Justice prud'homale : "les réformes précédentes n'ont pas produit d'effets"

Justice prud'homale : "les réformes précédentes n'ont pas produit d'effets"

17.07.2019

Gestion du personnel

Les commissions des lois et des affaires sociales du Sénat ont rendu publiques, hier matin, leurs propositions pour améliorer la justice prud'homale. En dépit de réformes successives, les quatre co-rapporteuses de la mission estiment qu'il reste encore du chemin à faire pour aboutir à une procédure prud'homale fluide et efficace.

Comment améliorer l'efficacité de la justice prud'homale ? Les réformes se suivent... et ne se ressemblent pas sans arriver toutefois à parvenir à une justice prud'homale fluide et accessible. C'est pour cela que le Sénat a décidé de remettre l'ouvrage sur le métier. Pendant près de 18 mois, quatre sénatrices, co-rapporteuses de la mission sur la justice prud'homale (*), ont multiplié les auditions et les déplacements. Le constat est double : "les critiques récurrentes sont souvent basées sur des préjugés infondés. Mais cela se traduit quand même par de réelles difficultés et une conciliation marginale (moins de 8 %)", observe la sénatrice LR, Agnès Canayer. Par ailleurs, "les réformes précédentes n'ont pas produit d'effets et il y a eu peu d'améliorations".

Les propositions de réforme qu'elles ont formulées hier matin, au Sénat, portent tout autant sur la procédure que sur les garanties à même d'assurer aux justiciables un traitement efficient de leurs demandes.

La conciliation proposée si elle peut aboutir

La loi Croissance et activité du 6 août 2015 a largement revu la procédure prud'homale. Pourtant, selon les co-rapporteuses, les blocages demeurent et la conciliation, pourtant obligatoire, reste faible. C'est à partir de ce constat qu'elles proposent un circuit remanié des demandes devant le juge prud'homal.

Il s'agirait de rendre la conciliation facultative et de mettre en place un nouveau schéma procédural (hors référé) dans lequel un bureau d'orientation (BO) serait chargé d'orienter les affaires soit vers une médiation ou un autre mode amiable, soit vers un bureau de conciliation, soit vers un bureau de jugement, présidé le cas échéant par un magistrat professionnel.

La comparution personnelle des parties serait alors obligatoire devant le bureau de conciliation.

La conciliation, qui ne serait plus une étape obligatoire, pourrait être décidée si l'affaire le justifie. Sinon comme cela est le cas aujourd'hui le bureau d'orientation pourrait orienter l'affaire vers le bureau de jugement qui fixerait le calendrier de la mise en l'état.

Le rapport propose aussi d'expérimenter, dans plusieurs conseils de prud'hommes, le renvoi obligatoire des affaires portant sur des demandes d'un montant supérieur à un montant qui serait fixée par décret ou sur des licenciements dont la nullité est alléguée devant une formation de jugement comprenant un magistrat professionnel.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Mieux accompagner les justiciables lors de la présentation de leur requête

L'un des points noirs de l'accès à la justice prud'homale est le nouveau formulaire, créé par la loi de 2015, qui rend la saisine des conseils de prud'hommes plus complexe. "Nous avons entendu de nombreuses critiques partout où nous sommes allées", reconnaît Pascale Gruny, sénatrice LR. Mais elle tient à le souligner : "ce formulaire n'est pas obligatoire ; il s'agit d'un document Cerfa pour aider les justiciables. Il faudrait surtout les accompagner via des partenariats avec différentes structures d'accès au droit".

Donner plus de moyens aux conseils de prud'hommes

La question des moyens accordés aux conseils de prud'hommes est bien sûr au menu des propositions. "Les conseils de prud'hommes pâtissent d'un manque de moyens matériels et humains". Le rapport ne propose pas de réviser la carte judiciaire mais d'adapter le nombre de conseillers par conseil de prud'hommes afin de tenir compte des évolutions démographiques, économiques et contentieuses. Il suggère également de pourvoir l'intégralité des postes de greffiers des greffes de conseils de prud'hommes et de permettre le recrutement d'assistants de justice et de juristes assistants afin d'aider les conseillers et les juges départiteurs dans la préparation des audiences et la rédaction des jugements.

