L'entreprise à mission : une « façon de résister face au tsunami des GAFA », E. Jacquillat

L'entreprise à mission : une « façon de résister face au tsunami des GAFA », E. Jacquillat

22.03.2018

Gestion d'entreprise

Alors que le rapport Notat Sénard propose de faire reconnaître le statut d'« entreprise à mission » par la loi, Emery Jacquillat, PDG de la CAMIF - 1ᵉ entreprise à mission française - nous explique comment il a réussi à concilier but lucratif et impact positif sur des enjeux sociaux et environnementaux. Selon lui, les entreprises de demain devront avoir une raison d'être ou ne seront plus.

Fin 2017, la Camif intègre dans ses statuts un objet social étendu, celui de « proposer des produits et services pour la maison au bénéfice de l’Homme et de la planète (…), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». 

Quel a été le processus ?

Tout a commencé en 2009, avec la relance de la Camif. Après sa liquidation judiciaire, fin 2008, il a fallu regagner la confiance des parties prenantes : clients, fournisseurs, actionnaires, anciens collaborateurs, etc. L’une des premières actions structurantes a été de proposer un projet ayant un impact positif pour tous. Nous avons déménagé notre siège social à Niort et embauché d’anciens salariés de la Camif. Quand les acteurs du territoire ont compris que nous recréerions des emplois (154 au total), la région Poitou-Charentes a accepté de garantir nos emprunts bancaires à hauteur de 95 %. Les fournisseurs ont également tout de suite compris et adhéré au sens du projet : miser sur la qualité et le durable. Nous avons par la suite travaillé avec l’école d’ingénieurs Mines ParisTech, qui nous a aidés à définir notre mission de manière collaborative, en interrogeant clients, actionnaires et fournisseurs. Enfin, nous avons inscrit la mission dans les statuts afin de la sécuriser.

Comment avez-vous été accompagné sur le plan juridique ?

Nous avons sollicité un cabinet d’avocats local pour la rédaction des statuts et l’articulation entre les deux objets sociaux. Au départ, ils ont été surpris par notre démarche. Le cabinet nous a accompagnés pour la convocation de l’assemblée générale et pour la définition des règles relatives à la modification des statuts. Ils nous ont, par ailleurs, mis en garde sur certains points. Ils étaient, notamment, plutôt opposés à l’inscription de l’objet social étendu et de l’existence du comité « Cellule’Ose » dans les statuts. Ils craignaient les rapports de pouvoirs entre ce nouvel organe de gouvernance et le conseil d’administration.

A-t-il été difficile de convaincre vos actionnaires ?

Les actionnaires ont été très impliqués. Ils ont souhaité être dans une logique d’accompagnement de cette initiative pionnière et créatrice de valeurs. Avoir un positionnement qui fasse sens, c’est une façon de résister face au tsunami des GAFA qui n’ont pas de mission, sauf celle de créer de la valeur pour les actionnaires. Si nous n’avions pas ce positionnement, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Les entreprises de demain devront avoir une raison d'être ou ne seront plus. Les actionnaires ont compris que la valeur est plus durable si elle est partagée. Il est possible de concilier but lucratif et impact positif sur des enjeux sociaux et environnementaux.

Quelles sont les missions du comité Cellule’OSE ? Comment est-il composé ?

La Cellule’OSE a pour mission d’assurer le respect et l’évaluation de la mission. Elle alerte le conseil d’administration et le dirigeant si l’entreprise dévie de sa mission. Le comité est composé d’administrateurs indépendants (personnalités qualifiées, experts en développement durable) et de représentants des parties prenantes engagées avec l’entreprise : collaborateurs, actionnaires, fournisseurs. Bientôt nous intégrerons un représentant des clients.

Le comité rend un avis chaque année, qui sera intégré dans le rapport RSE de l’entreprise.

Que pensez-vous du rapport Notat Sénard ?

Bien qu’il ne soit pas « engageant », c’est une avancée très positive et il faut le saluer. Il envoie un signal fort aux entreprises.

Depuis longtemps, nous appelons de nos vœux à la création d’un statut d’entreprise à mission. Aujourd’hui, pour la première fois, le rapport Notat Sénard (voir le rapport) propose de faire reconnaître l’existence de l’entreprise par le code civil.

Les parlementaires doivent aller au bout. Ce sera une façon d’apporter de la visibilité à ces entreprises et de valoriser ces initiatives. Cela permettra aussi d’inciter les entreprises classiques à s’engager vers le chemin d’entreprises à mission, plus responsables, plus locales et plus solidaires. Le rapport a besoin d’être appuyé par des organisations professionnelles comme le Medef. Il faut faire connaître davantage les entreprises à mission.

Comment œuvrez-vous en ce sens ?

Nous avons créé une communauté des entreprises à mission. Elle réunit des dirigeants de plusieurs entreprises, de toutes tailles et tous secteurs, y compris celui de l’économie sociale et solidaire. L’objectif est de partager et d’échanger entre pairs sur ses expériences et sur les bonnes pratiques à adopter. Par exemple, comment définir sa mission, comment mettre à jour ses statuts, quelle type de gouvernance mettre en place, etc.

 

Comment la��CAMIF remplit sa mission : quelques engagements du quotidien

  • 73 % du chiffre d’affaires réalisé avec plus de 150 fabricants français
  • Le site internet de l’entreprise propose un dispositif permettant de géo-localiser les associations qui proposent une consommation alternative (réparation, recyclage, don, etc.)
  • Installation du centre d’appels à Niort (Deux-Sèvres) et mise en place d’une formation en alternance au e-commerce avec la CCI de Niort
  • Création d’une indemnité kilométrique vélo pour les salariés
  • Élaboration d’un « budget collaboratif » par un groupe de salariés volontaires
  • Fermeture du site internet le jour du Black-Friday  pour « dire stop à la surconsommation ». Pendant cette journée, les collaborateurs sont allés donner de leur temps dans des associations.

 

propos recueillis par Leslie Brassac

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