Harcèlement sexuel environnemental et d’ambiance : vers un élargissement des poursuites ?

Harcèlement sexuel environnemental et d’ambiance : vers un élargissement des poursuites ?

03.04.2025

Gestion d'entreprise

Dans un arrêt du 12 mars 2025, la Cour de cassation a précisé les contours du champ répressif du harcèlement sexuel environnemental et d’ambiance. Dans cette chronique, Rachel Lindon et Louis Falgas, avocats au sein du cabinet Lindon reviennent sur les apports de cette jurisprudence.

À rebours de la promotion de l’« énergie masculine » dans l’entreprise par les dirigeants de la tech américaine et les coups d’estoc dans les programmes de diversité et d’inclusion outre atlantique, la Cour de cassation française a  marqué son intention d’étendre le champ d’application de l’article 222-33 du code pénal. Dans le prolongement de plusieurs arrêts de cour d’appels en droit social elle réprime ainsi des situations de harcèlement sexuel ou sexiste qui jusqu’à présent étaient considérées comme simplement une ambiance de travail « potache », où l’humour carabin va bon train.

Le harcèlement sexuel dans la loi

La définition du harcèlement sexuel a connu, dans le code pénal français, de nombreuses évolutions rédactionnelles. En 2002, l’article 222-33 du code pénal réprimait « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » se dépouillant ainsi de l’obligation de démontrer l’existence d’ordres, de menaces ou de contraintes exercées par l’harceleur qui figuraient dans le texte originel de 1994.

Cependant, cette rédaction causa quelques remous en ce que le texte manquait de clarté et de précision sur la distinction entre des actes de séduction permis et des abus répréhensibles.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, invalidera cette rédaction sur le principe de légalité des infractions et des peines (Cons. const. 4 mai 2012, no 2012-240 QPC), ce qui contraindra le législateur à repréciser les contours de l’infraction.

Aujourd’hui, la définition est alignée sur elle de l’article L. 1153-1 du code du travail : « Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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La reconnaissance du « harcèlement environnemental ou d’ambiance » par la jurisprudence

Dans un arrêt remarqué de la cour d'appel d'Orléans du 7 février 2017 (n° 15/02566), la juridiction, encouragée par le Défenseur des droits, a consacré l'idée selon laquelle des propos ou comportements à connotation sexuelle, bien que ne visant pas directement une personne en particulier, peuvent suffire à caractériser le harcèlement sexuel dès lors qu'ils créent une situation intimidante, hostile ou offensante.

Dans cette affaire une salariée rédactrice dans un journal avait dénoncé une situation de travail particulièrement hostile matinée de sexisme : propos graveleux, photomontages de collègues de la rédaction dans des positions lascives affichées dans l’open space, fond d’écrans pornographiques etc.

Cette décision prise sur le fondement de l’article L.1153-1 du code du travail a trouvé un écho récent dans une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 mars 2025 confirmant la condamnation d’un maître de conférences pour harcèlement sexuel aggravé, sur le fondement, cette-fois ci de l’article 222-33 du code pénal.

Dans cette procédure, déjà abondamment commentée par les praticiens, l’enseignant avait imposé à ses étudiants des propos et attitudes à connotation sexiste, sans qu’une victime déterminée ne soit directement ciblée.

Comme dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans, la Cour de cassation a souligné que « des propos à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes, ou de tels comportements adoptés devant plusieurs personnes, sont susceptibles d'être imposés à chacune d'entre elles », renforçant ainsi une lecture objectiviste de l'infraction.

La chambre criminelle reprend donc, sans le viser explicitement la notion de harcèlement « environnemental ou d'ambiance » qui était soulevée dans les moyens. Ce n’est pas le harcèlement ciblé d’une personne qui est incriminée mais l’ambiance délétère produite pour l’itération de propos sexistes et/ou à connotation sexuel à l’encontre d’une pluralité de victimes.

On mesure l’avancée considérable que cet arrêt constitue dans la reconnaissance du caractère pénal d’un climat hostile généré par une répétition de propos sexistes ou à connotation sexuelle sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve qu’ils l’aient ait été face à des personnes déterminées. En 2019, la jurisprudence de la chambre criminelle exigeait que :« chacun des propos ou comportements à connotation sexuelle, imposés de façon répétée à une personne déterminée, retenus pour caractériser le délit de harcèlement sexuel, doit soit porter atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créer à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

L’élargissement du contentieux pénal en matière de harcèlement sexuel

L’intérêt de l’arrêt du 12 mars 2025 est double :

  • d’une part, la Haute Cour semble prendre une approche holistique à la caractérisation d’une situation intimidante, hostile ou offensante ;
  • et d’autre part, elle ne pose pas comme condition à l’installation d’un harcèlement environnemental ou d’ambiance une pluralité d’auteurs de propos sexistes ou sexuels.

La lecture holistique de la Haute Cour de l’article 222-33 du code pénal laisse entrevoir la possibilité de l’élargissement du contentieux pénal en matière de harcèlement sexuel, à l’instar de la brèche ouverte en matière de harcèlement moral institutionnel ouverte par le récent arrêt de cassation dans l’affaire France Telecom (Cass. Crim., 21 janv. 2025, n° 22-87-145)

Une seule personne est à même de générer une « situation intimidante, hostile ou offensante » à l’égard d’une pluralité de victimes, sans qu’il soit nécessaire de caractériser de répétitions de propos sexistes à connotation sexuelle à l’égard de ces victimes prises individuellement.

Cette évolution jurisprudentielle amène à s’interroger sur l’étendue future du champ répressif du harcèlement sexuel environnemental et d’ambiance, notamment à l’égard de personnes placées dans des positions d’autorité. On excipe en effet de la matrice factuelle de l’affaire commentée que la verticalité des rapports entre un maître de conférences et ses étudiants rend plus probable la commission du harcèlement sexuel environnemental ou d’ambiance incriminé.

Si la répétition de propos sexistes ou à connotation sexuelle à l’endroit d’une victime déterminée n’est plus un prérequis, il conviendra aux employeurs, institutions et administrations de ne pas minimiser l’impact d’actes commis à l’encontre de différentes personnes, qui pris les uns isolément des autres, peuvent – en eux-mêmes – ne pas apparaître comme constitutifs de harcèlement sexiste ou sexuel, mais qui dans leur ensemble, génèrent un processus harcelant et systémique.  

Cette évolution jurisprudentielle nous invite également à repenser des situations qui auparavant semblaient échapper à la loi pénale. L’on pense ici aux internes d’hôpitaux confrontés à des représentations sexistes et parfois de violences sexuelles dans leurs locaux ou même des participants ou intervenants sur des plateaux de télévision.

En tout état de cause, l’actualité judiciaire, notamment le procès d’anciens dirigeants d’UBISOFT pour harcèlement sexuel et moral devant le tribunal correctionnel, devrait offrir une illustration supplémentaire sur l’acception de cette notion de harcèlement sexuel environnemental et d’ambiance.

Rachel Lindon Co-auteur : Louis Falgas (Avocat)
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