Intelligence artificielle (IA) : attention à la consultation du CSE

19.09.2025

Gestion du personnel

Une ordonnance du tribunal judiciaire de Paris condamne un employeur à consulter son CSE sur le déploiement d'une plateforme d'accès aux outils d'IA génératives, mais refuse ce droit concernant la nouvelle version d'un outil conversationnel RH. Ce type de contentieux se multiplie devant les tribunaux judiciaires.

Plusieurs jugements ces derniers mois ont reconnu au CSE un droit à consultation lors de la mise en place d'outils d'intelligence artificielle (IA) dans l'entreprise. Le dernier en date, condamne France Télévision à consulter son CSEC sur la généralisation d'une plateforme d'IA permettant, notamment, de créer des assistants virtuels personnalisés et programmables, mais refuse ce droit concernant la mise à jour d'un outil de conversation.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Mais attention, il s'agit de jugement de tribunaux judiciaires. La Cour de cassation, de son côté, ne s'est pas prononcée à ce sujet depuis 2018, une époque où l'utilisation et la puissance de l'IA étaient bien moindres. Elle avait cependant refusé au CHSCT le recours à un expert dans le cas de l'introduction d'un logiciel d'intelligence artificielle dénommé « Watson » destiné à aider les chargés de clientèle à traiter les courriels qu'ils reçoivent en les réorientant à partir des mots-clés qu'ils contiennent. La chambre sociale avait jugé que ce projet avait des conséquences mineures sur les conditions de travail directes des salariés dont les tâches devaient s'en trouver facilitées, il ne s'agissait donc pas d'un projet important modifiant les conditions de travail (Cass. soc., 12 avr. 2018, n° 16-27.866) (v. notre article).

Il est difficile de dégager des solutions de principes, le droit à consultation du CSE dépendant de la nature du projet et de ses conséquences. Il est toutefois important, du côté des employeurs, comme des représentants du personnel, de s'interroger à ce sujet.

France Télévisions refuse de consulter son CSE sur la mise en place d'une plateforme d'accès aux outils d'IA générative et d'une nouvelle version d'un chatbot RH

Dans cette affaire, l'employeur, France Télévisions :

  • déploie une plateforme sécurisée destinée à permettre l'accès aux outils d'IA générative du marché, et permettant de créer un assistant personnalisé dédié sur une tâche ou à des documents précis (MedIAGen) au second trimestre 2024 auprès de 800 collaborateurs, et entend le mettre à disposition de l'ensemble des salariés du groupe ;

  • met en place une nouvelle version d'un agent conversationnel RH (Raiponse), en place auprès de l'ensemble des salariés depuis novembre 2022, visant à permettre de mieux répondre aux questions et d'interagir de manière plus dynamique avec les salariés.

Le CSE central  demande à l'employeur à être consulté sur ces deux outils, au titre de l'article L. 2312-8 du code du travail. 

L'employeur refuse, au motif que ces outils n'introduisent pas une nouvelle technologie et n'impactent pas les conditions de travail des salariés. 

Le CSEC porte donc l'affaire devant le tribunal judiciaire de Paris, afin qu'il juge que le refus de l'employeur de le consulter sur ces projets constitue un trouble manifestement illicite, et donc d'une part qu'il ordonne la consultation du CSEC, et d'autre part, qu'il suspende la mise en œuvre de ces projets jusque-là.

Il est manifeste qu'une technologie faisant appel à l'IA est une « technologie nouvelle » 

Le tribunal judiciaire commence par étudier la nécessité de la consultation préalable du CSE, au visa de l'article L. 2312-8 du code du travail, relatif aux attributions consultatives du CSE. Il vise également les articles L. 2312-14 et L. 2312-15 relatifs aux modalités de consultation du CSE dans ce cadre ; ainsi que l'article 4 a) de la directive 2022/14/CE du Parlement et du Conseil du 11 mars 2002 établissant le cadre général relatif à l'information et la consultation des représentants du personnel.

Il explique que pour lui permettre d’émettre un avis susceptible d’être pris en considération, le CSE doit être consulté « avant toute manifestation de volonté d’un organe dirigeant qui, obligeant l’entreprise, est suffisamment déterminée pour avoir une incidence sur son organisation, sa gestion ou sa marche générale. Il importe peu que cette décision ne soit pas accompagnée à ce stade de mesures précises et concrètes, dès lorsque la discussion ultérieure de ces mesures d’application n’est pas de nature à en remettre en cause le principe (Cass. soc., 18 juin 2003, n° 01-21.424 ; Cass. soc., 12 nov. 1997, n° 96-12.314) ». 

