Télétravail, congés forcés, réquisitions, suspension du repos dominical voire activité partielle… Les entreprises franciliennes sont en phase de discussion voire de négociation pour adapter leur organisation du travail durant les Jeux olympiques et paralympiques qui auront lieu du 26 juillet au 11 août et du 28 août au 8 septembre. Un dossier plutôt sportif pour les DRH !
À cinq mois et demi de la cérémonie d’ouverture, les entreprises franciliennes restent perplexes. Les restrictions de circulations et la sur-fréquentations dans les transports poussent les DRH à anticiper leur organisation du travail, même si de nombreuses informations manquent toujours. "Il va être compliqué pour les salariés de venir au travail en voiture et même en transport en commun pendant toute cette période avec la fermeture de stations de métro ou la mise en place de barrages filtrants dans les périmètres de sécurité", admet Thomas Fauré, CEO de Whaller, une entreprise éditrice de logiciels de 30 personnes implantée à Suresnes (92). A fortiori pour les entreprises proches de sites de compétition. Des inquiétudes que partage Fatimata Ndiaye, DRH de Cision, une société de communication, veille et intelligence media, basée dans l’une des zones dites "rouges", interdites à la circulation, face au Stade de France (93), en plein cœur de la zone olympique.
Dans l’attente de directives claires de la part de l’Etat ou de la région - le plan de circulation devrait être dévoilé en février - certaines entreprises, pressées par leurs collaborateurs, ont pris le sujet à bras-le-corps pour assurer la continuité de l’activité. Plusieurs scénarios se dessinent. La piste des congés payés divise.
Pour Thomas Fauré, pas question de les imposer. "Nous ne pouvons pas priver les salariés de leurs vacances de février ou de Noël". "Habituellement, 80 % de nos salariés sont en vacances durant cette période, veut se rassurer Fatimata Ndiaye, nous aurons probablement le même nombre de demandes cet été".
Même écho de la part de Philippe Servalli, président de la FFB Grand Paris Île-de-France et directeur général de la société Saint-Denis constructions (70 salariés) : "on va commencer les négociations lors de la réunion du prochain CSE. Je vais inciter les salariés à poser leurs vacances durant cette période mais je ne vais pas les imposer. Je ne veux pas commencer à tendre les relations sociales, en ajoutant des problèmes sociaux aux problèmes économiques".
Il n’empêche. Les syndicats sont sur leurs gardes. "Nous craignions que certains managers ne prennent les devants pour exiger la pose de congés durant cette période", alerte Ludovic Landois, délégué CFE-CGC de l'UES d'Orange. C’est d’ailleurs l’option choisie par Supermood (37 salariés sont 25 à Paris), une start-up RH, spécialisée dans les baromètres d’engagement qui imposera "une semaine de congé". "Certains salariés louent leur appartement et ne souhaitent pas forcément rester à Paris durant cette période", assure Kevin Bourgeois, le PDG fondateur de la jeune pousse.
Daniel Weizmann, senior vice-président de VWR, filiale d’Avantor (distributeur de matériels de laboratoires), président du Medef Ile-de-France et chef de file pour représenter l’organisation patronale dans le cadre des JOP, souhaite, lui aussi "optimiser cette prise de congés pour environ 80 % des salariés, contre 60 % habituellement durant cette période-là. Le sujet des congés est d’ailleurs l'une des seules prérogatives véritables du chef d’entreprise par rapport au droit du travail".
Le sujet est à l’étude chez Oui Care, une entreprise de services à la personne qui prévoit un surcroît de prestations ménagères, en raison de l’augmentation des locations Airbnb durant l’événement. "Un groupe de travail va démarrer en février avec les directeurs délégués des agences parisiennes, explique Djamila Tedjani, la DRH de la société. Tout l’enjeu sera de trancher la question des congés payés : faudra-t-il inciter les collaborateurs à partir en vacances dès le mois de juin pour que qu’ils soient présents pendant cette période très chargée ou faudra-il les interdire ? Et dans les deux cas, quid des compensations ? Nous allons commencer à sonder nos clients actuels pour anticiper au mieux le volume de travail supplémentaire".
D’ores et déjà, l’entreprise prévoit d’équiper les salariés de vélos électriques pour se déplacer dans Paris. Djamila Tedjani regrette toutefois un manque criant de visibilité. "En dehors des médecins et des infirmières, toute une frange de la population sera présente durant l’été et devra assurer des prestations de service, parfois 24 heures sur 24 comme pour notre activité senior. On ne peut pas laisser nos clients sans aide externe".
Une chose est sûre : "le travail risque d’être très désorganisé, pendant au moins six mois, de juin à décembre, en comptant les reports de congés payés… ".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Autre alternative : le télétravail. "Notre charte nous permet de travailler en full remote (100 % télétravail) pendant six semaines par an. Les salariés pourront donc prendre cette option pour travailler à distance, de leur domicile ou d’un autre lieu", indique la DRH de Cision.
"A deux pas de l’Etoile, ce sera un enfer de venir au travail, prédit cette salariée de la CPME Ile-de-France. Nous allons passer en télétravail total et nous organiser pour venir prendre le courrier une ou deux fois par semaine...".
