[Interview] Arnaud Gossement (avocat) : "Le droit n’est qu’un levier parmi d'autres pour assurer la protection de l'environnement"

[Interview] Arnaud Gossement (avocat) : "Le droit n’est qu’un levier parmi d'autres pour assurer la protection de l'environnement"

22.09.2025

Environnement

Le Conseil constitutionnel a censuré une partie de la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, appelée "loi Duplomb", le 7 août 2025. Les juges ont retoqué la mesure visant à réintroduire l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2018, en se fondant sur la Charte de l’environnement. Décryptage avec Arnaud Gossement, avocat et professeur associé à l'université Paris 1, rédacteur de la saisine parlementaire à l’origine de la décision des Sages.

Vous qualifiez cette décision d'"historique". Pourquoi ?

Arnaud Gossement : C'est la première fois que le Conseil constitutionnel se fonde sur l’article 1er de la Charte de l'environnement – selon lequel "chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé" –, sans le combiner avec d’autres articles. C’est également la première fois qu’il l’applique, c’est-à-dire qu’il en sanctionne la méconnaissance. Il y avait bien une décision, datant de mars 2025, pour laquelle le Conseil constitutionnel avait sanctionné la modification du régime de la pisciculture. Mais nous n’étions pas sur un cas aussi politiquement sensible, aussi impactant pour l'environnement que la question des pesticides. C’est notre modèle agricole, notre rapport au sol, au vivant, à l'utilisation de la chimie, etc., dont il est question ici !

Pourquoi le fait que le Conseil constitutionnel s’appuie sur l'article premier, seul, représente une avancée ?

Arnaud Gossement : Le Conseil constitutionnel aurait pu rester sur la forme, en regardant simplement s’il y avait un problème en termes de procédure. Mais il est allé beaucoup plus loin : il juge que le contenu de la loi en lui-même pose souci par rapport à l'article 1er, qui est un droit de l’Homme, et non pas un article procédural.

Pourquoi ne pas avoir mentionné le principe de précaution – article 5 de la Charte de l’environnement – dans la saisine au Conseil constitutionnel ?

Arnaud Gossement : Se prévaloir du principe de précaution aurait été une énorme erreur ! Ce principe vise à maîtriser des risques nouveaux et incertains, des risques sur lesquels il n’existe pas de consensus parmi les experts. Nous sommes ici face à un risque avéré – en particulier pour les pollinisateurs et les oiseaux migrateurs –, confirmé par le Conseil constitutionnel lui-même dans la décision du 10 décembre 2020, et dans celle qui nous occupe aujourd’hui. Comme nous sommes sur un risque avéré, c’est le principe de prévention qu'il aurait éventuellement fallu appliquer. En bonne foi, le Conseil constitutionnel est allé plus loin que le droit procédural, et c'est sur du fond qu'il censure cette disposition.

D’autres mesures controversées (le relèvement des seuils d'autorisation environnementale pour les bâtiments d'élevage ou les ouvrages de stockage d'eau qui sont présumés d’intérêt général) n’ont toutefois pas été censurées par le Conseil constitutionnel et sont donc bien dans la loi Duplomb, publiée au Journal officiel le 12 août

Arnaud Gossement : Concernant les mégabassines, la mesure de simplification prévue par la loi Duplomb devait permettre d’obtenir une "dérogation espèces protégées" pour la réalisation de ces retenues de substitution, et le Conseil constitutionnel a formulé une "réserve d'interprétation", par laquelle il a annulé tout l’intérêt de la mesure. Il a donc agi ! Pour le reste, le message politique est certes détestable, mais si nous nous penchons sur les mesures dans le détail, elles ont peu d’intérêt. Lors des grèves au début de l'an dernier, les agriculteurs ont surtout demandé des aides au titre de la PAC (politique agricole commune) et pour leurs endettements, et non des mesures de modification du code de l'environnement.

Il n’empêche que seule une disposition a été censurée, et que, de manière générale, les sanctions prononcées sur le fondement de la Charte sont peu nombreuses. Comment expliquer cette frilosité de la part des juges constitutionnels ?

Arnaud Gossement : La prudence du Conseil constitutionnel concerne le contrôle de la loi de manière générale, et n’est pas spécifique au cas de la Charte. Le Conseil a historiquement toujours eu la crainte d'être taxé de "gouvernement des juges", et de se voir reprocher d’imposer ses vues au Parlement, qui lui a été élu. C’est aussi en raison du nombre extrêmement faible de décisions par lesquelles le Conseil constitutionnel censure l'article d'une loi parce que contraire à la Charte, que cette censure relative à la loi Duplomb est intéressante !

Face aux initiatives politiques des derniers mois visant à détricoter les réglementations environnementales, jugées trop contraignantes, le droit est-il en mesure de protéger l’essentiel ?

Arnaud Gossement : Oui, certaines décisions de justice sont encourageantes et les défendeurs de l'environnement ont raison de saisir les tribunaux pour faire respecter le droit de l'environnement. Mais il y a aussi des procès perdus, il y a aussi des procédures décevantes. Le droit reste un levier parmi d’autres pour faire progresser la cause environnementale. Il faut aussi informer, éduquer, partager l'information, mobiliser, manifester, écrire, changer ses habitudes, voter intelligemment aux élections, il y a mille choses à faire !

 

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Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Aline Nippert
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