Il rappelle ensuite qu'en cas de projet complexe comprenant des décisions échelonnées, le CSE est consulté avant chacune d’elles (Cass. soc. 7 févr. 1996, n° 93-18.756).

Enfin, il vise l'article 835 du code de procédure civile comme base juridique pour demander au juge d'ordonner à l'employeur ladite consultation, ainsi que la suspension de la mesure en cause tant que le CSE n'aura pas été consulté.

Puis le tribunal constate, de façon globale, que depuis le 1er janvier 2018 et l'entrée en vigueur de l'ordonnance Macron sur le CSE, l'obligation de consultation sur « l'introduction de nouvelles technologies »  résultant de l'article L. 2312-8, figure certes aux côtés de « tout aménagement important »  mais sans l'associer à une modification des conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail. Il n'y a donc, d'après le tribunal judiciaire, aucune exigence d'impact sur les aspects ciblés de la relation de travail et il suffit que la mise en œuvre des nouvelles technologies soit « susceptible d'avoir un impact sur la situation des travailleurs ».

Parallèlement, le juge considère qu'il est « manifeste qu'une technologie faisant appel à l'IA est une technologie nouvelle ». 

Remarque : le tribunal judiciaire de Créteil a utilisé les mêmes termes, dans une décision de juillet 2025, concernant des entreprises de médias. Le droit à consultation du CSE a ainsi été reconnu quant à l'implantation d'outils d'IA dans l'intranet et proposant un accès payant à ChatGPT, ces applications permettant, par un processus automatisé de créer du contenu par l'amélioration stylistique des articles, la transcription d'enregistrement audio, la synthèse de texte et la rédaction d'article à partir de ces transcriptions. Les juges de Créteil associent, eux aussi, la reconnaissance que cette technologie nouvelle, au fait qu'elle « est susceptible d'affecter les conditions de travail »  des salariés dans le secteur de la presse (TJ Créteil, ord. réf., 15 juillet 2025, n°25/00851). La Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur ce point.

Le tribunal judiciaire précise que ces technologies peuvent tout à la fois être bénéfiques pour les salariés, en termes de gains de temps notamment, mais peuvent également avoir d'autres impacts, tels que la perte d'autonomie, d'initiative ou de réflexion ou encore une intensification du travail.

Ainsi, pour justifier d'une obligation de consulter le CSE sur un projet, il est nécessaire d'établir l'introduction de nouvelles technologies, ou l'existence d'un projet important ayant des incidences sur les conditions de travail. 

Qu'en est-il pour chacun des deux outils en cause ?

La nouvelle version du chatbot RH n'est ni une nouvelle technologie, ni un projet important ayant des incidences sur les conditions de travail

La version 2 de Raiponse se contente essentiellement de remplacer le langage informatique utilisé dans la version 1, par une autre forme de langage informatique ayant une capacité d'apprentissage supérieure, permettant de générer des réponses plus complètes.

Il s'agit de techniques similaires, il n'y a donc pas introduction de nouvelles technologies.

Les thèmes ont été élargis et de nouvelles fonctionnalités ont été ajoutées consistant en des réponses détaillées, une personnalisation des messages, des résumés de texte, une suggestion de thématiques, la rédaction de contenus, des traductions. Cependant, certaines réponses étaient déjà personnalisées dans la v1, et il n'est prévu aucune formation dans le cadre de l'utilisation de la v2 de Raiponse. Quant au temps dégagé pour le personnel RH, susceptible d'avoir des conséquences sur l'emploi, cela était déjà le cas lors de la mise en place de la v1, et ne l'est pas davantage avec la v2.

En outre, le CSEC a bien été consulté lors de la mise en place de ce chatbot en 2022, ainsi qu'informé sur la montée de version en 2025. 

Ainsi, il n'est pas établi que l'ajout de thèmes, de documents et de fonctionnalités soit susceptible d'impacter la situation des travailleurs, il n'y a donc pas de projet important ayant des incidences sur les conditions de travail.

Le CSEC n'a donc pas à être consulté.

La nouvelle plateforme d'accès aux outils d'IA générative est bien une nouvelle technologie

Le juge constate que la plateforme MedIAGen a pour objet de permettre un accès sécurisé aux outils d'IA générative, ce qui constitue une technologie nouvelle.

Le tribunal souligne que l'employeur a d'ailleurs prévu un module de formation dédié à l'utilisation de la plateforme, et permettra d'y avoir accès.

