Jérôme Friteau, Directeur des relations humaines et de la transformation de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), fait un point d’étape sur la semaine de quatre jours, expérimentée depuis mars dernier. L’expérience devrait être prolongée de trois mois avant de transformer l’essai. Interview.
Vous avez conclu, en novembre 2022, un accord d’expérimentation sur la semaine de quatre jours. D’ores et déjà, quel bilan dressez-vous ? Sera-t-il pérennisé ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
L’expérimentation a débuté en mars 2023 pour une durée de neuf mois. Mais avant de pérenniser le dispositif, je compte ouvrir, d’ici à quelques jours, une nouvelle négociation pour proposer aux partenaires sociaux de le prolonger jusqu’au 31 mars 2024. Cela nous laisse du temps pour négocier un dispositif pérenne et parvenir à une organisation du temps de travail. Un tel dispositif nécessite également de retoucher nos protocoles d’accord sur les horaires variables et le télétravail.
D’ores et déjà, certains partenaires sociaux signataires de cet accord (CFDT, Unsa, CFTC) nous ont fait part de l’engouement que suscite la semaine de quatre jours auprès des collaborateurs.
Quelles sont, toutefois, les points de vigilance à avoir en tête avant de se lancer ?

La semaine de quatre jours ne se décrète pas. Il ne s’agit pas de proposer une énième formule administrative mais de mettre en place une organisation du travail plus personnalisée afin de répondre à des fortes attentes de liberté organisationnelle dans le travail.
Pour la Cnav, ce dispositif complète les dispositifs déjà existants en matière d’organisation du travail, comme le télétravail mis en place dès 2014, la flexibilité horaire, depuis 2018, avec la refonte de l’accord portant sur les horaires variables ou le forfait-jour. Mais pour cette expérimentation, nous avons priorisé sur les personnes dont les métiers n’étaient pas télétravaillables ou faiblement télétravaillables. Le travail à distance crée, en effet, des écarts entre les salariés, voire dans la durée un sentiment d’injustice. D’autant que ces métiers ne sont pas toujours les mieux rémunérés. Nous ne cherchions pas à faire de la semaine de quatre jours une norme mais à répondre à ce souci d’équité.
Un appel à volontariat auprès des services préalablement ciblés a donc été lancé en ce sens. Il était, en effet, hors de question que j’impose cette expérimentation aux managers, en sus de la gestion du télétravail qui se développe à grande échelle (83 % des salariés en 2022, contre 35 % en 2020). D’autant qu’en tant que service public, nous n’avions pas la possibilité de réduire la durée hebdomadaire du temps de travail, comme la CGT le souhaitait.
C’est pourquoi, nous avons proposé deux formules
- une semaine de quatre jours à 35 heures (avec 0 jours de RTT et une durée quotidienne de 8h45) ;
- et une seconde à 37 heures (8 jours de RTT et une durée quotidienne de 9h15).
Dans les deux cas, le jour off est laissé à l’appréciation du salarié avec l’accord du manager. L’expérimentation a concerné une vingtaine de salariés (sur 3 500 salariés).
Vous avez travaillé avec des chercheurs en neurosciences. Pourquoi ce choix ?

Nous avons travaillé avec les chercheurs du cabinet CogX pour nous aider à évaluer l’impact de cette nouvelle organisation du temps de travail sur des sujets multiples parfois difficiles à appréhender, les rythmes de travail, la gestion des flux d’informations, la charge mentale, le bénéfice de récupération avec la journée off. Nous voulions également avoir un retour concernant les répercussions d’une telle organisation sur les collectifs de travail, le capital social, la performance en termes qualitatifs et quantitatifs. Nous souhaitions que la démarche soit la plus sécurisée possible.
Quelles sont vos premières constatations ?

Nous avons eu quelques changements de formule, notamment de 37 heures à 35 heures, car dans ce premier cas, les journées de 9h15 de travail paraissaient assez longues.
De plus, la semaine de quatre jours n’est pas adaptée à toutes les attentes. Notamment pour les parents de jeunes enfants. A l’inverse, elle a aussi permis à des salariés à temps partiel de passer à temps plein ou à des personnes en situation de handicap de couper la semaine pour refaire le plein d’énergie. Surtout, elle a permis à certains collaborateurs de mener une "double vie", au niveau personnel, avec des engagements sportifs, associatifs, familiaux (aidants), ou professionnel, avec des activités de free-lance ou d'enseignement.
Globalement, les premiers retours des comités de pilotage font état d’une optimisation du temps de travail, avec notamment des temps de réunion réduits ou plus efficaces.
Pour les chercheurs, l’intensification du travail est globalement compensée par la journée off supplémentaire.
Quid des forfaits-jours ?
Nous n’avons pas rendu compatible cette organisation avec les forfaits-jours mais nous avons lancé en parallèle de la semaine de quatre jours une autre expérimentation d’extension de bénéfice du forfait-jours. A la Cnav, 200 cadres (sur 900) sont au forfait (209 jours). Historiquement, il s’agissait principalement des cadres supérieurs.
Quel bilan faites-vous en termes de performance ?

Nous constatons une stabilité de la performance des salariés à quatre jours et une vraie satisfaction de leur part. Précisions toutefois qu’à l’heure où la réforme des retraites se met en place, nous n’avons pas ouvert le dispositif aux salariés en contact avec les assurés.
A terme, les salariés en télétravail pourraient-ils être éligibles au dispositif ?
Dès l’expérimentation, nous avons souhaité tester le cumul entre télétravail et semaine de quatre jours, pour des salariés télétravailleurs, tout en le limitant à deux jours le travail à distance par semaine maximum et ainsi garantir deux jours de présence au bureau. La semaine de quatre jours pourrait ainsi être complémentaire du travail à distance. Depuis la renégociation de l’accord sur le télétravail, en 2022, les managers doivent réfléchir à une organisation du travail qui combine performance, organisation hybride et maintien du collectif. Ce sont trois piliers indissociables.
Car il ne faut pas l’oublier, la semaine de quatre jours est aussi un formidable levier d’attractivité : nous devons être attractif et le service public ne l’est pas forcément sur la rémunération. Il faut donc l’être sur les conditions de travail et dans cette perspective, la semaine de quatre jours peut être une bonne solution.
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