, qui se cherche une image citoyenne, est-il prêt à jouer le jeu ?

 

L'IS provisionné hors Etats-Unis est beaucoup plus faible qu'outre Atlantique

Source : Rapports annuels de Google (Alphabet à partir de 2015) / actuel-expert-comptable

Ludovic Arbelet

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