Jugement du 20 septembre 2022 : quels enseignements pour les organismes de formation en matière de recours au CPF ?

Jugement du 20 septembre 2022 : quels enseignements pour les organismes de formation en matière de recours au CPF ?

20.10.2022

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Amandine Vetu et Franck Morel, avocats associés au sein du cabinet Flichy Grangé Avocats, analysent la portée du jugement du tribunal correctionnel de Saint-Omer du 20 septembre 2022 qui a condamné un organisme de formation pour fraude au compte personnel de formation.

Créé par la loi du 5 mars 2014, le compte personnel de formation (CPF) permet aux salariés d’acquérir des droits à formation, mobilisables tout au long de leur vie professionnelle pour suivre un certain nombre de formations limitativement énumérées par le code du travail (article L.6323-6 du code du travail). La loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018 en a largement démocratisé l’utilisation. Le nombre de demandes de financement est ainsi passé de 1 à 2,1 millions entre 2020 et 2021 (1).

Le succès du dispositif est donc indéniable.

Il n’est pas pour autant sans poser de difficultés.

La Cour des comptes soulignait ainsi, le 5 avril dernier, la "situation financière préoccupante" de France compétences et proposait notamment de mettre un terme au financement sur les fonds du CPF des formations les moins qualifiantes (permis de conduire, formations à la création d’entreprise, bilans de compétences, tests de niveau linguistique et informatique notamment). Les signataires de l’accord cadre national interprofessionnel du 14 octobre 2021 regrettaient qu’il soit insuffisamment recouru au CPF au service du parcours professionnel de l’actif et en lien avec les besoins des entreprises de son territoire.

Le succès du CPF est également entaché par les comportements abusif et frauduleux de certains organismes de formation peu scrupuleux, tout particulièrement illustrés par le démarchage téléphonique incessant subi par les titulaires de comptes.

Ces abus peuvent bien entendu être sanctionnés. La Caisse des dépôts et consignations, en charge du fonctionnement du CPF, s’assure ainsi du respect des conditions générales d’utilisation de la plateforme CPF et peut, en cas de manquement, prononcer un certain nombre de sanctions allant jusqu’au déréférencement de l’organisme. Les plaintes provenant des personnes ayant mobilisé leur CPF doivent par ailleurs faire l’objet d’un traitement prioritaire dans le cadre des opérations de contrôle diligentées par les agents de contrôle des Dreets (2).

La réponse à ces abus est également législative, à travers la proposition de loi visant à "lutter contre les abus et les fraudes au compte personnel de formation", adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier.

Le jugement du tribunal correctionnel de Saint Omer du 20 septembre 2022, qui condamne pour la première fois un organisme de formation et sa dirigeante du fait d’infractions en lien direct avec l’utilisation du compte personnel de formation, s’inscrit clairement dans cette tendance.

Dans cette affaire, un organisme de formation et sa dirigeante étaient poursuivis des chefs de faux, escroquerie et blanchiment, pour avoir reçu plus de 3 millions d’euros de la part de la Caisse des dépôts et consignations alors même que les prétendues formations financées ne consistaient, dans une large mesure, qu’en l’envoi d’une clé USB, sans le moindre contrôle ni suivi pédagogique de la part de l’organisme.

L’organisme de formation est finalement reconnu coupable de faux, escroquerie et blanchiment. Il est notamment condamné à une peine d’amende de 300 000 euros, ainsi qu’à l’interdiction définitive d’exercer directement ou indirectement une activité de formation continue d’adultes. La dirigeante, jugée coupable de blanchiment, est condamnée à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis, assortie, notamment, de l’interdiction d’exercer une activité de formation pendant cinq ans. S’y ajoute sur le plan civil la condamnation à régler à la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3 096 950 euros, dont 330 000 euros solidairement avec la dirigeante.

Dans un contexte marqué par les abus, cette décision se veut exemplaire. Olivier Dussopt, Gabriel Attal et Carole Grandjean ont d’ailleurs déclaré que "cette décision démontre l’efficacité de l’institution judiciaire contre les organismes frauduleux et les formations fictives. C’est un signal fort qui est adressé à leurs dirigeants et un encouragement pour la politique que mène le gouvernement à l’égard du CPF : le renfort des contrôles en amont de l’inscription sur la plateforme est par ailleurs en cours par un travail collaboratif avec les parlementaires. Nous y veillerons, pour faire cesser ces abus qui nuisent à l’image du CPF".

Mais en pratique, quels enseignements juridiques faut-il retenir de cette décision ?

Trois points d’attention nous semblent devoir être mentionnés.

