Initiative de la Commission européenne vers une convergence des procédures d’insolvabilité

19.12.2022

Gestion d'entreprise

La Commission européenne a publié le 7 décembre 2022 une proposition de directive en vue d'harmoniser les droits de l'insolvabilité des États membres. Elle prévoit un socle commun sur certains aspects des principes applicables.

La Commission européenne a pour objectif d’améliorer l'accès aux financements des entreprises et de sécuriser les droits des créanciers. À cette fin, deux ans seulement après l'adoption de la directive (UE) n° 2019/1023 du 20 juin 2019, elle vient de publier le 7 décembre 2022 une proposition de directive en vue d'harmoniser les droits de l'insolvabilité des États membres. Quelles seraient les conséquences de cette proposition sur le droit français des entreprises en difficulté ?

Il y a deux domaines dans lesquels la Commission européenne renonce pour le moment à favoriser une convergence de législations : la notion d’insolvabilité et la question du classement des créanciers. En revanche, une harmonisation est proposée pour les nullités de la période suspecte, la mise en place d’une procédure de liquidation accélérée par cession d'entreprise, le recouvrement des actifs localisés à l’étranger, l’adoption d’un régime simplifié pour la liquidation des TPE, et l’institution de comités de créanciers

Domaines exclus de l’harmonisation

La Commission européenne renonce pour le moment à favoriser une convergence de législations sur la définition de l’insolvabilité et le classement des créanciers.

Définition de l'insolvabilité

La tentative d’harmonisation entre les différentes législations sur une définition commune de l’insolvabilité est pour l’instant exclue. Même si les États européens ont adopté des définitions voisines, parfois associées à des variantes, comme celle de l’incapacité de payer les dettes échues, des retards de paiements, une situation de surendettement ou des mesures d'exécution restées vaines, ces différences ne justifiaient pas toutefois, d’écarter la possibilité d’harmoniser ces définitions.

Une définition commune serait d'autant plus opportune qu'elle distinguerait le périmètre des procédures de prévention de celles des procédures d’insolvabilité. La réticence de la Commission européenne s'explique avant tout par les divergences quant aux conséquences d’un état d'insolvabilité : dans quelle mesure le débiteur peut-il être tenu de déposer le bilan et comment sa négligence doit-elle être sanctionnée ? Elle propose néanmoins d’imposer une obligation de demander l’ouverture d’une procédure en cas d’apparition d’un état d’insolvabilité… Les travaux législatifs à venir entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'UE pourraient être l’occasion d'évolutions sur ce point.

Classement des créanciers

L’harmonisation des législations concernant le classement des créanciers est écartée. Il est possible de distinguer les créances nées pendant la procédure, les créances administratives, les frais de justice, les créances antérieures à l'ouverture d’une procédure et les créances bénéficiant de sûretés. Mais les règles locales demeurent différentes quant à l'existence de privilèges généraux ou spéciaux, aux sûretés instituées par un droit et ignorées d’un autre, ou aux règles de validité et de publicité des garanties.

Des évolutions restent envisageables à l'initiative des États ou du Parlement, mais la Commission européenne paraît vouloir aboutir à une directive dans un temps plus court que le délai qui avait séparé la proposition de directive en 2014 sur les cadres de restructuration préventive et le droit de l’insolvabilité, de la directive elle-même en 2019 (Dir. (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019, JOUE n° L172, 26 juin 2019).

Propositions d'harmonisations

Sur la base d'un projet détaillé élaboré par un groupe d’experts de la Commission européenne, plusieurs dispositions ont été proposées pour tenter d’harmoniser des règles minimales acceptables.

Nullités de la période suspecte

Le critère de l’insolvabilité deviendrait une simple condition d'annulation, applicable aux actes et aux paiements effectués pendant la période suspecte, l’autre condition étant la connaissance par le tiers de cette situation.

