L’obligation de revitalisation : l’ultime phase de négociations des réorganisations

L’obligation de revitalisation : l’ultime phase de négociations des réorganisations

12.10.2020

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Pierre Bonneau et Dorian Moore du cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats précisent les enjeux liés à l'obligation de revitalisation dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou d'un accord de rupture conventionnelle collective.

Qu’elles envisagent d’y procéder par le biais d’un projet de licenciement collectif pour motif économique leur imposant d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) (1) ou en concluant un accord collectif portant rupture conventionnelle collective (RCC), les entreprises ayant annoncé récemment des projets de réorganisation afin de faire face aux conséquences de la crise sanitaire s’apprêtent ou ont déjà entamé des négociations.

Avec leurs représentants du personnel d’abord, au sujet notamment des mesures visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement externe (actions de formation, actions de soutien à la création d’activités nouvelles, etc) des salariés concernés par l’application du PSE ou de la RCC.

Avec l’autorité administrative ensuite, dans la mesure où l’accord collectif sur le PSE – ou le document unilatéral élaboré par l’employeur en l’absence d’accord ou en cas d’accord partiel – et l’accord collectif de RCC doivent lui être transmis pour validation (homologation en ce qui concerne le document unilatéral élaboré sur le PSE) et elle peut, à cette occasion, demander aux entreprises d’accentuer leurs engagements en matière d’accompagnement du personnel concerné par les suppressions d’emplois.

Une fois leur projet validé par l’autorité administrative, toutes les entreprises ne regagneront pour autant pas immédiatement une entière liberté d’action.

A ce stade en effet, certaines d’entre elles se voient notifier par le préfet leur assujettissement à l’obligation de revitalisation, c’est-à-dire leur obligation de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du PSE ou de la RCC sur les autres entreprises situées dans le ou les mêmes bassins d'emploi.

Or, les entreprises ne sont pas démunies de tout argument à faire valoir auprès de l’autorité préfectorale lors de cette ultime phase de négociations. Eclairages. 

L’assujettissement à l’obligation de revitalisation doit être notifié dans le délai imparti

Avant même d’envisager les conditions d’assujettissement à l’obligation de revitalisation, le préfet, qui entend soumettre à cette obligation une entreprise mettant en œuvre un PSE ou une RCC, est tenu de respecter le délai établi à cet effet.

En effet, lorsqu'une entreprise employant au moins 1 000 salariés ou appartenant à un groupe d’entreprises employant au total au moins mille salariés (2) procède à un PSE ou à une RCC, le ou les préfets dans le ou les départements du ou des bassins d'emploi concernés doivent lui indiquer son assujettissement à l’obligation de revitalisation dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision administrative de validation (ou d'homologation) du PSE ou de validation de la RCC (3).

A défaut, le préfet s’expose au risque de ne pouvoir notifier à une entreprise qu’elle est assujettie à une obligation de revitalisation quand bien même elle en remplirait les conditions.

A cet égard et bien qu’il ait considéré que ce délai avait été respecté dans l’espèce soumise à son appréciation, le tribunal administratif de Lyon a relevé que "l'analyse de l'assujettissement d'une entreprise qui procède à un licenciement collectif aux obligations de revitalisation des bassins d'emploi à une durée limitée à un mois [et ce délai] doit être regardé comme un délai impératif" (4). Impératif et donc contraignant pour l’autorité préfectorale.

Dès lors, la tardiveté de la décision du préfet est susceptible de priver ce dernier de son pouvoir d'appréciation sur le bien-fondé de l’assujettissement à l'obligation de revitalisation de l’entreprise mettant en œuvre un PSE ou une RCC.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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L’assujettissement à l’obligation de revitalisation doit être motivée

L’entreprise mettant en œuvre un PSE ou une RCC est assujettie à cette obligation dès lors que le PSE ou la RCC affecte, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elle est implantée (5).

Pour déterminer si le PSE ou la RCC affecte l’équilibre du ou des bassins d’emploi considérés, le préfet tient compte notamment du nombre et des caractéristiques des emplois susceptibles d'être supprimés, du taux de chômage et des caractéristiques socio-économiques du ou des bassins d'emploi et des effets du PSE ou de la RCC sur les autres entreprises de ce ou ces bassins d'emploi.

Il ne peut en revanche fonder sa décision exclusivement sur la taille du groupe à laquelle l’entreprise appartient et sur le nombre de suppressions d’emplois que le PSE ou la RCC implique, sous peine que sa décision soit annulée (6).

Cette exigence de motivation est d’autant plus importante qu’un même nombre de suppressions d’emploi ne peut être considéré comme ayant le même impact selon que ces suppressions interviennent dans un territoire urbain ou dans une zone rurale plus isolée.

