La CJIPE de Nestlé : une sanction douce-amère pour une fraude d’une ampleur inédite

La CJIPE de Nestlé : une sanction douce-amère pour une fraude d’une ampleur inédite

03.10.2024

Gestion d'entreprise

Le 10 septembre, le tribunal judiciaire d’Epinal a validé une CJIP environnementale conclue entre le procureur de la République et Nestlé Waters Supply Est. Dans cette chronique, Sébastien Bécue et Marc Pitti-Ferrandi, avocats au sein du cabinet TerraNostra reviennent sur les enjeux de la convention.

Par une convention signée le 2 septembre 2024 avec le procureur d’Epinal, Nestlé Waters Supply Est (Nestlé) a obtenu la clôture d’importantes enquêtes pénales la concernant. Si le parquet se félicite d’être à l’origine de la « plus importante CJIPE signée à ce jour en France », les associations à l’origine des enquêtes s’insurgent contre une solution jugée insuffisante au regard de la gravité des infractions commises. .

Absence d’autorisation et tromperie

La société était poursuivie pour deux séries d’infractions relevant de deux volets distincts. D’abord, un volet environnemental . Il est reproché à la société d’avoir construit et exploité certains captages de 1993 à 2016 sans bénéficier des autorisations environnementales requises, faits réprimés par le code de l’environnement. Selon l’exposé de la convention, l’enquête n’a pas permis d’établir de « clair lien entre [ces irrégularités] et un dommage environnemental ». Pour autant, l’absence d’autorisation n’est pas seulement une infraction formelle, cela signifie aussi que les captages concernés n’étaient pas soumis aux prescriptions et contrôles règlementaires ; et l’existence de préjudices environnementaux considérables est admis par les parties à la CJIPE.

Deuxième volet : la tromperie.  La société a mis en œuvre des traitements interdits par le code de la santé publique avant embouteillage des eaux : traitements ultraviolet et microfiltres pour supprimer les contaminants microbiologiques, filtres à charbon actif pour éliminer les résidus de pesticides, et balayage CO2 pour corriger le niveau de pH de l’eau. Selon la convention, ces traitements n’auraient pas affecté la qualité « minérale » des eaux, et auraient été mis en place pour garantir la sécurité sanitaire. Toutefois, la qualification d’eau « naturelle » suppose une pureté à la source, sans traitement. La société était donc poursuivie pour tromperie concernant ce caractère « naturel ». Comme le note un rapport de l’IGAS sur ce thème, le coût des eaux minérales naturelles pour le consommateur « est beaucoup plus élevé que l’eau du réseau », et constitue ainsi « un marché très lucratif ». En d’autres termes, leurs producteurs facturent cher au consommateur une eau qui ne dispose pas d’une partie importante des qualités annoncées. Plus généralement, on peut s’interroger sur la motivation derrière la mise en œuvre de ces traitements : les captages sont-ils contaminés ?

Gestion d'entreprise

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Une solution négociée

La conclusion d’une CJIPE n’est pas prévue pour les faits de tromperie. Comment expliquer son application en l’espèce ? Le procureur a considéré qu’il y avait connexité, au motif que les infractions ont été commises par la même société, dans le cadre de la mise en œuvre d’une activité unique, et qu’elles ont toutes trait à des non-conformités à la règlementation applicable à cette activité. Par ailleurs, le procureur a jugé opportun d’avoir recours à cette « solution négociée », plutôt qu’à des poursuites judiciaires, en considération du comportement de la société :

  • côté environnemental, la mise en œuvre d’un vaste plan de mise en conformité de son activité en 2020 et l’absence d’éléments probants sur l’ampleur des atteintes à l’environnement ;
  • côté tromperie, le fait que la société ait elle-même pris l’initiative de révéler l’utilisation des traitements non autorisés ainsi que l’absence de risque prouvé pour la santé des consommateurs ou sur le caractère « minéral » des eaux commercialisées.
Les associations frustrées par le montant de l’amende

Le procureur a conditionné l’arrêt des procédures aux conditions suivantes :

  • d’abord une amende d’intérêt public de 2 millions d’euros, ensuite la réparation du préjudice écologique causé, par la mise en œuvre d’importants travaux de renaturation des milieux environnants des captages, sous le contrôle de l’OFB (pour un montant maximal d’investissement de 1,1 million d’euros) ;
  •  et enfin l’indemnisation du préjudice moral des associations ayant porté plainte à son encontre, pour des montants relativement importants.

La convention a été acceptée par la prévenue, puis validée par le tribunal correctionnel. Sur les huit associations parties civiles, sept ont accepté les sommes proposées et vont donc conclure des protocoles transactionnels avec Nestlé.

Au vu de la lenteur générale de la justice, et de la technicité des infractions considérées, on comprend le procureur qui se félicite d’un montant d’amende record et du caractère expéditif de la solution apportée – la justice s’économise des années de procédure, pour un résultat aléatoire en termes de condamnation pécuniaire. Toutefois, si le montant de l’amende peut paraître à première vue important, il représente seulement 1% du chiffre d’affaires annuel de la prévenue. Or, le code de procédure pénale prévoit que l’amende infligée doit être proportionnée aux avantages perçus par le prévenu, dans la limite de 30 % de son chiffre d’affaires moyen annuel. De ce point de vue, la frustration des associations est compréhensible : il est évident que le groupe Nestlé a gagné beaucoup d’argent en vendant de l’eau qui ne bénéficiait pas de la qualité requise. Si le volet environnemental semble relever des hypothèses de recours à la CJIPE, la tromperie est d’une ampleur exceptionnelle et internationale. La connexité des deux volets apparaît ainsi comme une véritable opportunité pour la société, et ce, d’autant plus que la CJIPE a limité la période infractionnelle (prévention) à 6 ans de 2016 à 2022, alors que les infractions commises nous paraissent relever d’infractions continues, que la prescription ne saurait atteindre.

Deux nouvelles plaintes déposées

Si l’action publique se termine pour les faits incriminés, l’une des associations parties civiles, Foodwatch, a refusé d’accepter la transaction proposée, et a annoncé avoir déposé deux nouvelles plaintes :

  • l’une contre une autre filiale du groupe Nestlé à qui il est reproché d’avoir commis les mêmes faits de tromperie, dans le Gard, dans le cadre de l’embouteillement des eaux PERRIER ;
  • et l’autre contre le groupe Alma, qui gère notamment les marques Cristaline, Saint Yorre et Rozana et qui est également visée dans le rapport de l’IGAS.

Le procureur saisi ne devrait pas pouvoir proposer de CJIPE dans le cadre de ces procédures dès lors qu’aucune infraction environnementale ne semble avoir été commise concomitamment aux faits de tromperie. Le paradoxe saute aux yeux. Si un procès a lieu, il sera intéressant de suivre son dénouement pour comparer les mérites respectifs des solutions négociées et judiciaires, en termes de durée de la procédure, mais aussi d’importance de la sanction.

Sébastien Bécue Co-auteur : Marc Pitti-Ferrandi
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