La compensation écologique : contrainte ou opportunité pour l'exploitant agricole ?
31.10.2016
Gestion d'entreprise

La loi "biodiversité" fait de la compensation écologique l'une des déclinaisons du principe de prévention des atteintes à la biodiversité et aux services écosystémiques.
Le principe de compensation écologique est, en tout état de cause, de nature à générer des contraintes supplémentaires pour les exploitants agricoles, puisqu’ils devront, à ce titre, assumer des mesures en nature et/ou financières. Toutefois, cette logique, souvent déplorée par la profession, n’est pas exclusive d’hypothèses dans lesquelles les exploitants pourront apparaître comme des opérateurs de la compensation, conformément au principe de complémentarité entre environnement et agriculture, également affirmé par la loi "biodiversité" du 8 août 2016. Leur mise à contribution passera alors nécessairement par une modification de leurs pratiques.
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
La teneur de la compensation est cependant définie de manière très ambitieuse. La loi « biodiversité » la qualifie, en effet, d’obligation de résultats. Les mesures, permettant d’obtenir une équivalence écologique, doivent être mises en œuvre en priorité sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci afin de garantir ses fonctionnalités de manière pérenne (C. envir., art. L. 163-1, II, al. 4). Le niveau d’exigence est aussi élevé que son réalisme est discutable. La compréhension du fonctionnement du vivant est encore grevée de nombreuses incertitudes scientifiques ; la pertinence d’un « résultat » dans un tel contexte est donc relative. La teneur de l’obligation sera, par conséquent, vraisemblablement circonscrite aux espèces les plus menacées ou dont les habitats sont en déclin car la compensation de la perte de biodiversité « ordinaire » paraît inenvisageable à tous égards. La charge matérielle, financière et de suivi serait beaucoup trop élevée pour des porteurs de projet qui doivent, au surplus, assumer leurs obligations dans le temps puisque la compensation doit s’inscrire dans la durée afin de correspondre à celle des atteintes écologiques. Le critère d’équivalence écologique suscite également son lot d��interrogations, car à l’évidence, sa seule version quantitative est insuffisante. Compenser les pertes surfaciques dues à la réalisation d’un ouvrage pérenne est, par exemple, illusoire à moins de s’attacher au rétablissement des seules fonctions écologiques. Les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux pour compenser les destructions de zones humides sont, à ce titre, révélatrices des hésitations quant à la consistance exacte de l’équivalence. Tous les documents envisagent donc, sous forme d’alternative, la création de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et la biodiversité ou la remise en état de zones humides existantes deux fois plus importantes en superficie que celles détruites. La formulation ne tarit pas pour autant les interprétations contradictoires, comme l’a prouvé, encore récemment, le contentieux relatif au Center parcs de Roybon. Les juges du fond ont considéré que les zones humides reconstituées n’étaient pas équivalentes à celle détruite malgré le respect du ratio imposé par le SDAGE car leur fragmentation obérait la fonctionnalité ; ils se sont en revanche prudemment abstenus d’user de leurs prérogatives de plein contentieux pour redéfinir les mesures adéquates (TA Grenoble, 16 juill. 2015, n° 1406678).
A défaut de mesures de compensation adéquates, le projet ne peut être autorisé en l’état (C. envir., art. L. 163-1, I, al. 2). Le pouvoir discrétionnaire dont sont traditionnellement investies les autorités de police administrative pour autoriser un projet est en conséquence restreint, la validation d’un projet étant clairement exclue si ses conséquences écologiques n’apparaissent pas compensées de manière sérieuse et suffisante. En cela, la formulation retenue par la loi du 8 août est proche des dispositions protectrices des sites Natura 2000, lesquelles obligent, en principe, à renoncer à un projet qui n’est pas justifié par un impératif public majeur si l’évaluation a révélé des impacts qui ne peuvent être compensés (C. envir., art. L. 414-4, VII et VIII).
