Justice climatique : les sources de risque pour les entreprises

06.02.2023

Gestion d'entreprise

Le point sur les différents fondements sur lesquels repose les contentieux portés par la société civile contre des entreprises mises en cause du fait de leurs engagements et de leur communication en matière environnementale.

Si le règlement Taxonomie constitue le socle des objectifs des entreprises en matière environnementale, on observe actuellement « une diversification des moyens de droit invoqués pour mettre en cause la responsabilité des entreprises » sur ce terrain, du fait de « la construction de normes éparses », explique Emmanuelle Brunelle, avocate spécialisée en contentieux. Entre mises en demeure et assignations en justice, les associations de défense de l’environnement et de défense des consommateurs à l’origine de la grande majorité de ces actions s’appuient en effet sur différents fondements pour engager la responsabilité des entreprises devant le juge judiciaire.

Devoir de vigilance : de l’injonction à se mettre en conformité…

Un des premiers fondements de ces mises en cause est le devoir de vigilance et les obligations – prévues par l’article L. 225-102-4 du Code de commerce – qui incombent aux grandes entreprises qui y sont assujetties. Les assignations devant le tribunal judiciaire de Paris se multiplient et les toutes premières décisions sur le fond sont attendues cette année (lire notre article).

Il s’agit pour la plupart d’actions en injonction à se mettre en conformité avec les obligations de la loi, c’est-à-dire à adopter un plan de vigilance conforme à la loi et à le mettre en œuvre de façon effective. Elles visent des atteintes aux droits fondamentaux ou aux droits des travailleurs et, de plus en plus souvent, des atteintes à l’environnement. La première décision sur le fond, en référé, est attendue le 28 février prochain dans l’affaire concernant les activités de TotalEnergies en Ouganda.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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… à l’action en réparation des dommages

Ces actions en injonction à se mettre en conformité s’accompagnent parfois d’actions en réparation des dommages. L’objectif est alors de faire condamner l’entreprise à réparer les dommages que la bonne exécution des obligations de l’article L. 225-102-4 aurait permis d’éviter. C’est le cas, par exemple, dans l’affaire qui vise le groupe Rocher pour les atteintes à la liberté syndicale chez un sous-traitant de sa filiale en Turquie, et dans celle qui vise le groupe Casino pour ses approvisionnements en viande de bœuf en provenance du Brésil et de la Colombie et leur impact sur la déforestation et à l’accaparement de territoires autochtones.

« Ces actions en réparation posent la question du lien de causalité entre le préjudice et le manquement aux obligations fixées par la loi sur le devoir de vigilance », relève Emmanuelle Brunelle. Une question complexe, « à laquelle le tribunal judiciaire de Paris va devoir répondre ». En cours d’examen devant le Parlement européen, la proposition de directive sur le devoir de vigilance « devrait venir clarifier un certain nombre de notions – telles que “les relations commerciales établies” – et préciser la nature des actions “de prévention et d’atténuation des risques”, ainsi que la présomption de responsabilité qui peut être imputée aux entreprises pour les dommages causés par des partenaires indirects ».

Greenwashing et pratiques commerciales trompeuses

Plusieurs actions climatiques ont également été lancées sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses (articles L.121-1 et suivants du Code de la consommation). Dans ces contentieux, « on observe une cristallisation des débats autour de la définition des pratiques commerciales trompeuses qui est un fondement très large », relève l’avocate.

Outre les lignes directrices émises par la Commission européenne (révisées en 2021) et le guide pratique des allégations environnementales (en cours de révision) du ministère de l’Économie, « les seules précisions apportées par la loi aujourd’hui concernent l’allégation “neutre en carbone” dans les publicités », poursuit-elle. D’où « une immixtion très forte du juge dans l’interprétation des allégations environnementales ». Il en ressort que « ce que le juge étudie c’est avant tout la présentation qui est faite et la nature des explications données aux consommateurs ». La proposition de modification de la directive sur les pratiques commerciales déloyales est « à surveiller », car « les précisions apportées par la directive auront un impact sur l’interprétation de la loi en France ».  

Le choc des mots, le poids des explications

En 2021, l’association de défense des consommateurs et des usagers CLCV a ainsi lancé des actions pour pratiques commerciales trompeuses contre Nespresso et sa maison-mère Nestlé (visant la communication sur un café « neutre en carbone » et des capsules « 100 % recyclables »), la marque d’eau minérale Volvic (bouteille « 100% recyclée » et « 100% recyclable ») et le fournisseur d'électricité suédois Vattenfall, à qui elle reproche notamment l’utilisation des termes « neutre en carbone » dans la présentation de l’une de ses offres. Le 19 avril 2022, le juge du tribunal judiciaire de Paris a rejeté toutes les demandes de CLCV concernant Vattenfall : il a jugé que la présentation de l’offre était suffisamment précise et transparente pour le consommateur et qu’aucune pratique déloyale n’était caractérisée.

Dernièrement, TotalEnergies été assigné en justice pour pratiques commerciales trompeuses en mars 2022 par trois ONG qui lui reprochent d’induire les consommateurs en erreur quant à son engagement « net zéro ». Le recours vise, pour l’essentiel, deux messages d’une campagne publicitaire de 2021 ayant trait à son engagement vers la neutralité carbone d’ici 2050 et à des déclarations sur le gaz fossile. Après le refus des ONG d’en passer par une médiation, la prochaine audience devant le tribunal de Paris a été fixée en mars 2023.

En juin 2022, les marques Adidas et New Balance ont été assignées en justice pour pratique commerciale trompeuse parce qu’elles présentent leurs baskets fabriquées à partir de plastique recyclé comme une solution pour préserver la planète. Dans son recours, l’association Zero Waste France s’appuie notamment sur un avis du Jury de déontologie publicitaire de l’Autorité de régulation de la publicité concernant une publicité d’Adidas qui reprend le même argument. « Les avis du Jury de déontologie peuvent faire partie d’une stratégie contentieuse, pour se constituer des preuves », pointe Emmanuelle Brunelle.

Informer et communiquer avec prudence

De façon plus générale, toutes les informations fournies par les entreprises en matière environnementale, « y compris dans les documents de référence » tels que la déclaration de performance extra-financière, constituent « une potentielle source de contentieux » portés « par des associations ou des actionnaires activistes », poursuit-elle. Même les résolutions Say on Climate sont « une possible source de contentieux, ou de précontentieux en interne, s’il y a un décalage entre les objectifs et les résultats ». Selon le bilan établi par le Forum pour l’investissement responsable, trois entreprises ont adopté une résolution Say on Climate en France (Atos, TotalEnergies et Vinci) et dix en 2022 (Amundi, Carrefour, EDF, Elis, Engie, Getlink, Icade, Mercialys, Nexity, TotalEnergies).

 

Miren Lartigue
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