La période suspecte serait définie pour une durée fixe décomptée à partir de la demande d'ouverture d'une procédure. Une durée de base de trois mois est proposée. Une durée supplémentaire est prévue pour les actes et les paiements ayant profité à des proches du débiteur ou du dirigeant social. Enfin, une autre durée supplémentaire est aussi envisagée en cas de fraude.

Une liste des actes annulables serait par ailleurs proposée portant de manière plus classique sur les actes injustifiés, les transactions sous-évaluées, les actes dommageables intentionnels, les paiements préférentiels etc….. Cependant, les États pourraient conserver leurs lois du moment qu’elles assurent une protection supérieure aux intérêts collectifs des créanciers. 

Cette orientation est compatible avec les principes essentiels du droit français. Elle rendrait les conditions d’annulation plus prévisibles pour les tiers que la distinction (parfois délicate) entre les actes nuls de plein droit, les actes réguliers mais susceptibles d'annulation et les actes gratuits pouvant avoir été réalisés avant même la date de cessation des paiements. Ajoutons à cela des dispositions spécifiques sur les conséquences de l'annulation, la restitution des fonds ou des biens à l'entreprise et le droit du créancier concerné de faire valoir sa créance au passif.

Liquidation accélérée par cession d'entreprise

Sur la demande de la Direction générale pour la stabilité financière, les services financiers et l’Union des marchés de capitaux (DG FISMA), la Commission européenne propose la mise en place d'une procédure harmonisée non judiciaire, destinée à organiser la cession d'une entreprise en difficulté.

Cette cession serait préparée par le dirigeant et par un praticien, puis soumise à l'autorité judiciaire pour homologation.

Les avantages d’une telle procédure seraient l'accélération des délais de réalisation d’une cession, dispensée des règles procédurales applicables devant les tribunaux et une manière pertinente d’éviter la perte de valeur qu'entraîne une procédure judiciaire.

Elle permettrait enfin de qualifier cette procédure de procédure d'insolvabilité, bien qu'elle soit pour l'essentiel non judiciaire. Elle bénéficierait ainsi de l’exception prévue par la directive n° 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 sur le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise pour les procédures judiciaires d'insolvabilité (JOUE n° L82/16, 22 mars 2001). La CJUE a de son côté considéré que cette directive devait s'appliquer aux contrats de travail dans le cas d'un transfert intervenu dans une procédure pre- pack non judiciaire et ne pouvait être écartée que si cette procédure particulière était encadrée par la loi (CJUE 22 juin 2017, aff. C-126/16, Smallsteps ; CJUE 28 avril 2022, aff. C-237/20, Heiploeg Seafood).

L'homologation conférerait à la cession organisée dans le cadre des négociations préalables les caractéristiques suffisantes requises pour exclure l’application de la directive de 2001.

Une telle cession comporterait aussi des inconvénients significatifs. Elle peut compromettre les chances de redressement d'une entreprise dont la valeur actuelle estimée est faible malgré des capacités de rebond effectives. Elle méconnaît en outre la nécessité d’une mise en concurrence minimum et peut avantager un créancier au détriment des autres. Enfin, elle peut enfin porter atteinte aux intérêts des créanciers privilégiés bénéficiant d'un privilège général comme les salariés…

Aussi la Commission propose-t-elle d'encadrer le processus par des conditions destinées à garantir la loyauté de la procédure avec l'application du « test du meilleur intérêt des créanciers », le droit des créanciers d'être entendus, le respect du principe de concurrence, l'application du prix du marché et la transparence de la procédure. La fragilité de ces dispositions protectrices a néanmoins conduit la Commission européenne à ajouter la possibilité d'options pour les États membres, soit la responsabilité du praticien désigné quant à ces conditions, soit l'organisation d'une vente judiciaire aux enchères avec publicité.

Il appartiendra maintenant aux États membres de définir les objectifs qu'ils souhaitent privilégier : le sauvetage des entreprises fragilisées (notamment des PME) ou le désintéressement accéléré des investisseurs.