Les moyens, c'est aussi une formation professionnelle adaptée. Le rapport recommande d'étendre la formation délivrée par l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) aux nouveaux conseillers à ceux qui étaient déjà en fonction. "Il y a souvent des critiques sur la motivation des jugements. Or, la formation de l'ENM est la plus pointue pour cela", explique Nathalie Delattre. Le rapport estime en effet que le grand nombre d'appels peut s'expliquer par des jugements insuffisamment motivés

Renforcer l'autorité des conseillers prud'hommes

Certaines propositions peuvent apparaître anecdotiques. Tel est le cas du port de la robe pour les conseillers prud'hommes en remplacement de la médaille. Pourtant, assure le rapport, il s'agit d'amener les justiciables à modifier le regard qu'ils portent sur les conseillers prud'homaux. "Si l'absence de tenue spécifique peut donner au justiciable l'impression d'être jugé par ses pairs, elle peut également nuire à l'autorité des conseillers prud'hommes, notamment lorsqu'ils doivent entendre la plaidoirie d'avocats qui, eux, portent la robe et a fortiori dans les formations de départage dans lesquels siège un magistrat professionnel. Prévoir le port d'une robe (...) pourrait contribuer à faire apparaître, aux yeux du justiciable, les conseillers prud'hommes pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des juges".

Une autre proposition pour assurer l'autorité des juges prud'homaux est de leur demander de fournir une déclaration d'intérêts. "Si l'on se rend compte que dans une affaire il y a un conflit d'intérêts direct avec un collègue ou une entreprise sous-traitante par exemple, la déclaration d'intérêts permet de vérifier et de protéger les conseils de prud'hommes de critiques qu'on pourrait leur faire", explique Nathalie Delattre, sénatrice RDSE. Cette déclaration, qui ne serait pas rendue publique, serait adressée au président et au vice-président du conseil de prud'hommes, comme c'est le cas pour les juges des tribunaux de commerce.

Enfin, il est également proposé de limiter le nombre de mandats consécutifs de président et vice-président. Les co-rapporteuses déplorant que ces postes reviennent toujours en alternance aux mêmes personnes. Par ailleurs, il faudrait faire des présidents et vice-présidents des vrais chefs de juridiction. Le rapport suggère de leur permettre d'organiser la juridiction, de rappeler la procédure et d'harmoniser les pratiques entre les sections. Une conférence des présidents pourrait être instituée au sein de chaque conseil de prud'hommes afin de délibérer des sujets communs et d'harmoniser les pratiques.

Améliorer l'indemnisation des conseillers prud'hommes

L'argent est le nerf de la guerre, même au sein des conseils de prud'hommes. Le rapport souhaite que l'indemnisation des conseillers prud'hommes soit revalorisée. "Le travail des conseillers prud'hommes comprend l'analyse préalable des dossiers ; or cela n'est pas décompté dans le temps indemnisé", regrette Corinne Féret, sénatrice PS. L'amélioration de leur indemnisation leur permettrait de mieux préparer les audiences en amont, de prendre connaissance des dossiers et de participer à des réunions de travail pour améliorer leurs pratiques.

 

Reste à savoir le sort que connaîtra ce rapport alors qu'une réforme globale de la justice vient tout juste d'être adoptée au Parlement. Les sénatrices évoquent la possibilité de déposer des amendements si elles "trouvent le bon véhicule" ou bien encore la possibilité de déposer une proposition de loi. Mais auparavant, les quatre co-rapporteuses comptent bien en discuter avec le ministère de la justice "pour connaître son état d'esprit sur [les] propositions".

 

(*) Agnès Canayer, sénatrice LR de Seine-Maritime, Nathalie Delattre, sénatrice RDSE de la Gironde, Corine Féret, sénatrice socialiste du Calvados, et Pascale Gruny, sénatrice LR de l'Aisne. 

 

 

 

 

Florence Mehrez
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