L’envoi d’un support de cours, sans plus-value du formateur ni suivi du stagiaire, ne peut être qualifié d’action de formation

Une action de formation est, au regard de la définition légale, un "parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel". Elle peut être réalisée en présentiel, à distance, ou en situation de travail. Lorsqu’elle se déroule en distanciel, comme au cas d’espèce, l’organisme de formation est tenu (i) de mettre en œuvre une assistance technique et pédagogique appropriée pour accompagner le bénéficiaire dans le déroulement de son parcours, (ii) d’informer le bénéficiaire sur les activités pédagogiques à effectuer à distance et leur durée moyenne et (iii) de mettre en place des évaluations qui jalonnent ou concluent l’action de formation (article D. 6313-3-1 du code du travail). En pratique, la simple mise à disposition d’un support de formation ne peut être assimilée à une action de formation au sens du code du travail. Les juges du tribunal correctionnel de Saint-Omer le soulignent.

Pour qualifier le délit d’escroquerie et condamner l’organisme de formation à ce titre, le tribunal correctionnel de Saint-Omer rappelle que pour être qualifiée comme telle, la formation, qui "a pour but l’acquisition de nouvelles compétences pour les stagiaires", suppose "un suivi et un encadrement des prestations", non fournis en l’espèce par l’organisme. Les juges relèvent ainsi que les personnes ayant mobilisé les fonds de leur compte personnel de formation recevaient simplement, après leur inscription, "une clé USB avec un support de cours et d’exercice acheté 6,50 euros, sans plus-value du formateur, sans vérification régulière auprès du stagiaire qu’il suit la formation". Le seul fait "d’être disponible si besoin ne [permettait] pas de caractériser une action de formation".

Les prestations fournies par l’organisme de formation ne pouvaient donc en aucun cas être qualifiées d’actions de formation, ni, a fortiori, être financées sur les fonds du compte personnel de formation.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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Les feuilles d’émargement ne peuvent être valablement contresignées par l’organisme de formation, sans suivi des heures réalisées par les stagiaires

Tout organisme de formation doit être en mesure de justifier, en cas de contrôle, de la réalité des formations dispensées. Classiquement, cette démonstration se fait, pour les formations en présentiel, par la production de feuilles d’émargement signées par demi-journées, permettant d’identifier le stagiaire et le formateur et de connaitre les dates et les lieux précis de réalisation (3). Sont interdits les émargements intervenus avant la réalisation de la formation (4), mais également la régularisation a posteriori (5). Lorsque la formation a lieu en distanciel, l’administration préconise la mise en place d’"un système de suivi de l’action afin de lever toute incertitude liée à la réalité et à la durée de la formation suivie par les stagiaires" (6) et énumère un certain nombre de documents permettant de justifier de la réalité de l’action : justificatifs permettant d’attester de la réalisation des travaux exigés, informations et données relatives au suivi de l’action, à l’accompagnement et à l’assistance du bénéficiaire par le dispensateur de la formation ou encore évaluations spécifiques organisées par le dispensateur de la formation (7).

S’agissant des formations financées dans le cadre du CPF, la Caisse des dépôts et consignations peut, avant tout paiement, dans le cadre d’un contrôle de service fait, exiger de l’organisme de formation la communication de ces justificatifs (8). C’est dans ce cadre qu’en l’espèce, l’organisme de formation poursuivi remettait régulièrement à la Caisse des dépôts et consignations des feuilles d’émargement signées par les stagiaires et la dirigeante, mentionnant le nombre d’heures réalisées pour chaque demi-journée de formation.

A première vue, les justificatifs fournis semblaient ainsi conformes aux exigences rappelées ci-dessus. Cette apparente conformité n’a pas résisté à l’analyse des juges qui relèvent que faute de tout suivi des travaux réalisés par les apprenants à leur domicile, la dirigeante de l’organisme ne pouvait "en aucun cas savoir si [ils] effectuaient réellement la formation" aux dates renseignées. Plusieurs stagiaires interrogés avaient d’ailleurs expressément reconnu ne pas avoir réellement réalisé la formation. Dès lors, en "contresignant les feuilles d’émargement ainsi remplies, elle donnait du crédit à l’idée qu’un suivi en temps réel était effectué, ce qui n’était pas le cas", ce qui constitue un faux, au sens de l’article 441-1 du code pénal.

Bien plus, en produisant ces documents à la Caisse des dépôts et consignations pour obtenir le paiement de "formations" - au demeurant inexistantes – l’organisme de formation a "masqué le fait qu’[il] ne réalisait pas réellement d’action de formation" et s’est rendu coupable d’escroquerie, définie par l’article 313-1 du code pénal comme le fait, notamment par le recours à des manœuvres frauduleuses, "de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge" (article 313-1 du code pénal).

L’organisme de formation ne peut remettre de cadeaux aux stagiaires en contrepartie de la mobilisation de leur compte personnel de formation

Afin d’attirer un nombre élevé de stagiaires, l’organisme de formation poursuivi accordait aux apprenants, en contrepartie de la mobilisation de leur compte personnel de formation, des cadeaux divers et variés, allant de la carte cadeau à l’ordinateur portable, en passant par le téléphone ou l’appareil photo. L’audition de plusieurs stagiaires avait par ailleurs mis en évidence que l’octroi d’un cadeau avait, pour beaucoup, soit exclusivement motivé leur inscription à la formation, soit, a minima, orienté leur choix en faveur de l’organisme poursuivi.