Reste que le retour au télétravail à temps complet inquiète : "les salariés sont plus efficaces en présentiel. Il est toujours plus facile de résoudre des problèmes en confrontant les différents de points de vue, notamment dans le cadre de la gestion de projet", assure Thomas Fauré qui envisage du sur-mesure en demandant l'avis de chaque salarié. "Les collaborateurs ont besoin de venir au bureau, ils en ont compris la nécessité, renchérit Fatimata Ndiaye. Leur présence favorise la créativité, le collaboratif. Nous n’imposerons donc pas le télétravail à temps complet, sauf si des directives nous l’imposent pour des questions sécuritaires".
Car plusieurs points de vigilance demeurent. Notamment les "risques psychosociaux dûs à l’isolement des salariés. Pas question donc de mettre en place un confinement olympique".
De plus, quid des indemnités journalières de télétravail ? Seront-elles versées pendant ces jours supplémentaires sauf à ouvrir une négociation avec les partenaires sociaux ?
Autre scénario : le déménagement à la campagne. Supermood prévoit ainsi d'organiser une semaine "au vert" pour les collaborateurs volontaires, "dans une grande ferme ou un haras". Avec à la clef, des moments festifs en fin de journée.
L’affaire se corse pour les entreprises fortement mobilisées. Les agents de la RATP et la SNCF seront au coeur du dispositif pour assurer la circulation de tous les trains supplémentaires prévus pour transporter les touristes olympiques. Les négociations ont débuté avant les vacances Noël pour déterminer l’organisation du travail et le montant des compensations que verseront les entreprises de transport aux salariés durant les Jeux olympiques.
Le groupe ferroviaire a ouvert des négociations avec les organisations syndicales "concernant l’accompagnement des cheminots pendant les Jeux olympiques et paralympiques, tant sur le plan financier que sur celui de l’organisation du temps de travail", avance la direction. Idem à la RATP. Des discussions sont en cours avec les organisations syndicales représentatives sur une gratification spécifique liée au surcroît d’activité pour certaines catégories de personnels. Mais de l’avis de Vincent Gautheron, délégué syndical central adjoint CGT de l’entreprise, le compte n’y est pas. D’une part, "les négociations ne sont pas centralisées mais sectorisées (maintenance, fonctions supports, agents de gare et de RER…). Avec, à la clef, des primes à géométrie variable qui oscilleront de 15 à 50 euros par jour travaillé". D’autre part, "le flou persiste sur l’organisation du travail : les vacances seront-elles décalées ? Les agents n’auront la réponse à leur demande que fin février/ début mars". Or, "ceux qui sont réquisitionnés ne pourront pas tous partir en septembre, il faudra étaler les congés non pris jusqu’en décembre…".
Jean Castex, le PDG de la RATP, a annoncé, le 23 janvier, plus de 5 300 personnes embauches en Île-de-France cette année, après le recrutement de 6 600 personnes en 2023, dont près de 3 000 conducteurs de bus pour assurer un "service exceptionnel lors des Jeux". Pas de quoi rassurer toutefois Vincent Gautheron qui pointe ici un manque d’attractivité criant des métiers de la RATP : "1 200 conducteurs de bus ont quitté l’entreprise sur les neuf premiers mois de l’année 2023 dont 300 pour partir en retraite, d’après un relevé effectué en octobre. Les autres sortants ont démissionné, ont été révoqués ou licenciés pour insuffisance professionnelle...".
Sodexo Live ! qui doit assurer la restauration des 15 000 athlètes attendus pour l’événement, est aussi sur le qui-vive. 6 000 salariés seront sur le pont durant l’été prochain. Le restaurant du village des athlètes sera ouvert sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
Les commerces pourront, eux, rester ouverts le dimanche, du 15 juin au 30 septembre 2024, en vertu de la loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 du 19 mai 2023 qui prévoit une dérogation temporaire au repos dominical pour faire face à l’affluence exceptionnelle attendue de touristes. Laquelle s’appliquera aux boutiques situées dans les communes d’implantation des sites de compétition ainsi que dans les communes limitrophes.
Le salarié qui accepte de travailler le dimanche devra bénéficier des contreparties : une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente et un repos compensateur équivalent en temps.
Une problématique loin des entreprises du bâtiment qui vont tourner au ralenti : aucune autorisation de nouveau chantier ne sera délivrée entre le 15 juin et le 15 septembre 2024 dans les zones rouges (10 % du territoire parisien). Philippe Servalli, président de la Fédération française de bâtiment Grand Paris Ile-de-France (140 000 entreprises, 360 000 salariés), minimise toutefois l’impact économique qui devrait être "marginal". "Cette interdiction ne devrait concerner que peu de chantiers. Le Préfet réfléchit avec les services de l’Etat à la mise en place d’un dispositif d’activité partielle pour circonstances exceptionnelles avec une prise en charge du même ordre que celle activée pendant la crise sanitaire".
Mais le vrai sujet d’inquiétude concerne la circulation, au cours de l’été, en plein cœur des JO qui va entrainer des "difficultés de livraison".
Surtout, pour Philippe Servalli, un impact psychologique est à prévoir : "les maîtres d’ouvrage, qu’ils soient publics ou privés, commencent à reporter leurs travaux par crainte des contraintes de circulation. Si le phénomène est encore difficile à mesurer, il pourrait se traduire par une inertie en prise de commandes des chantiers organisés l’été comme les écoles, les crèches mais aussi des travaux de co-propriété".
Pas de doute : l’événement du siècle est aussi un défi sportif côté DRH.
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