Recouvrements des actifs localisés à l'étranger

Une autre orientation préconisée par la Commission européenne retiendra l'attention des praticiens. Elle recommande une harmonisation des règles relatives au recouvrement des actifs localisés à l'étranger. Il s'agit de faciliter l'accès des mandataires de justice aux informations sur la présence des biens et des comptes d'un débiteur, indépendamment de l'État membre où ces éléments sont situés.

Les instruments actuels tels que le guide législatif de la CNUDCI sur les grands principes d'un registre des entreprises de 2018 (v. sur le site de la CNUDCI : www.uncitral.un.org, doc. A/CN.9/1008 du 28 févr 2020), les mesures d'assistance également préconisées par la CNUDCI concernant l'obtention des preuves (Loi type sur l’insolvabilité internationale de 1997, éd. CNDCI 2014), la convention de la Haye du 18 mars 1970 sur la recherche des preuves à l’étranger, ou encore le règlement (UE) n° 655/2014 du 15 mai 2014, qui permet une saisie conservatoire des comptes bancaires, constituent des outils nécessaires mais peu contraignants. Ils reposent sur la coopération des juridictions et des professionnels des différents États membres. La proposition de directive complète ces outils par des règles qui faciliteraient le recouvrement effectif des actifs et sauvegarderaient la valeur des entreprises ainsi que la confidentialité des données sensibles.

Régime simplifié pour la liquidation des TPE

Les très petites entreprises devraient également bénéficier d'un régime simplifié pour la liquidation de leurs actifs. Il n’est pas contestable que les règles générales applicables aux entreprises insolvables génèrent des coûts de procédure et ont une durée parfois disproportionnée avec la valeur véritable du patrimoine à réaliser.

La proposition de directive préconise des règles simplifiées, en s'inspirant notamment d'orientations suggérées par la CNUDCI pour la liquidation des entités commerciales de très petite taille (v. sur le site de la CNUDCI précité, sous Insolvabilité, Projet de guide législatif sur le droit de l’insolvabilité à l’intention des micros et petites entreprises : doc. A/CN9/WGV/WP 174, du 4 oct. 2021).

Les États membres ne seraient pas pris au dépourvu par ces textes. Une partie des pays européens, comme la France avec la liquidation judiciaire simplifiée et le rétablissement professionnel, ont déjà introduit dans leur loi des mécanismes simplifiés pour la réalisation des actifs et la clôture des procédures dans des délais acceptables.

Cette proposition contribuera à un objectif récurrent de la Commission européenne : le rebond des débiteurs en difficulté, objectif déjà exprimé dans la directive européenne de 2019 sur les remises des dettes (Dir. (UE) n° 2019/1023 du 20 juin 2019, art 22 et s.). Cet objectif  apparaît donc comme un axe majeur de la politique législative de l'Union européenne à l'égard des entrepreneurs en difficulté.

Institution de comités de créanciers

Une dernière piste ouverte par la Commission européenne concerne la gestion des procédures. La Commission prescrit des règles harmonisées portant sur le rôle des créanciers, dans le cadre de comités composés de 3 à 7 personnes. Ces comités, qui ne doivent pas être confondus avec les comités de créanciers connus du droit français jusqu'à la réforme du 15 septembre 2021 (Ord. n° 2021-1193, 15 sept. 2021), auraient un droit de regard et de contrôle sur les procédures.

Cette proposition s'inspire du droit allemand qui confère à ces comités des pouvoirs significatifs sur le déroulement des procédures, tandis que le tribunal d'instance n’exerce qu'un contrôle formel (Ins O, § 67 et s.). Les frais de fonctionnement incomberaient à l’entreprise sous le contrôle des tribunaux. Les Etats membres devront définir avec soin les rôles respectifs de l'autorité judiciaire, des praticiens de l'insolvabilité et de ce nouvel organe de la procédure.

Jean-Luc Vallens, Président de chambre honoraire à la cour d’appel de Colmar

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