Jean-Emmanuel Ray, professeur à l'Ecole de Droit de la Sorbonne et directeur du M2 Professionnel "Développement des Ressources Humaines et Droit Social", revient sur la philosophie qui a présidé à l'élaboration des ordonnances réformant le code du travail. Barème obligatoire, unification des accords sur l'emploi,... le professeur de droit salue des mesures pragmatiques.
Il s'agit de l'acte I d'une vaste réforme qui veut accompagner le passage d'un monde militaro-industriel vertical à un monde qui ne l'est plus. Notre droit du travail a été conçu sur ce modèle version "Temps Modernes", visant à protéger la sécurité et la dignité des travailleurs dans un contexte de très forte subordination. Ce modèle a bien fonctionné pendant les Trente Glorieuses, et permis à la France de se développer rapidement. Un changement s'est opéré lorsqu'on est passé de 6% de croissance à la crise-restructuration de la fin des années 1970 : avec la question de savoir qui allait financer le progrès social : le progressiste droit du travail du "toujours plus" avait été financé par cette croissance forte.
Les ordonnances amorcent un retour de la liberté d'entreprendre, opérant un nouvel équilibre entre cette liberté (côté entreprise) et liberté conventionnelle (côté syndicats). Car il y aura de plus en plus de transitions professionnelles : il est nécessaire de fluidifier les parcours professionnels, et de co-construire un système qui nous permette d'entrer dans la Révolution numérique. Avec l'assouplissement du cadre du télétravail, la réforme de l'assurance chômage mais surtout de la formation, il faut donner aux salariés les moyens de faire face à leur employabilité. Reste à savoir si tous sont suffisamment autonomes pour la gérer: aujourd'hui, ceux qui en ont le plus besoin (les non qualifiés) sont ceux qui en demandent le moins.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Le gouvernement souhaitant relancer la création d'emplois, il fallait donc agir en début de quinquennat. Mais ce ne sont plus les grandes entreprises bien équipées en juristes qui vont créer de l'emploi, mais les TPE-PME. Le message que le gouvernement a manifestement souhaité leur envoyer, à travers de très pragmatiques mesures (précisions sur les motifs du licenciement, modèle de lettre, plafonnement…) est qu'elles peuvent embaucher plus facilement car elles ont davantage de visibilité juridique. Et avec le rapprochement des statuts salarié / indépendant, constater que la création d’emploi ne passe plus exclusivement par le salariat et sa subordination, qui n’est plus le Graal des jeunes générations.
Les ordonnances mettent un terme à certains chiffons rouges créés par la jurisprudence : ce n'est pas le juge qui fait la loi.
S'agissant du barème obligatoire des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge est souvent demandeur de planchers et de plafonds. Mais la réforme fait peser un risque d'effets pervers sur le contentieux en matière de harcèlement moral et de discriminations, qui sont hors barémisation. Un développement de ces contentieux peut être dangereux avec des systèmes de preuve et de prescription différents, dans ces domaines très médiatisés. Quant aux "libertés fondamentales", permettant aussi d'écarter le barème, nous ne savons pas ce que "fondamentales" recouvre exactement : les libertés de valeur constitutionnelle ?
Il faut cesser d'empiler des dispositifs chaque année, qui par ailleurs n’ont pas marché. Simplifier en unifiant ces quatre dispositifs est une bonne idée. Mais l'uniformisation s'est faite sur le régime le plus rude pour le salarié refusant de se voir appliquer l'accord [à savoir un licenciement sui generis] . Le gouvernement aurait pu décider de faire plier le contrat lui-même, ce que le Conseil Constitutionnel admet pour des motifs d’intérêt général : il a préféré désinciter le salarié à refuser.
Lorsque l'entreprise va mal et qu'elle risque de déposer le bilan, elle peut avoir recours à cette solution alternative : ces "accords emploi" peuvent permettre de sauver la collectivité du travail. Mais ce nouveau système va t-il générer des nouveaux accords, quant on voit l'échec des accords de maintien dans l'emploi, de préservation et de développement de l'emploi ou de mobilité…alors que les accords compétitivité-emploi ne figurant nulle part ont partout fleuri ? Je ne ferai donc pas le pari que les entreprises vont se jeter sur le nouveau dispositif, surtout si le marché de l’emploi repart. Car celles qui concluraient des accords abaissant par exemple les rémunérations contractuelles prendraient le risque de voir partir les meilleurs collaborateurs; a fortiori si les démissionnaires ont demain droit aux allocations chômage.
La branche n'est pas morte ; on est passé de 6 à 13 domaines réservés. Mais la question est celle de la détermination des "garanties équivalentes" permettant aux entreprises de signer leur propre accord sur ces thèmes. Mais là encore, on peut se demander quels syndicats vont se lancer, par accord majoritaire, dans de telles opérations de sortie de la branche. Rappelons que la loi Fillon du 4 mai 2004 autorisant déjà de telles dérogations a été finalement très, très peu utilisée. Il faut que ces textes entrent dans les moeurs sociales…
L'article L.1 ne dit pas qu'il doit y avoir une négociation, mais une "concertation préalable" ; le Conseil d'Etat a vérifié que l'article L.1 avait bien été respecté lors de l'examen du projet de loi d'habilitation. Une telle concertation bilatérale permet de fixer les orientations générales avec les leaders, évitant les postures des grandes conférences sociales ; puis d’aborder avec les techniciens ces sujets très techniques.
Mais problème commun à toute l’Europe : les partenaires sociaux, vu leur base vieillissante et leur intégration dans le système social ont-ils la dynamique sociale suffisante pour faire face aux défis, voire aux ruptures qui nous attendent ? A l’instar de l’IG Metall allemande, aller chercher les jeunes, y compris ceux des TPE/PME ou travaillant pour les plateformes numériques grace à un réseau dédié leur délivrant des services, comme vient de le faire la CFDT avec « Union », est très décoiffant mais constitue l’avenir.
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