La CJIP, un outil qui mériterait d’être amélioré

La CJIP, un outil qui mériterait d’être amélioré

23.11.2020

Gestion d'entreprise

Quels aménagements pourraient être apportés à la convention judiciaire d'intérêt public pour améliorer son attractivité aux yeux des entreprises ? Éclairage.

Avec la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), les entreprises françaises disposent désormais d’une autre voie que le procès pénal en cas de suspicion de corruption ou d’autres fraudes pénales. Mais ce dispositif encore récent en droit français présente un certain nombre de faiblesses qui sont autant de freins pour les équipes dirigeantes quand vient l’heure de choisir une voie ou l’autre.

Le facteur temps

« Quand il y a des allégations de faits de corruption ou de fraude, notre premier réflexe est d’analyser le sérieux de ces allégations, de voir quelles mesures il convient de prendre et comment s’organiser en interne », a témoigné la directrice juridique, contentieux et arbitrage d’un grand groupe français au cours d’un atelier organisé le 5 octobre dernier dans le cadre du Global Anticorruption & Compliance Summit. Ensuite, « le facteur temps est déterminant », a-t-elle ajouté : « il faut du temps pour qu’une enquête interne arrive à maturité », « pour avoir suffisamment d’éléments pour déterminer si les allégations sont fondées ou pas » et ainsi décider « au regard des conclusions de l’enquête, s’il vaut mieux se diriger vers une justice négociée ou poursuivre vers la voie judiciaire ». Dans ce contexte, « la fenêtre ouverte par les autorités pour entrer en négociation est une source de pression » face au temps nécessaire pour mener l’enquête interne. Une pression qu’il convient de gérer au mieux afin de ne pas « se précipiter vers une justice négociée ».  

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Responsabilité des personnes physiques et médiatisation

« Le fait que la CJIP évite l’exclusion des marchés publics est évidemment un élément très important » en faveur de la voie transactionnelle, a-t-elle poursuivi. Mais d’autres éléments doivent également être pris en compte. La question de la responsabilité du dirigeant qui va prendre la décision de solliciter une transaction pénale est particulièrement sensible parce que « ce n’est jamais blanc ou noir » et, « selon le montant final de la transaction, il y aura toujours des critiques sur la pertinence de ce choix », lequel « pose aussi la question de la responsabilité civile des mandataires sociaux ». Autre frein : l’intérêt porté par les médias à cette justice négociée. Or, « cette publicité n’est pas neutre » : dans la pratique, « CJIP ou condamnation, dès qu’il y a des allégations de corruption, vous allez être immédiatement interrogés à ce sujet et avoir les mêmes interrogations sur les marchés », a-t-elle relevé.

Aménager les « zones grises des textes »

« Sans rêver à des aménagements qui seraient vraiment trop éloignés de la culture juridique française, il y aujourd’hui une réflexion sur l’évolution de la CJIP », a relevé Salvator Erba, sous-directeur du contrôle au sein de l’Agence française anticorruption (AFA). Cette réflexion « porte notamment sur le périmètre de la CJIP » : actuellement, « un projet de loi [sur le parquet européen et la justice pénale] envisage l’extension de la CJIP aux infractions environnementales », et « rien n’interdit de réfléchir à étendre ce champ aux autres atteintes à la probité, et notamment à celles qui touchent le secteur public, comme le favoritisme », a-t-il pointé.

Mais cette réflexion porte, de façon plus générale, « sur toutes les zones grises des textes », a-t-il poursuivi. À commencer par « la question de l’intérêt public » : « qu’est-ce qui peut amener ou pas un procureur à proposer une CJIP, et sur quels fondements le juge du siège va-t-il valider ou pas ? » Autre axe d’amélioration, selon lui : « les droits de la défense » et « le statut de la victime ». « En ce qui concerne le rapport annuel de l’AFA au parquet, par exemple, les textes ne disent rien sur le contradictoire, sur le fait que ce rapport soit soumis à l’entreprise contrôlée. Nous le faisons systématiquement, mais les textes n’en parlent pas. » Il juge également que certaines évolutions seraient pertinentes en ce qui concerne l’enquête interne : définir « ce qu’est une enquête interne », « les droits des personnes interrogées », ainsi que « le champ du secret professionnel de l’avocat ». Enfin, « une autre question mériterait d’être approfondie : que vaut l’autodénonciation de l’entreprise si la négociation n’aboutit pas à une CJIP ? Est-ce que tout ce qui a été livré au parquet va être utilisé après ? »

Autant de zones d’ombre « qui mériteraient que des ajustements normatifs soient faits », a conclu Salvator Erba, et « je ne serais pas surpris que, dans les mois et les années qui viennent, certaines initiatives soient prises pour ajuster cet outil qui a déjà démontré sa pertinence ».

Miren Lartigue
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