Intelligence artificielle : « un membre de l’équipe mais pas le chef d’équipe »

Intelligence artificielle : « un membre de l’équipe mais pas le chef d’équipe »

21.05.2025

Gestion d'entreprise

Si l’IA a longtemps suscité des réticences, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les directions juridiques s’en emparent au quotidien pour gagner en efficacité. Retour sur les temps forts de la table ronde du Cercle des directions juridiques organisée le 20 mai.

Mardi soir, avait lieu la deuxième table ronde du Cercle des directions juridiques de Lefebvre Dalloz sur le thème « IA : nouvelles frontières du droit ? », animée par Mylène Lefebvre, rédactrice en chef au sein du groupe. Un sujet qui occupe et préoccupe les DJ, tout comme celui du rapport de durabilité, objet de la première rencontre de ce nouveau Cercle.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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La question n’est plus : faut-il utiliser l’IA mais quelle IA choisir et comment l’implémenter ? Et pour répondre à cette question, il faut partir des besoins et élaborer des cas d’usage. C’est ce qu’a fait le groupe de travail de la Cour de cassation, présidé par Sandrine Zientara. présidente de chambre, directrice du service de documentation, dont le rapport « Cour de cassation et intelligence artificielle : préparer la Cour de demain » a été rendu le 28 avril. Ces cas d’usages ont été « classés à partir de l’expression des besoins autour de 3 grandes familles » : « l’IA pour exploiter les écritures des parties », « l’IA documentaire », « les IA d’aide à la rédaction », indique Sandrine Zientara. Puis « pour évaluer ces cas d’usages » et « faire des choix » car ils ne peuvent pas être tous développés en même temps », « nous avons élaboré des critères » : « éthiques », « juridiques », « fonctionnels », « techniques » et « économiques », explique-t-elle. Cette méthodologie avec ces 5 catégories de critères » peut être « utilisée de bout en bout tout au long de durée de vie d’un programme d’IA ». Elle peut aussi sans nul doute trouver à s’appliquer au sein des directions juridiques qui utilisent l’IA de plus en plus.

« On sait tous faire »

Fini les peurs ? Pas encore totalement, toutes les directions juridiques n’ont pas le même degré de maturité sur le sujet, ni nécessairement une approche aussi construite. Chez Mistral AI, elle est « itérative, souligne Blanche Savary de Beauregard, directrice juridique et secrétaire du board de la pépite française de l’IA. On construit l’IA en même temps qu’on construit les usages de l’IA et que je construis une DJ et ses pratiques ». La DJ n’avait pas de base de contrats par exemple. Un essentiel et sans doute un des cas d’usage les plus développés dans les DJ.

« Avec une IA sans surcouche applicative particulière ou sans base documentaire particulière, vous pouvez prompter vos contrats et des questions sur vos contrats », explique Blanche Savary de Beauregard. L’IA peut être très utile au moment de la rédaction d’une clause soit pour l’améliorer, soit pour pointer du doigt ses faiblesses mais aussi au moment de la négociation. La directrice juridique raconte : « Si j’essaie un argument, qu’il ne marche pas, qu’on me répond un autre argument, je demande à l’IA de me donner des nouvelles idées pour défendre ma clause ou une clause qui réponde à ces contraintes tout en répondant aux miennes ». La directrice juridique n’est pas la seule à trouver l’IA particulièrement adaptée aux contrats. Pierre Benoit Pabot de Chatelard, partner chez Clifford Chance est aussi un utilisateur quotidien d’IA qu’il s’agisse de « revue de contrats » pour comparer ou faire un résumé ou de « rédaction des contrats. Je travaille dans une matière qui est très standardisée, le droit des financements. On a standardisé les modèles de contrat depuis longtemps mais l’IA nous fait quand même gagner un temps considérable dans la rédaction de ces documents de 50 pages », explique-t-il.

La bonne nouvelle. « On sait tous faire, sourit Blanche Savary de Beauregard. On est tous déjà formés, on sait tous poser les bonnes questions et cela permet de s’approprier les cas d’usage de l’IA très simplement ». Le prompt de l’IA peut aussi aider pour construire des guidelines. La directrice juridique explique ce qu’ils l’ont fait pour les accords de confidentialité : « au fil de l’eau, on a construit une réflexion sur ce que nous avons vu devant nos clients, ce que nous trouvions acceptable ou pas en termes de loi applicable et on les fait évoluer ». Elles se matérialisent en une page de consignes simples qui est transmise aux commerciaux de Mistral.

La compliance, cas concrets pour l’IA

« A partir du moment où on a réussi à trouver un très bon prompt, très construit et très clair, on en a fait un agent dans notre IA et ainsi on peut prompter tous les NDA (Non Disclosure Agreement) de Mistral et sortir toutes les conclusions sur ce qu’il faut négocier », poursuit-elle. Et ceci est valable pour de nombreuses tâches qui incombent aux juristes d’entreprises. Il est possible de créer des agents pour aider à la recherche documentaire, à la rédaction de mail en reliant le drive ou la messagerie de son entreprise à l’IA, par exemple.

L’IA peut aussi trouver à s’appliquer pour des tâches ou des dossiers plus complexes. Plus un document est normé, plus une matière est standardisée ou réglementée, plus l’IA va trouver un terrain de jeu parfait pour s’appliquer. La compliance en fait partie. Aujourd’hui, on ne peut plus faire sans l’IA parce que les Autorités l’utilisent et que leurs lignes directrices attendent que les entreprises le fassent. Il faut y voir « une opportunité, une question d’égalité des armes, explique Margot Sève, partner chez Skadden car si vous savez que les Autorités, DGFIP, DOJ, ACPR, AMF… utilisent déjà des outils d’IA, c’est dans l’intérêt des entreprises de s’approprier ses outils ».

Que ce soit sur le volet préventif ou répressif de la conformité, les cas d’usage ne manquent pas non plus. Margot Sève cite :

  • la veille juridique et réglementaire qui « boostée à l’IA » pourrait être « croisée avec les données en internes » et représentait un gain indéniable pour la DJ ;
  • la mise à jour des « formations dispensées aux personnes les plus exposées au risque de corruption » où il est possible de « demander à l’IA d’utiliser votre cartographie des risques » ;
  • s’agissant de la procédure des lanceurs d’alerte, faire un « tri des signalements plus efficace et plus rapide qui prioriserait les signalements à hauts risques » ;
  • en matière d’enquêtes internes, « faire de la revue prédictive ». En paramétrant correctement la machine, elle « peut revoir 300 000 documents en quelques heures dans 190 langues différentes ».

L’IA peut aussi jouer un rôle décisif dans la stratégie de défense des entreprises. C’est une aide. Mais « l’IA ne raisonne pas, elle peut éventuellement prendre connaissance d’anciens raisonnements, rappelle l’avocate. Quid de l’innovation ? Ce n’est pas l’IA qui va donner une solution innovante ». C’est souvent ce qui est recherché par les entreprises pourtant. Ce qui fait dire à Margot Sève que c’est « un membre de l’équipe, pas le chef de l’équipe ».

Laurine Tavitian
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