"La CJUE consacre l'extinction des congés payés acquis en cas d'impossibilité du salarié absent pendant plusieurs périodes de référence consécutives de les prendre"

"La CJUE consacre l'extinction des congés payés acquis en cas d'impossibilité du salarié absent pendant plusieurs périodes de référence consécutives de les prendre"

14.03.2024

Gestion du personnel

Le conseil scientifique du cabinet Barthélémy a souhaité apporter sa pierre à la doctrine en construction sur les congés payés en cas de maladie. Quand bien même le législateur viendrait compléter le code du travail, la loi n'aura pas d'effets rétroactifs. Il s'agit donc pour le cabinet d'avocats de limiter les conséquences financières pour les entreprises s'agissant des situations passées ou en cours dans le cadre des contentieux prud'homaux. Emmanuel Andréo, avocat associé au sein du cabinet et membre du conseil scientifique, nous expose en synthèse l'argumentaire développé.

Pourquoi avoir construit un argumentaire à destination des juges prud'homaux pour les nombreux contentieux qui sont en train d'arriver ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Il est désormais acquis que les salariés acquièrent des congés payés pendant les périodes de maladie en application des arrêts de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 et de la jurisprudence de la CJUE (1). Mais la question reste posée de savoir si les salariés qui acquièrent des congés payés pendant des années peuvent les cumuler et les stocker de manière indéfinie. 

Rappelons que la CJUE n'accorde pas un droit illimité au profit de salariés ou d'anciens salariés en cas d'absence de longue durée. Elle consacre une règle de fond d'extinction des congés payés acquis en cas d'impossibilité du salarié absent pendant plusieurs périodes de référence consécutives de les prendre (2). 

Il convient de distinguer les salariés dont le contrat de travail est toujours en cours et ceux dont le contrat est rompu. Pour les premiers, l'objet de la créance est un droit à congés payés supplémentaires sur le compteur et non une indemnité ; il s'agit donc d'un droit en nature et non en espèce contrairement à la seconde situation où le contrat de travail est rompu. 

La CJUE a posé une limite temporelle afin de ne pas faire perdre aux congés payés leur finalité première, à savoir le droit au repos. En effet, cet objectif de repos perd son effet positif à l'issue d'un certain délai. Cette nécessité est également fondée sur la prise en considération de l'intérêt de l'entreprise en lui évitant une charge excessive, notamment des "difficultés en ce qui concerne l'organisation du travail" (3). Cette extinction joue de plein droit par l'effet même du temps en dehors de toute manifestation de volonté des parties.

Les États membres peuvent ainsi mettre en place un délai de report limité. 

Quel doit être ce délai maximal selon vous ? 

La CJUE utilise dans sa jurisprudence deux expressions. D'une part, le droit à congés payés doit s'exercer "en temps utile" (4) ; d'autre part elle vise dans certaines de ses décisions le standard de droit international du "délai raisonnable" (5). La Cour de cassation recourt d'ailleurs également à cette notion de "délai raisonnable" (6).

Selon nous, ce délai raisonnable doit être fixé par l'employeur et le juge national en tenant compte des objectifs poursuivis par la directive du 2003/88/CE du 4 novembre 2003, notamment par la référence de cette dernière aux principes de l'Organisation internationale du travail.

En effet, la directive de 2003 dans son 6e considérant indique qu'il faut tenir compte des principes de l'OIT "en matière d'aménagement du temps de travail, y compris ceux concernant le travail de nuit". Or, en matière de congés payés, il s'agit de la convention n° 132 du 24 juin 1970 qui en son article 9 indique que "la partie ininterrompue du congé annuel payé [...] devra être accordée et prise dans un délai d'une année au plus, et le reste du congé annuel payé dans un délai de 18 mois au plus à compter de la fin de l'année ouvrant droit au congé".

Nous estimons donc que le droit au report est limité et, qu'en l'absence de textes nationaux, cette limitation s'opère de plein droit à l'issue d'un délai raisonnable de 18 mois, courant à compter de la fin de la période d'acquisition des congés payés, en vertu de la directive de 2003 interprétée à la lumière de la convention OIT n° 132 (7).

Le fait que la convention OIT n° 132 ne soit pas ratifiée par la France ne change rien selon nous car la CJUE en fait un standard de droit international pour la lecture et l'interprétation du droit européen. 

Pourquoi ne pas appliquer plutôt le délai de 15 mois auquel s'est référé la CJUE ? 

Appliquer par analogie ce délai de 15 mois est discutable en droit français (même si le Conseil d’Etat y renvoie dans un avis du 26 avril 2017 pour la fonction publique d’Etat), car la CJUE a rendu sa décision dans une affaire où était en cause le droit allemand (8). Or, en Allemagne, le principe d'acquisition des congés payés ainsi que la prise des congés payés sont fondés sur la même année civile. Le droit allemand permettait par ailleurs un report de trois mois sur le trimestre suivant si le salarié n'avait pas pu prendre l'intégralité de ses congés payés. A l'issue de cette période, les droits à congés payés étaient définitivement perdus. Dans l'affaire qui était soumise à la CJUE des dispositions conventionnelles prévoyaient que les droits ne s'éteignaient pas au bout de trois mois mais de 12 mois supplémentaires (soit 15 en tout). La CJUE a admis cette limitation temporelle de 15 mois, dans le cadre du droit allemand, comme conforme au droit européen. Cette solution n'a donc pas vocation à être dupliquée nécessairement à l'identique en France, dont le régime de prise des congés payés est différent, et ce délai de 15 mois n'est pas un délai sanctuarisé.

 

(1) CJUE, 20 janvier 2009 aff. 350/06 et 520/06, Schultz-Hoff ; CJUE, 24 janvier 2012 aff. 282/10, Dominguez

(2) CJUE, 22 novembre 2011, aff. 214/10, KHS AG ; CJUE, 22 septembre 2022, aff. 120/21, LB et aff. 518/20 et 720/20, Fraport AG ; CJUE, 9 novembre 2023, aff. 271/22 à 275/22, Keolis Agen SARL

(3) CJUE, 29 novembre 2017 aff C-214/16, Conley King.

(4) CJUE, 22 septembre 2022 aff. C-120/21, LB.

(5) CJUE, 2 mars 2023 aff. 410/21, FU et DV Intertrans BV.

(6) Arrêt du 24 mars 2021 ; arrêt du 21 septembre 2017 ; arrêt du 8 décembre 2004 ; arrêt du 13 juin 2007.

(7) Dans ses conclusions de l'affaire KHS AG du 7 juillet 2001 aff. C-214/10, l'avocat général indiquait qu'"une méthode possible" pour limiter dans le temps les droits à congés "consisterait à [...] appliquer par analogie les règles de la convention n° 132 [...] que le congé annule devrait être accordé [...] et pris [...] dans un délai de 18 mois au plus à compter de la fin de l'année ouvrant droit au congé".

(8) CJUE, 22 novembre 2011 aff. 214/10, KHS AG.

Florence Mehrez
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