Le financement d’une mise en œuvre de la compensation par des tiers
Les modalités de la compensation écologique décrites par la loi du 8 août 2016 révèlent les hésitations persistantes entre deux logiques pourtant opposées. La compensation à la demande, tout d’abord, met à la charge du porteur du projet des mesures de compensation ; il les exécute directement (forme la plus classique qui préexiste à l’adoption du texte d’août) ou en confie l’exécution, par convention, à un op��rateur de compensation qui peut être aussi bien une personne publique qu’une personne privée (C. envir., art. L. 163-1, II et III). La compensation par l’offre, admise également par la loi au titre d’une alternative et/ou d’un complément, consiste pour le débiteur des obligations à acquérir des unités de compensation dans un site naturel de compensation (C. envir., art. L. 163-1, II) qui doit donc nécessairement préexister au projet générateur d’atteintes (C. envir., art. L. 163-3). Ce dernier dispositif a cristallisé les critiques les plus vives, lors des débats parlementaires, car il a été perçu comme l’acceptation législative d’un droit de détruire la biodiversité et l’officialisation d’une financiarisation de la nature (par ex. : H. Levrel et D. Couvet, Enjeux liés à la compensation écologique dans le projet de loi biodiversité, Point de vue d’experts, Fondation Écologie politique, janv.2016). Après l’abandon de la terminologie « réserve d’actifs », trop connotée, le dispositif a néanmoins été adopté. La validation des sites de compensation par l’octroi d’un agrément étatique (C. envir., art. L. 163-3) est apparue comme une garantie suffisante pour lever les objections. La compensation confiée à un opérateur ou par l’acquisition d’actifs permet donc au débiteur de s’acquitter plus simplement de ses obligations sur le seul terrain financier. Il reste néanmoins le seul responsable de leur bonne exécution à l’égard de l’autorité administrative (C. envir., art. L. 163-1, II, al. 2). En cela le dispositif est donc plus strict que celui par lequel un tiers, accepté par l’autorité administrative, se substitue à l’exploitant d’une installation classée, pour assumer la remise en état et la réhabilitation du site à la cessation d’activité (C. envir., art. L. 512-21).
Collaboration avec les opérateurs de compensation
L’opérateur de compensation, choisi par le débiteur, est susceptible d’acquérir des parcelles dont la fonctionnalité écologique correspond à ce qui a été altéré ou peut être améliorée par des mesures ciblées. Il peut également envisager de négocier avec les propriétaires la souscription d’obligations réelles environnementales qui garantiront la pérennité des mesures, sans avoir à acquérir le foncier. La mobilisation du mécanisme d’obligation r��elle est expressément admise dans le cadre de la compensation par la loi du 8 août (C. envir., art. L. 132-3, al. 2). Les exploitants agricoles, titulaires de baux ruraux doivent cependant préalablement donner leur accord à la constitution de tels droits (C. envir., art. L. 132-3, al. 5). Lorsque la compensation est mise en œuvre sur un terrain n’appartenant ni au débiteur de l’obligation ni à un opérateur, la loi "biodiversité" impose, de manière générale, qu’un contrat soit conclu avec le(s) propriétaire(s) et le ou les exploitants(s) (C. envir., art. L. 163-2).
