Indemnisation d’une sanction illégale par un régulateur : point sur les innovations d’une décision récente du Conseil d’État

Indemnisation d’une sanction illégale par un régulateur : point sur les innovations d’une décision récente du Conseil d’État

06.02.2020

Gestion d'entreprise

Le 13 novembre 2019, le Conseil d’État a condamné le CSA à verser 1,1 M € pour avoir infligé à C8 une sanction illégale. Dans cette chronique, Emmanuel Glaser, associé, et Sandrine Perrotet, counsel au sein du cabinet Veil Jourde nous expliquent l'impact de cette décision et le signal fort envoyé aux autorités de régulation par le Conseil d'État.

C’est la condamnation la plus sévère à l’encontre d’une autorité de régulation. Les faits à l’origine du litige étaient pourtant assez anodins : un canular, sous forme de caméra cachée, mettant en scène un des chroniqueurs de l’émission « Touche Pas à Mon Poste » avait été diffusé sur la chaîne C8.

Le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) a considéré que cette séquence contenait des scènes pouvant être jugées humiliantes et dégradantes à l’égard dudit chroniqueur et a infligé à C8 une sanction d’interdiction de diffusion de séquences publicitaires pour une durée d’une semaine, sanction jamais prononcée jusqu’ici.

Cette décision qui doit être lue à la lumière de celle rendue le 18 juin 2018 et qui a constaté l’illégalité de la sanction infligée à C8 innove dans le paysage juridique.

Des précisions salutaires sur le périmètre de la liberté d’expression

La jurisprudence avait déjà rappelé, à plusieurs reprises, que la liberté d’expression était précieuse, qu’elle était nécessaire au débat démocratique et qu’elle ne pouvait faire l’objet que d’atteintes proportionnées à l’objectif poursuivi. Elle avait également consacré le droit à l’humour ou à la satire mais avant tout sur des sujets qui contribuaient à des débats d’intérêt général. Pour ce type de sujet, il est évidemment plus aisé de consacrer une conception large de la liberté d’expression car ces débats participent au jeu de la démocratie.

L’affaire sur laquelle le Conseil d’État s’est prononcé ne s’inscrit pas du tout dans ce cadre. Elle porte sur une séquence de télévision qui n’avait aucune prétention, si ce n’est celle de divertir les téléspectateurs. Le Conseil d’État juge pourtant sans ambigüité que la liberté d’expression vaut pour tout sujet y compris ceux qui ne contribuent en rien au débat d’intérêt général. Ce qui est un premier apport.

Une définition plus franche des limites du contrôle du CSA 

Pour retenir l’illégalité de la sanction infligée par le CSA et par suite sa faute, le Conseil d’État a jugé que la séquence concernée n’était ni dégradante, ni humiliante. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est fondé sur plusieurs critères : 

  • la manière dont cette séquence avait pu être perçue par le public,
  • l’intention poursuivie par les auteurs de la séquence incriminée,
  • le comportement du chroniqueur, etc.

La prise en compte de ces critères par le Conseil d’État est importante. Ils permettent d’objectiver le rôle et la mission du CSA, ce qui est essentiel. D’une part, pour tracer des limites plus précises au rôle du CSA qui ne peut pas s’ériger, sous couvert de contrôler « la qualité des programmes », mission qui lui est dévolue par la loi, en police des pensées.

D’autre part, pour donner aux sociétés de l’audiovisuel des marqueurs plus lisibles sur ce qui est prohibé et permis. Ces sociétés évoluent dans un contexte de plus en complexe. La lutte contre les discriminations et toutes formes de violence est une priorité et anime depuis quelques années le débat public.

Chaque séquence télévision ou de radio est passée au crible et s’expose à la foudre immédiate des réseaux sociaux. Il était donc important, pour éviter une standardisation des contenus des émissions, qu’elles puissent évoluer dans un environnement juridique clair.

Un signal fort à l’endroit de toutes les autorités de régulation  

La décision du Conseil d’État innove également car elle condamne le CSA au versement de dommages-intérêts particulièrement lourds : plus d’un million d’euros, niveau jamais atteint jusqu’ici pour une autorité administrative. Sanction d’autant plus conséquente qu’elle doit être déboursée par le CSA sur ses fonds propres.

Pour s’afficher en régulateur fort, le CSA a fait le choix de prononcer à l’encontre de C8 une sanction inédite : l’interdiction de diffusion de publicité. Il ne s’est probablement pas interrogé sur les conséquences d’une éventuelle action en responsabilité pensant que le risque de voir sa responsabilité engagée serait théorique et celui de la voir retenue encore plus.

En condamnant le CSA, malgré l’importance des sommes en jeu, le Conseil d’État affiche clairement que la condamnation d’une autorité de régulation n’a plus rien de théorique et que la protection des deniers publics n’est pas un frein au respect de la règle de droit.

C’est un signal fort à l’endroit de tous les régulateurs. Pour le CSA, tout d’abord, qui hésitera si ce n’est renoncera, à l’avenir, à prononcer ce type de sanction. Pour toutes les autorités de régulation, ensuite, car cette décision est naturellement annonciatrice de la multiplication de contentieux de ce type.  

Jusqu’ici les sociétés se montraient réticentes à nouer des contentieux à l’encontre de régulateurs avec qui elles doivent composer sur toutes les facettes de leurs activités : délivrance ou renouvellement d’autorisations, fixation des tarifs… Les relations entre régulateurs et régulés sont de fait déséquilibrées sur des sujets pourtant structurants pour la concurrence et impactant financièrement.

Le Conseil d’État, par cette décision, désacralise les autorités de régulation et rééquilibre le rapport de force entre régulateurs et les opérateurs de marché, ce qui est bienvenu pour tout marché concurrentiel.

Emmanuel Glaser Co-auteur : Sandrine Perrotet (Counsel, Veil Jourde)

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