L'élément intentionnel du délit de banqueroute

13.12.2020

Gestion d'entreprise

La caractérisation de l'élément intentionnel des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d'une comptabilité manifestement irrégulière suppose la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales.

Le 30 décembre 2008, une SCI a acquis un terrain en vue de la réalisation d’un programme immobilier financé en totalité par un découvert en compte d’un montant de 1 400 000 euros. Le 4 juin 2012, un des actionnaires dépose plainte contre X pour abus de confiance reprochant aux dirigeants de la SCI d’avoir détourné une partie de la trésorerie au profit d’un groupe dont ils assuraient également la direction. Le 15 octobre 2013, la SCI est mise en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 13 septembre 2013. Les deux dirigeants sont poursuivis pénalement en qualité de dirigeants de fait ou de droit de la SCI des chefs de banqueroute pour moyen ruineux, tenue irrégulière de comptabilité et absence de comptabilité.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Le tribunal correctionnel fixe la date de cessation des paiements au 21 mai 2012 et reconnaît les prévenus coupables du délit de banqueroute pour les faits commis à compter de cette date.

Pour prononcer la relaxe, les juges d’appel écartent notamment la date de cessation des paiements fixée par le tribunal correctionnel au 21 mai 2012. Sur ce premier point, la chambre criminelle retient qu’il ne peut leur être fait grief d’avoir retenu la date de cessation des paiements fixée par le jugement d’ouverture de la procédure collective. En effet, si la cessation des paiements constatée par le jugement d’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire est une condition préalable nécessaire à l’exercice de poursuites des chefs de banqueroute par emploi de moyens ruineux, tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière ou absence de comptabilité, sa date est sans incidence sur la caractérisation de ces délits. Ils peuvent être retenus indifféremment pour des faits commis antérieurement ou postérieurement à la cessation des paiements.

En revanche, pour la chambre criminelle, la caractérisation de l’élément intentionnel des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière suppose la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales. Elle n’exige donc pas, toujours selon la chambre criminelle, la preuve que le prévenu a eu la volonté soit d’éviter ou de retarder la constatation de l’état de cessation des paiements, soit d’affecter la consistance de l’actif disponible dans des conditions de nature à placer l’intéressé dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible.

Or, pour prononcer la relaxe des prévenus, les juges d’appel, tout en constatant la tenue irrégulière de la comptabilité de la SCI en 2011, et son absence en 2012 et 2013, avaient énoncé que cette situation s’inscrivait dans un contexte de conflit entre les associés ayant notamment entraîné la démission de l’expert-comptable. Et les juges d’appel d’ajouter qu’ils ne disposaient d’aucun élément permettant de considérer que les irrégularités comme le défaut de comptabilité auraient eu lieu dans le but de retarder la constatation de l’état de cessation des paiements ou d’affecter l’actif de la SCI dans des conditions qui allaient la mettre dans l’impossibilité de faire face au passif exigible. Ils avaient ajouté que l’historique de la société, l’implication des deux dirigeants, l’argent qu’ils ont perdu dans cette opération, leur personnalité, tous deux présentant un casier judiciaire vierge en débit d’une longue expérience d’associé ou de gérant de société, et la poursuite de l’activité de la SCI qui a respecté son plan de redressement, se heurtent à la thèse selon laquelle ils auraient eu l’intention de maintenir artificiellement l’activité de ladite SCI avant la cessation des paiements telle que fixée par le tribunal de la procédure collective.

Toutefois, même si ces arguments de fait peuvent paraître convaincants, dès lors qu’il est admis que la caractérisation de l’élément intentionnel des délits de banqueroute par absence de comptabilité ou tenue d’une comptabilité manifestement irrégulière suppose la seule conscience de son auteur de se soustraire à ses obligations comptables légales, les juges d’appel ont violé les articles L. 654-2, 4° et 5 du code de commerce et 121-3 du code pénal, ce qui entraîne une cassation avec renvoi.

Philippe Roussel-Galle, Professeur à l'Université de Paris, membre du CEDAG
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