L’utilisation de l’intelligence artificielle conversationnelle, et plus spécifiquement de ChatGPT, progresse dans de nombreux départements d’entreprises. Jusqu’à gagner les directions juridiques ? A première vue, l’expérimentation semble plus individuelle que collective, mais cela n’empêche pas de poser la question des compétences et des risques associés.
Si certains secteurs n’hésitent pas à démontrer la manière dont ils s’emparent de ChatGPT, la révolution ne semble guère amorcée dans les directions juridiques, en atteste la difficulté à recueillir des témoignages de juristes sur leur utilisation de l’intelligence artificielle. Delphine Bordier, ancienne avocate et directrice juridique, aujourd’hui Consultante en Legal Operations auprès des DJ, le confirme : « J’accompagne les DJ dans la conduite du changement mais, de ce que j’observe, elles n’ont pas recours à ChatGPT à grande échelle.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
L’utilisation est plutôt individuelle, pour des tâches annexes. » Une utilisation individuelle au sujet de laquelle les juristes demeurent très discrets. Selon Nicolas Bodin, Head of Legal et DPO chez Shadow, société française de cloud computing, « les juristes souffrent du syndrome de l’imposteur : ils craignent qu’avouer se servir de ChatGPT soit assimilé à un manque de compétence. »
Les deux experts reconnaissent cependant que certaines DJ progressent à petits pas dans une utilisation expérimentale de l’IA conversationnelle. « Les avancées seront très hétérogènes et l’adoption ou non de ce nouvel outil dépendra surtout de la culture d’entreprise, de son appétence pour l’innovation », estime Nicolas Bodin, qui n’hésite pas, de son côté, à tester l’utilité de ChatGPT dans son métier.
Si les deux professionnels s’accordent à dire que ChatGPT ne remplace en rien la compétence du juriste, ils sont tout aussi enclins à souligner les services rendus par l’IA. « Je l’utilise par exemple pour trouver des thèmes d’articles pour mon blog juridique ou pour optimiser le SEO, illustre Delphine Bordier. D’un point de vue plus strictement juridique, c’est un bon outil pour faire des synthèses, compiler et analyser des données, bref traiter des tâches chronophages qui n’ont pas de valeur ajoutée juridique – notamment dans le cadre de due diligences. A plus grande échelle, l’IA peut aussi servir d’outil pour faire du brainstorming dans la DJ ou créer un chatbot ou un legalbot. » Rédiger un courrier, faire relire un contrat, rechercher un article du code civil… les exemples se multiplient sur les possibilités d’usage de ChatGPT. Et ce n’est qu’un début, car aux côtés de ce LLM (Large Language Model) généraliste commencent à apparaître des IA de spécialité. Open AI, la maison mère de ChatGPT, travaille ainsi sur Harvey, une interface en langage naturel dédiée aux questions juridiques qui pourrait, de ses propres mots, « élargir les capacités des avocats. »
Alors qu’il faut s’attendre à une utilisation individuelle croissante de ChatGPT par les juristes, il est important que les DJ s’emparent de la question, ne serait-ce que sous l’angle de la gestion des risques. Nicolas Bodin rappelle que l’utilisation professionnelle de ChatGPT nécessite plusieurs précautions. Comme pour tout usage d’internet, il est indispensable de n’utiliser aucune donnée sensible ou confidentielle, qu’il s’agisse de données personnelles ou relatives à la stratégie de l’entreprise. Il faut également faire attention aux hallucinations. Une hallucination est une réponse fausse présentée par l’intelligence artificielle comme un fait certain. Ce phénomène a déjà causé problème dans le champ juridique aux Etats-Unis. Dans le cadre d’une affaire impliquant une compagnie aérienne, un avocat a rédigé un mémoire juridique dans lequel il cite le cas de procès et d’affaires qui lui ont été proposés par ChatGPT. « Six des cas mentionnés se révèlent être des décisions judiciaires imaginaires, étoffées de citations et de références imaginaires », a dénoncé le juge en charge du dossier, Kevin Castel.
Cette anecdote révèle l’importance de former les juristes à une bonne utilisation de ChatGPT. « Comme toute nouvelle pratique, tout nouvel outil, il sera important de l’encadrer, sans attendre une réglementation qui n’avance pas aussi rapidement que l’innovation technologique. Il faudra également se montrer attentif aux biais qui peuvent être embarqués dans l’IA, car il ne faut pas oublier qu’elle est créée par l’homme », insiste Nicolas Bodin. Et si les entreprises ne peuvent ignorer la montée en puissance de l’intelligence artificielle, les juristes, à leur niveau, ne le devraient pas non plus. « Il est encore trop tôt pour que ChatGPT soit une compétence demandée aux juristes, mais je suis convaincue que cela deviendra un soft skill. Peut-être même verrons-nous de nouveaux métiers apparaître, comme celui de Legal Knowledge Engineer », conclut Delphine Bordier.
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