Certes, il n’y a pas là, en soi, une escroquerie au sens de l’article 313-1 du code pénal. Les juges correctionnels de Saint-Omer ont toutefois estimé que la promesse de cadeaux à la clientèle - pour un montant total supérieur à 1 million d’euros – avait permis à l’organisme de formation de multiplier le nombre de stagiaires et, ainsi, d’obtenir le "versement de plus de sommes par la CDC".

Ils en concluent que "l’attrait de nombreux stagiaires par la promesse de cadeaux, sans réelle action de formation avec la production à la CDC de justificatifs démontrant le contraire" caractérise des manœuvres frauduleuses au sens de l’article 313-1 du code pénal. S’y ajoutait, de surcroît, un système de parrainage conduisant l’organisme à remettre des cadeaux à des parrains, amenant de nouveaux clients et n’ayant même suivi eux-mêmes la formation.

Le raisonnement retenu par le tribunal correctionnel conforte le refus très clair de la remise de cadeaux en contrepartie de l’inscription à une formation.

La dernière version des conditions particulières d’utilisation de la plateforme CPF édictées par la Caisse des dépôts et consignations mentionne ainsi expressément, au nombre des manquements aux conditions générales, la "proposition d’une contrepartie, notamment financière ou matérielle (ex : cadeau) au stagiaire en échange de son inscription" (9). La Caisse des dépôts et consignations a d’ailleurs récemment eu l’occasion de rappeler, à l’occasion de ses campagnes de sensibilisation, que de telles pratiques n’étaient pas acceptées, les fonds du compte personnel de formation devant financer, à titre exclusif, les frais de formations.

Ensuite, et comme le soulignent les juges correctionnels de Saint-Omer, l’organisme de formation doit être en mesure de justifier, en cas de contrôle, que les dépenses réalisées sont rattachables à son activité de formation. A défaut, l’organisme s’expose au rejet de ses dépenses, et au versement, au Trésor Public, d’une somme équivalente aux sommes rejetées (article L.6362-5 du code du travail). A l’occasion de tels contrôles, les juges administratifs ont considéré à plusieurs reprises que les sommes consacrées à l’achat de cadeaux à destination des apprenants, mais également d’entreprises partenaires, n’étaient pas rattachables à l’activité de formation. Il en va ainsi, par exemple, des ordinateurs portables gracieusement cédés aux stagiaires à l’issue d’une formation (10), de billets de train vers Londres offerts à l’occasion d’une formation en anglais (11), mais également de cadeaux offerts à des entreprises ayant recruté certains stagiaires à l’issue de la formation (12) ou employé des jeunes en contrats de professionnalisation (13), ou encore, aux tuteurs ayant suivi les stagiaires dans l’entreprise (14)

 

(1) Caisse des dépôts et des consignations, QPS septembre 2022, La formation professionnelle financée par le CPF en 2021 : comment la consommation évolue-t-elle ?

(2) Annexe au projet de loi de finances pour 2022 – Formation professionnelle, pages 187 et 188 (en pièce jointe). 

(3) CAA de Nantes, 6e chambre, 4 février 2020, 18NT02392 ; CAA de Lyon, 7e chambre, 15 juin 2020, n° 17LY00827 ; CAA Nantes, 6e chambre, 17 décembre 2019, n° 18NT01873 ; CAA Paris, 8e chambre, 31 janvier 2019, n° 17PA02591 ; CAA Nantes, 6e chambre, 20 avril 2021, n° 19NT01974 ; CAA Paris, 3e chambre, 19 janvier 2017, n° 15PA03730. 

(4) CAA de Lyon, 7e chambre, 15 juin 2020, n° 17LY00827.

(5) CAA Douai, 3e chambre, 11 juin 2020, n° 18DA00484 ; CAA Bordeaux, 6e chambre, 9 décembre 2015, n° 14BX03485. 

(6) Circulaire DGEFP n°2011-22 du 20 juillet 2001 relative aux formations ouvertes ou à distance.

(7) Dreets Ile-de-France, Guide à l’usage des organismes de formation, juin 2022, page 8.

(8) Conditions particulières d’utilisation - organismes de formation - version 8, octobre 2022 - article 5.

(9) Conditions particulières organismes de formation, avril 2022, annexe.

(10) CAA Lyon, 10 janvier 2017, n°14LY02543 ; CAA Lyon, 29 août 2019, n°18LY03942

(11) CAA Paris, 4 avril 2019, n°18PA00982

(12) CAA Paris, 27 février 2017, n°15PA03064

(13) CAA Paris, 2 décembre 2019, n°18PA21060 ;

(14) CAA Lyon, 12 janvier 2012, n° 10LY01808

Amandine Vétu et Franck Morel
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