S'agissant de son impact sur la situation des travailleurs, le juge explique que « si celui-ci n’est pas précisément connu à ce stade notamment en termes de répercussions sur certains emplois et de maintien de l’emploi en général, il n’en demeure pas moins que les documents de présentation de cet outil élaborés par France Télévisions elle-même précités font mention notamment d’un objectif d’efficacité opérationnelle grâce à l’autonomisation et de la faculté de créer ses propres assistants à cette fin, de sorte qu’il ne s’agit pas seulement de permettre l’accès aux solutions d’IA génératives du marché ».

En outre, ajoute le juge, « la formation prévue spécifiquement préalablement à l’utilisation de cette plateforme aura nécessairement pour effet de contribuer à l’utilisation de cette technologie par davantage de salariés et partant, d’en accentuer les conséquences ».

Il en résulte que le CSEC doit être consulté préalablement à la mise en service de MedIAGen pour l'ensemble des salariés. Dans cette attente, le déploiement de la plateforme est suspendu. 

Remarque : les mêmes sanctions ont été prononcées dans l'affaire tranchée par le tribunal judiciaire de Créteil en juillet 2025 (TJ Créteil, ord. réf., 15 juillet 2025, n° 25/00851).

Le juge ajoute que, dans la mesure où la plateforme est utilisée depuis le second trimestre 2024 par près de 800 salariés, « la suspension du déploiement de cet outil est bien la sanction adéquate au sens de l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE précitée, en ce que la décision définitive pourra s’enrichir de l’avis préalable des représentants du personnel ». 

Remarque : rappelons qu'en cas d'introduction de nouvelle technologie ou de projet important ayant des conséquences sur les conditions de travail, le CSE peut s'adjoindre l'aide d'un expert habilité, conformément à l'article L. 2315-94. Le recours à cet expert porte le délai de consultation à 2 mois. Ces expertises sont cofinancées à 80/20 % par l'employeur et le CSE. Il y a à cet égard une nouvelle source de contentieux possible. C'est d'ailleurs sur ce terrain que se situait le seul arrêt, à ce jour, de la Cour de cassation relatif au rôle du comité en matière d'IA. Et il avait été jugé en 2018 que le projet d'introduction d'un logiciel d'IA destiné à aider les chargés de clientèle à traiter les courriels n'avait que conséquences mineures sur les conditions de travail directes des salariés dont les tâches s'en trouvaient facilitées (Cass. soc., 12 avr. 2018, n° 16-27.866). Reste à savoir si la Cour de cassation adopterait aujourd'hui une solution similaire, et si elle est d'accord avec le tribunal judiciaire de Paris lorsqu'il juge que l'introduction de nouvelle technologie ne nécessite pas obligatoirement une modification des conditions de travail, mais qu'il suffit que la mise en œuvre de ces outils soit susceptible d'avoir des impacts sur les travailleurs ?

Ces sanctions sont assorties d'une astreinte, cependant le CSEC est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à ses obligations. Le tribunal estime qu'il ne s'agissait pas d'une obligation non-sérieusement contestable, la preuve en étant que la consultation n'était effectivement pas nécessaire pour la v2 du chatbot RH.

Enfin, le juge refuse de faire droit à la demande de communication d'une liste de documents et d'informations dans le cadre de la consultation jugée obligatoire. Il rappelle que ce n'est pas l'objet du recours en cours. C'est en effet, une fois la consultation commencée que le CSE peut demander en justice communication d'informations supplémentaires en cas de manquement de l'employeur, conformément à l'article L. 2312-15 du code du travail. Le CSE devra donc alors, le cas échéant, saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants.

Remarque : dans une autre affaire de février 2025, la consultation sur l'introduction d'outils d'IA dans une entreprise avait été entreprise, mais le CSE avait saisi le tribunal judiciaire de Nanterre au motif que ces applications informatiques avaient été mises en œuvre avant qu'il ait pu rendre son avis, ce qui caractérisait un trouble manifestement illicite. Sa saisine étant fondée sur l'article L. 2312-15 du code du travail, et le juge donne raison au CSE. Il explique qu'il résulte des dispositions de cet article que lorsqu'une consultation est commencée, le projet ne peut être mis en œuvre avant que le comité n'ait rendu son avis ou que le juge saisi du contentieux de la communication de documents complémentaires n'ait statué, et ce que la consultation soit obligatoire ou non. Dans cette affaire, le juge ne se prononce donc pas sur l'obligation de consultation, celle-ci ayant déjà débuté, mais rappelle les obligations de l'employeur lorsqu'une telle consultation est initiée, et suspend en conséquence le déploiement des outils d'IA jusqu'à ce que la consultation soit terminée (TJ Nanterre, réf. ord., 14 févr. 2025, n° 24/01457) (v. notre article).

Séverine BAUDOUIN
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