Jouer à cache-cache peut coûter cher : l’ADLC inflige une amende de 900 000 € à l’encontre du groupe Loste pour obstruction au bon déroulement d’une OVS

Jouer à cache-cache peut coûter cher : l’ADLC inflige une amende de 900 000 € à l’encontre du groupe Loste pour obstruction au bon déroulement d’une OVS

14.11.2024

Gestion d'entreprise

Dans une décision du 24 septembre 2024, l’Autorité de la concurrence (ADLC) a infligé au groupe Loste une amende de 900 000 €pour entrave au bon déroulement des opérations de visite et de saisie (OVS). Le dirigeant du groupe et sa directrice juridique avaient fourni des informations inexactes quant à la présence du dirigeant du groupe dans les locaux de l’entreprise. Dans cette chronique, Aude Guyon, associée et Pauline Klein, avocate au sein du cabinet Fiducial Legal By Lamy reviennent sur cette décision.

Mentir à l’Autorité de la concurrence peut vous coûter cher – en l’occurrence, 900 000 € pour le groupe Loste, dont le dirigeant et la directrice juridique avaient fourni des informations inexactes quant à la présence du dirigeant dans les locaux de l’entreprise lors d’une OVS de l’ADLC. Cette décision souligne l’importance de la coopération des entreprises pendant les enquêtes et illustre l’engagement de l’Autorité à sanctionner sévèrement toute obstruction pouvant entraver ses investigations dans le cadre du respect des règles de concurrence.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Rappel des faits

A la suite de l’ouverture d’une enquête dans le secteur de la charcuterie salaisonnerie, l’ADLC a pratiqué le 16 novembre 2023 des OVS simultanées dans les locaux du groupe Loste et ceux de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viandes (FICT).

Le dirigeant du groupe Loste, alors qu’il avait été informé par son assistante de la présence des enquêteurs de l’Autorité dans leurs locaux, s’est rendu dans son bureau sans se présenter aux enquêteurs. Il s’est toutefois entretenu avec la directrice juridique du groupe, qui lui a également fait part de la présence des enquêteurs, avant de se rendre à un rendez-vous professionnel à l’extérieur.

Interrogée par les enquêteurs sur place, la directrice juridique a d’abord indiqué aux enquêteurs ne pas avoir croisé le dirigeant de la matinée, avant de reconnaitre qu’elle l’avait aperçue après l’arrivée des enquêteurs de l’ADLC, et finalement qu’elle lui avait fait part de la présence des enquêteurs.

En parallèle, les enquêteurs présents dans les locaux de la FICT ont demandé au délégué général de la FICT présent sur place de joindre les dirigeants de la Fédération pour qu’ils se présentent dans les locaux de la FICT. Contacté par téléphone, le vice-président de la FICT, qui est également le dirigeant du groupe Loste, a indiqué qu’il ne pouvait venir, prétextant un déplacement au Royaume-Uni.

Finalement, quelques heures après le début de l’OVS, le dirigeant du groupe Loste est revenu dans les locaux du groupe afin de remettre aux enquêteurs son téléphone et sa tablette.

L’approche étendue de la notion d’obstruction

L’Autorité a considéré que la directrice juridique et le dirigeant du groupe Loste ont fait obstruction au bon déroulement des OVS en fournissant des renseignements erronés quant à la présence de ce dernier dans les locaux de l’entreprise et sur la possibilité qu’il se rende dans les locaux de la FICT.

De tels actes relèvent en effet de l’article L.464-2, V du Code de commerce.

L’ADLC a rappelé à plusieurs reprises que les comportements prévus dans cet article ne constituaient pas une liste exhaustive des cas d’obstruction. Ainsi, tout comportement de l’entreprise tendant, de manière délibérée ou par négligence, à faire obstacle ou à retarder, par quelque moyen que ce soit, le déroulement de l’enquête peut constituer une obstruction.

Si dans l’affaire en cause, l’Autorité a retenu que le dirigeant avait délibérément menti quant à l’existence d’un prétendu déplacement à l’étranger, il n’est toutefois pas nécessaire que l’entreprise fasse sciemment des déclarations inexactes pour que son comportement soit qualifié d’obstruction.

L’entreprise étant tenue d’une obligation de collaboration active et loyale à l’enquête, il suffit qu’elle demeure passive, ou fasse preuve de négligence pour se voir condamnée. Ainsi, l’ADLC a précédemment qualifié d’obstruction l’absence de réponse d’une entreprise à une demande d’information et la fourniture d’une information erronée par une entreprise rectifiée seulement tardivement dans la procédure.

Ce comportement n’est pas sans risques, puisque l’entreprise reconnue coupable d’obstruction peut se voir infliger de lourdes sanctions.

Les sanctions de l’obstruction

En application de l’article L article L.464-2, V du Code de commerce, en cas d’obstruction, l’Autorité de la concurrence peut prononcer une amende pouvant aller jusqu’à 1 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes.  La prononciation d’une telle sanction par l’Autorité empêche toute possibilité de poursuite pénale pour l’entreprise au titre des mêmes faits, et donc d’une nouvelle amende. En revanche, elle ne préjuge pas du résultat de l’enquête au fond de l’Autorité de la concurrence.

Si l’Autorité de la concurrence n’a pas publié de lignes directrices quant à la méthode de fixation des amendes en matière d’obstruction, il ressort des décisions qu’elle prend en compte différents critères comme la gravité du comportement, ses conséquences sur l’enquête et plus généralement son impact sur l’ordre public économique. Elle part également du principe qu’une amende pour obstruction doit être suffisamment dissuasive. En effet, les entreprises ne doivent pas penser qu’elles seraient gagnantes de faire obstacle à l’enquête, et que le bénéfice coût/risques est avantageux.