En ce sens et à titre d’illustration, la cour d’appel de Lyon a considéré, dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du tribunal administratif de Lyon précité, que "le licenciement économique collectif résultant de la fermeture [du] site d'Annonay de la société SPPP07, avec la suppression de 38 emplois dans le secteur industriel, ne pouvait être regardé comme affectant par son ampleur l'équilibre du bassin d'emploi dans lequel cette société était implantée" dans la mesure où "le bassin d'emploi d'Annonay concerné comptait près de 5 500 emplois [et] près de 17 entreprises de plus de 50 salariés", "le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A en Nord-Ardèche était de 3 737 personnes en janvier 2012 et qu'ainsi celui des 38 licenciements prévus par ce plan de restructuration (…) ne représentait que 1 % de ces demandeurs d'emplois" et "il n’était fait état, d'aucun élément quant à l'effet de ces licenciements sur les autres entreprises de ce bassin d'emploi, notamment concernant d'éventuelles sociétés sous-traitantes de la société SPPP07" (7).

La solidité de l’argumentaire du préfet est donc essentielle, sous peine que sa décision d’assujettissement à l’obligation de revitalisation soit annulée.

La contribution réclamée à l’entreprise au titre de l’obligation de revitalisation peut être discutée

Outre le principe de l’assujettissement à l’obligation de revitalisation, les entreprises saisies par le préfet peuvent discuter le contenu de cette obligation.

Un délai de six mois, qui court à compter de la validation (ou homologation) du PSE ou de la validation de la RCC, est même consacré à la négociation d’une convention de revitalisation, visant à déterminer la nature ainsi que les modalités de financement et de mise en œuvre des actions destinées à contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du PSE ou de la RCC sur les autres entreprises situées dans le ou les mêmes bassins d'emploi.

Dans l’hypothèse où cette négociation n’est pas concluante, le préfet émet un titre de perception qui fixe le montant de la contribution financière que l’entreprise doit verser au Trésor public au titre de son obligation de revitalisation.

Le montant de cette contribution ne peut en tout état de cause pas excéder quatre Smic par "emploi supprimé" en application du PSE ou de la RCC, étant précisé que les reclassement internes intervenus dans le cadre du PSE ou de la RCC doivent être déduits du nombre d’"emplois supprimés".

Là encore, une négociation peut être engagée avec le préfet, cette fois-ci au sujet du montant de la contribution financière mise à la charge de l’entreprise.

A la lumière notamment des dispositions de l’article L.1233-86 du code du travail, qui prévoient que le préfet peut fixer un montant inférieur à 4 Smic par emploi supprimé lorsque l’entreprise est dans l’incapacité d’assurer la charge financière de cette contribution.

A la lumière également des dispositions de la circulaire interministérielle du 12 juillet 2012 (8) – dont les dispositions ne visent certes pas la RCC mais qui peuvent dans une certaine mesure lui être transposées –, qui fournit des indications sur les emplois supprimés à prendre en considération dans le cadre du calcul de la contribution financière.

Ainsi et à titre d’illustration, la circulaire précise que l’ensemble des salariés bénéficiant d’un régime de préretraite avec suspension du contrat de travail, hors incitation de l’entreprise par rachat de trimestres, ne sont pas pris en compte dans le nombre d’emplois supprimés, à la différence de ceux pour lesquels l’adhésion à ce même dispositif implique la rupture immédiate du contrat de travail.

Cette circulaire précise plus largement que "le nombre de Smic par emploi supprimé fait l’objet d’une négociation avec l’entreprise, en tenant compte de sa situation économique, de l’impact sur le territoire des licenciements et de la qualité de la mise en œuvre de son PSE".

En définitive donc, les entreprises ont tout intérêt à préparer cette ultime phase de négociations avec le préfet, afin sinon d’éviter leur assujettissement à l’obligation de revitalisation du moins de limiter le montant de la contribution financière susceptible de leur être imposée dans ce cadre.

 

(1) L’établissement d’un PSE s’imposant aux entreprises ou établissements qui emploient habituellement au moins 50 salariés et qui envisagent de procéder au licenciement économique d’au moins 10 salariés dans une même période de 30 jours. 

(2) Sauf exception, le champ d’application de l’obligation de revitalisation est identique à celui du congé de reclassement (article L.1233-71 du code du travail). 

(3) Article D.1233-28, alinéa 1er du code du travail. 

(4) Tribunal administratif de Lyon, 13 mai 2014, n°1202010. 

(5) Article L.1233-84 du code du travail. 

(6) Voir en ce sens Tribunal administratif d’Orléans, 30 décembre 2014, n°1303147. 

(7) Cour administrative d'appel de Lyon, 6e chambre, 23 juin 2016, n°14LY02337. 

(8) Circulaire DGEFP/DGCIS/DATAR n°2012-14 du 12 juillet 2012 relative à la mise en œuvre de l’obligation de revitalisation instituée à l’article L.1233-84 du code du travail. 

 

Pierre Bonneau et Dorian Moore
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