Injonction de dépôt de comptes annuels à la demande de créanciers

26.03.2021

Gestion d'entreprise

Les créanciers à la suite d’une rupture des relations commerciales, justifient d’un intérêt à agir en vue d’enjoindre une société à déposer au greffe ses comptes annuels. Il ne peut leur être opposé la prescription de l'article 1844-14 du code civil, cette injonction de faire étant destinée à mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de l'absence de transparence.

L'article L. 232-23 du code de commerce impose à toute société par actions de déposer ses comptes. En raison de la rupture des relations commerciales entre un fournisseur et des sociétés distributrices, ces dernières assignent, le 29 décembre 2016, la société fournisseur en référé devant le président d'un tribunal de commerce, afin qu'elle soit condamnée, sous astreinte, à déposer au greffe ses comptes annuels, rapports de gestion, rapports des commissaires aux comptes, propositions d'affectation des bénéfices soumises aux différentes assemblées et les résolutions d'affectation votées, relatifs aux exercices clos le 31 décembre des années 2008 à 2015.

La société fournisseur (SASU), reproche à l'arrêt d’appel de déclarer recevables les demandes au motif que « les actions prévues par les dispositions spéciales des articles L. 123-5-1 et R. 210-18 du code de commerce ne sont pas exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun prévues par l'article L. 232-23 du code de commerce, qui prévoit l'obligation faite à toute société par action - et non à son dirigeant - de déposer ses comptes ». La SASU se pourvoit en cassation.

Intérêt à agir des créanciers en référé

Le fournisseur argue dans son premier moyen que l'action en référé tendant à assurer l'accomplissement de cette obligation légale ne peut être exercée que dans les conditions prévues par l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui habilite spécialement le dirigeant à y défendre. En statuant ainsi, la cour d'appel aurait violé les articles L. 123-5-1 et L. 232-23 du code de commerce, ensemble les articles 31 et 873 du code de procédure civile.

Subsidiairement, dans ses écritures, la société fournisseur faisait valoir que l'action exercée était mal dirigée, à défaut d'avoir été exercée à l'encontre de son dirigeant, pris en son nom personnel, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société avait intérêt et qualité à défendre à une demande tendant exclusivement au prononcé d'une injonction de faire qui ne pouvait être adressée qu'à son dirigeant, seul qualifié pour l'exécuter. La cour d'appel n'a donc pas légalement justifié sa décision au regard des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile. »

La Cour de cassation rappelle, en premier lieu, que l'article L. 123-5-1 du code de commerce prévoit qu'à la demande de tout intéressé ou du ministère public, le président du tribunal, statuant en référé, peut enjoindre sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés (RCS) auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires. Elle précise que l'arrêt d’appel a relevé que l'article R. 210-18 du même code prévoit une autre action, en permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, de désigner un mandataire chargé d'accomplir la formalité, puis énonce exactement que les actions prévues par ces dispositions spéciales ne sont pas exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun prévues par l'article L. 232-23 du code de commerce, qui font obligation à toute société par actions, et non à son dirigeant, de déposer ses comptes.

En conséquence, c'est à bon droit que la cour d'appel, retenant souverainement que les sociétés demanderesses justifiaient d'un intérêt à agir, les a dites recevables en leur action formée, en application des articles L. 232-23 du code de commerce et 873, alinéa 1, du code de procédure civile, contre la société, tendant à obtenir d'elle le respect de son obligation de dépôt.

Prescription inapplicable s’agissant de mettre fin à un trouble manifestement illicite

Le fournisseur en vue d’échapper à son obligation fonde son second moyen sur le principe de la contradiction, le juge ne pouvant fonder sa décision sur un moyen qu'il a relevé d'office, fût-il de pur droit, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations.

Il fait également grief à l’arrêt de retenir que « la mesure de publication ordonnée s'avéran[i]t nécessaire pour mettre un terme au trouble manifestement illicite généré par l'absence de transparence retenue », dès lors peu importait que l'action fondée sur le droit commun de l'article L. 232-23 du code de commerce soit soumise à la prescription de l'article 1844-13 (1844-14) du code civil et doive être exercée dans un délai de trois ans à compter du jour où son titulaire connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La Cour de cassation confirme la position de la cour d'appel : elle n'était pas tenue d'inviter les parties à formuler leurs observations, dès lors qu'elle se bornait à vérifier l'absence ou la réunion des conditions d'application de la règle invoquée, elle n'a par conséquent, relevé d'office aucun moyen de droit et n'a donc pas violé le principe de la contradiction.

Enfin, ayant constaté que la société n'avait pas déposé ses comptes au greffe concernant les exercices litigieux, la cour d'appel a exactement retenu qu'il y avait lieu de lui enjoindre de le faire pour les exercices clos le 31 décembre des années 2008 à 2015 afin de mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de l'absence de transparence, sans que puisse être opposée la prescription alléguée, fondée sur les dispositions de l'article 1844-14 du code civil.

Contrôle du respect de l’obligation de dépôt des comptes annuels

L’exigence de publicité vise à donner aux acteurs économiques les éléments d’information utiles sur la situation financière des sociétés. Mais en pratique, cette obligation de dépôt des comptes annuels était peu respectée. C’est pourquoi, le législateur a prévu une série de mesures tendant à renforcer le respect de cette obligation :

– l’article R. 247-3 du code de commerce érige en contravention de 5e classe le fait de ne pas satisfaire aux obligations de dépôt prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 (amende de 1 500 euros) ;

– l’article L. 123-5-1 du code de commerce prévoit une injonction de faire qui s’adresse au dirigeant de « toute » personne morale qui n’aurait pas procédé au dépôt des pièces et actes en vertu des dispositions législatives et réglementaires.

Son objet est donc plus large que le dépôt des comptes annuels (C. com., art. L. 232-23), mais ces derniers sont aussi concernés. Ce pouvoir d’injonction vise à assurer la sécurité des transactions en permettant aux cocontractants de vérifier la solvabilité de leur partenaire, comme en l’espèce. La Cour de cassation a considéré que l'action tendant à assurer l'accomplissement des formalités de publicité incombant aux sociétés commerciales est, sauf abus, ouverte à toute personne, en l'occurrence à un ex-salarié, sans condition tenant à l'existence d'un intérêt particulier (Cass. com., 3 avr. 2012, n° 11-17 130, n° 379 F - P + B) ;

 – enfin, l’article L. 611-2, II du code de commerce prévoit que « lorsque les dirigeants d’une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de le faire à bref délai sous astreinte ».

Catherine CADIC, Dictionnaire Permanent Difficultés des entreprises

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