Peuvent notamment être prise en compte la temporalité de l’obstruction, la position des personnes impliquées et leur ancienneté dans l’entreprise.

Ainsi, concernant le groupe Loste, l’Autorité a retenu le fait que l’obstruction avait eu lieu lors de la première phase des investigations. Or à ce stade, les enquêteurs ne connaissent pas les locaux et l’organisation de l’entreprise, et les informations fournies par l’entreprise sont cruciales pour pouvoir notamment procéder aux scellés de certains bureaux. Le fait de mentir sur la présence d’un membre de l’entreprise peut retarder la mise en place de scellés, et donc entrainer un risque de déperdition des preuves. L’ADLC a également retenu que la directrice juridique avait de nombreuses années d’expérience, et que son comportement et celui du dirigeant concernaient la présence d’une personne visée précisément par les OVS, à savoir le dirigeant du groupe Loste.

Par ailleurs, si le caractère délibéré de l’obstruction n’est pas un élément nécessaire pour retenir la qualification d’obstruction, il peut être pris en compte au stade de la fixation de l’amende. Dans l’affaire Loste, l’Autorité a ainsi retenu que le dirigeant de l’entreprise et la directrice juridique avaient agi de manière délibérée, « en toute connaissance de cause ».

Au vu de ces éléments, l’ADLC a jugé leur comportement « particulièrement grave » et prononcé une sanction à hauteur de 900 000 €. Si l’amende demeure inférieure au plafond de 1% du chiffre d’affaires mondial du groupe Loste (ce montant n’ayant pas été communiqué par l’Autorité de la concurrence), elle reste particulièrement importante compte tenu du chiffre d’affaires de la seule société Loste (2 344 592 €).

Surtout, il s’agit de la deuxième plus grosse condamnation de l’Autorité pour obstruction à une enquête. Sur les six sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité en matière d’obstruction, l’amende prononcée à l’encontre du groupe Loste se place à la deuxième place, à égalité avec la société Akka Technologies qui avait été sanctionné à hauteur de 900 000 € en 2019 pour avoir brisé des scellées et altéré le fonctionnement d’une messagerie lors d’une OVS, soit 0,67% du chiffre d’affaires du groupe et loin du maximum légal de 13,34 millions d’euros.

A ce jour, l’amende record de 30 000 000 € infligée à Brenntag pour avoir fourni des informations incomplètes, imprécises et hors délai, et pour avoir refusé de transmettre des éléments que l’Autorité avait sollicité à plusieurs reprises, reste inégalée. L’Autorité avait considéré que l’ampleur des rétentions d’informations l’avait empêchée d’envisager une quelconque qualification des pratiques dénoncées ou, au contraire, une décision de non-lieu sur les pratiques mises en cause.

La possibilité de contester la décision de sanction

Comme lorsque l’Autorité se prononce sur le fond, ses décisions condamnant les entreprises pour obstructions sont susceptibles d’appel dans un délai d’un mois suivant la notification de la décision.

Sur cinq des précédentes condamnations pour obstruction, quatre ont fait l’objet ou font encore l’objet d’une procédure d’appel. A ce stade, le groupe Loste n’a pas annoncé s’il avait formé un recours contre la décision rendue le 24 septembre 2024.

Les appels sont formés devant la Cour d’appel de Paris, qui est la seule à pouvoir réformer une décision de l’Autorité de la concurrence, peu important le lieu du siège social de l’entreprise condamnée.

Les chances d’appel varient selon le cas d’espèce et les arguments présentés par les parties. Par exemple, certaines peuvent soulever une violation des droits de la défense, d’autres tenter d’établir que l’infraction d’obstruction n’était pas caractérisée, voire les deux.

Toutefois, les chances d’annulation ou de diminution d’une amende pour obstruction semblent minces au vu de la jurisprudence existante. Ainsi, sur les quatre décisions de l’Autorité ayant fait l’objet d’un appel, deux procédures sont toujours en cours (Brenntag et Eurobéton).

S’agissant de l’affaire Akka Technologies, la Cour d’appel de Paris a uniquement réduit la condamnation solidaire de certaines entreprises du groupe Akka : si elle n’a pas diminué le montant de la sanction de 900 000 €, certaines entreprises ne sont finalement redevables solidairement qu’à hauteur de 700 000 €. Concernant la condamnation de la société Mayotte Channel Gateway, la Cour d’appel de Paris a simplement rejeté le recours et confirmé la sanction de 100 000 €.

En conséquence, il semble que les entreprises condamnées pour obstruction par l’Autorité de la concurrence ne doivent pas s’attendre à un renversement de la situation par la Cour d’appel de Paris. Pour se prémunir d’une sanction, il reste préférable d’éviter tout comportement pouvant être qualifié d’obstruction.

Nos recommandations pour les entreprises en cas d’OVS

Compte tenu du stress que peuvent engendrer de telles enquêtes, les entreprises peuvent (et devraient) former régulièrement l’ensemble de leurs équipes aux procédures à suivre en cas d’OVS afin d’éviter toute sanction. Si l’ensemble des salariés sont concernés, une attention particulière devrait être portée aux équipes dirigeantes et au personnel d’accueil.

Aude Guyon Co-auteur : Pauline Klein
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