Si la logique n’est pas a priori d’amputer des espaces productifs pour constituer des sites de compensation, il n’est pas, pour autant, exclu que les activités agricoles existantes doivent être réorientées par les opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité, diligentées dans les réserves d’actifs. L’un des premiers sites de compensation expérimenté, en 2008, par la CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, en partenariat avec le ministère de l’environnement est représentatif des conséquences de cette logique pour l’activité agricole. Un ancien verger de 357 hectares a été acquis par la CDC dans la plaine de la Crau afin de restaurer un espace de steppe semi-aride méditerranéenne, favorable à la présence, à la nidification et à l’hivernage d’espèces patrimoniales de la Crau sèche (insectes, oiseaux), en cohérence écologique avec la réserve naturelle de Cossouls, toute proche. La réhabilitation du site a nécessité l’arrachage des fruitiers (il est vrai très dégradés), des haies brise-vent et la suppression de l’irrigation. Le pâturage des ovins est désormais la seule activité agricole admise pour une trentaine d’années car elle permet de maintenir le milieu ouvert nécessaire aux espèces protégées (CDC, Mission économique de la biodiversité, Compensation écologique, Opération Cossure, Cahier de la biodiv’50, n° 3, mai.2014). Le département des Yvelines, seule collectivité à avoir identifié 4 réserves d’actifs, en 2014, impose également le pâturage extensif sur des milieux réouverts, au besoin par débroussaillement et déboisement. La collectivité a prévu la rétrocession à des exploitants dans des conditions très favorables, puisque gratuite ou à un euro symbolique, mais sous condition de souscription d’obligations réelles environnementales qui garantissent définitivement des pratiques adéquates (Expérimentation de l’offre de compensation yvelinoise, 2014-2022).
La loi du 8 août n’a envisagé aucune coordination entre la compensation écologique et la compensation agricole imposée par la loi d’avenir pour l’agriculture, l'alimentation et la forêt n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 (C. rur., art. L. 112-1-3). Ce parti pris est d’autant plus surprenant que l’obligation de compensation agricole s’impose aux porteurs de projets publics ou privés, systématiquement soumis à étude d’impact environnementale et qui affectent des superficies agricoles, naturelles ou forestières de façon substantielle (C. rur., art. D. 112-1-18 créé par D. n° 2016-1190, 31 août 2016 : JO, 2 sept.). Les maîtres d’ouvrage sont donc potentiellement débiteurs à la fois de la compensation écologique et de la compensation agricole ; le décret n° 2016-1190 du 31 août 2016 précisant le champ d’application de cette dernière admet d’ailleurs que l’étude d’impact puisse valoir évaluation des effets agricoles après intégration de rubriques supplémentaires (C. rur., art. D. 112-1-20 créé par D. n° 2016-1190, 31 août 2016 : JO, 2 sept.). Les modalités de compensation agricole n’ont pas été clairement définies au contraire des modalités écologiques. L’incertitude qui en résulte suscite l’inquiétude : la compensation agricole ne risque-t-elle pas d’apparaître secondaire face à une compensation écologique mieux calibrée ? Pire, l’impératif écologique pourrait conduire à distraire des superficies agricoles supplémentaires à celles prélevées par la réalisation des grands projets. Dans un contexte foncier tendu dans de nombreuses régions, il semble, en effet, délicat de parvenir à satisfaire, en nature, aux deux obligations de compensation, sauf à considérer qu’un même espace répond simultanément aux exigences (voir pour un exemple la reconstitution de prairies à foin de la Crau, labellisées AOP et identifiées Natura 2000, détruites par le contournement autoroutier d’Arles, Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, 2014). L’équivalence écologique restreint nécessairement les probabilités d’adoption de cette solution optimale : une activité agricole n’est pas envisageable sur une zone humide reconstituée ou restaurée. Les pratiques culturales ou d’élevage admises sur des parcelles utilisées pour leur potentiel écologique seront en tout état de cause très contraintes et ne correspondront peut-être plus à ce qui est attendu au titre de la compensation collective agricole. C’est pourquoi, de manière révélatrice, les chambres d’agriculture qui ont anticipé l’apport de la LAAF en créant des fonds alimentés par les versements des maîtres d’ouvrage, ne se contentent pas d’acquérir des terrains mais subventionnent des projets divers pour « regagner de la plus-value agricole » (création d’un drive 100 % bio ; installations de valorisation de biomasse, Expériences des chambres d’agriculture de l’Isère, du Var, de l’Ile de France, présentées lors de la Journée nationale de la compensation écologique et agricole, 7 oct. 2014).
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