La crise du coronavirus est susceptible de créer des difficultés pour les entreprises quant à l’exécution de leurs engagements contractuels. Dans cette chronique, Frédéric Danos professeur des universités en droit privé et of counsel chez PWC sociétés d’avocats, évoque les solutions auxquelles peuvent recourir les entreprises.
La crise du coronavirus est susceptible de créer des difficultés pour les entreprises quant à l’exécution de leurs engagements contractuels. Les entreprises peuvent invoquer sous certaines conditions, des dispositifs légaux afin de suspendre l’exécution de leurs prestations contractuelles ou de modifier le contenu de leurs contrats dont l’équilibre aura été rompu en raison de cette crise.
Les entreprises peuvent ainsi chercher à suspendre l’exécution de leurs obligations en invoquant la force majeure ou d’adapter, en se fondant sur l’imprévision, le contenu de leur contrat si celui-ci devient trop onéreux pour l’une des parties. Il faudra aussi tenir compte des clauses contractuelles qui aménagent la possibilité de résilier ou de réviser un contrat en cas de changement de circonstances significatif.
La force majeure permet de suspendre l’exécution des obligations contractuelles (ou de résilier le contrat). Dans cette hypothèse, l’inexécution temporaire ou définitive ne pourra engager la responsabilité contractuelle de la partie qui n’aura pas respecté ses engagements. La crise du coronavirus et les conséquences qui en résultent sont susceptibles de constituer un cas de force majeure. La force majeure est prévue par l’article 1218 du code civil. Mais ce mécanisme ne joue que si l’exécution de l’obligation est matériellement impossible.
Plusieurs conditions sont prévues pour qu’une partie invoque la force majeure et puisse se dispenser d’exécuter ses obligations, sans qu’elle encoure la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle et le risque d’exécution forcée. L’évènement doit :
- échapper au contrôle du débiteur (principe de non-imputabilité qui se substitue à l’extériorité), c’est-à-dire que le débiteur ne doit pas avoir de prise sur cet évènement ;
- être imprévisible au moment de la conclusion du contrat (imprévisibilité).
- Ses effets ne peuvent être évités par mesures appropriées (irrésistibilité ou inévitabilité),
- et l’exécution de l’obligation doit être impossible (insurmontabilité).
Concernant l’imprévisibilité de l’évènement constitutif de la force majeure au moment de la conclusion du contrat, il ne faudra pas prendre en compte, en toute logique, l’existence ou le début de l’épidémie, mais ses effets c’est-à-dire le moment où il est devenu prévisible que cette épidémie était susceptible d’empêcher l’exécution du contrat, c’est-à-dire aboutir à un confinement général et à paralyser substantiellement l’activité économique de la zone où le contrat devait être exécuté (l’évènement doit être raisonnablement imprévisible, ce qui tient compte de l’état des connaissances scientifiques des parties). Cette crise peut donc, dans la plupart des cas, être considérée comme imprévisible.
Concernant l’insurmontabilité, l’exécution de l’obligation doit donc être strictement impossible. Que l’exécution soit très difficile ou qu’elle devienne très onéreuse ne permet pas d’invoquer la force majeure (dans ce cas, c’est l’imprévision qui est, le cas échéant, susceptible de s’appliquer).
Dès lors qu’il peut exécuter le contrat, le débiteur y est tenu, même si cette exécution est très onéreuse pour lui. Il n’y a donc pas en principe de force majeure financière. Ce qui implique que la force majeure soit, en principe, exclue pour les obligations de payer une somme d’argent (Cass. com. 16 septembre 2014, n° 13-20306). La force majeure ne concerne que l’exécution de prestations « matérielles » et non les paiements de sommes d’argent. Dans le prolongement de cette analyse, les difficultés financières ne peuvent constituer un cas de force majeure.
- Concernant les effets de la force majeure
Lorsque l’empêchement est temporaire (force majeure temporaire), le débiteur peut suspendre l’exécution de l’obligation pendant la durée de l’empêchement. Il n’y a pas de libération définitive du débiteur, mais ce dernier peut donc suspendre l’exécution de son obligation tant que cette exécution est impossible. Cette suspension de l’exécution de l’obligation ne peut constituer une faute contractuelle du débiteur.
Il faut noter toutefois que la suspension de l’exécution de l’obligation par le débiteur en raison d’un cas de force majeure justifie réciproquement, en principe, l’application de l’exception d’inexécution par l’autre partie sur le fondement de l’article 1219 du code civil. Ainsi en cas d’inexécution de son obligation par le débiteur, il y aura symétriquement suspension de l’exécution de l’obligation corrélative (si les conséquences de l’inexécution sont suffisamment graves pour l’autre partie), de sorte que c’est alors le contrat dans son entier qui est suspendu. Dès lors, en cas de suspension de l’exécution d’une prestation matérielle sur le fondement de la force majeure, l’obligation réciproque de payer une somme d’argent pourra être suspendue. Ce n’est donc que par ricochet que l’exécution d’une obligation de paiement de somme d’argent peut être suspendue en cas de force majeure.
Si la suspension de l’exécution de l’obligation devient trop grave ou insupportable pour l’autre partie, cette dernière pourra décider de la résolution ou de la résiliation du contrat (lorsque « le retard justifie la résolution du contrat »). Cette résolution peut avoir lieu de plein droit mais aux risques et périls de la partie qui décide de la résolution unilatérale du contrat.
Lorsque l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions des articles 1351 et 1351-1 du code civil. L’article 1351 du code civil indique que cet effet libératoire ne joue pas dans deux hypothèses. Lorsque le débiteur a accepté de garantir l’exécution même en cas de force majeure ou lorsqu’il a été mis en demeure d’exécuter son obligation avant la survenance de l’évènement rendant impossible l’exécution de l’obligation.
- Aménagements conventionnels
Il faut tenir compte éventuellement des clauses qui encadrent la définition et les effets la force majeure. Les parties peuvent conventionnellement définir les évènements qu’elles considèrent comme constitutifs d’un cas de force majeure et les conséquences qui en résultent sur le contrat. A cette occasion, les parties peuvent décider d’adopter une conception plus restrictive ou plus large que celle que retiennent la loi ou la jurisprudence. Dans les contrats déjà conclus, il faut donc vérifier le contenu de ces clauses pour se prononcer sur la possibilité pour une partie d’invoquer la force majeure. Il peut aussi être stipulé que les parties exécuteront leurs engagements ou répondront de leur inexécution même en cas de force majeure. C’est alors une véritable obligation de garantie. Valable dans les contrats de gré à gré, cette clause qui écarte la force majeure (obligation de garantie) pourrait constituer une clause abusive dans les contrats d’adhésion (article 1171 du code civil) si elle est imposée à la partie adhérente.
Pour les contrats qui vont être conclus, il sera donc utile de prévoir une clause relative à la force majeure afin de prévoir une suspension ou une résolution du contrat si la situation d’état d’urgence sanitaire venait à perdurer au-delà d’un délai raisonnable ou à s’aggraver.
Lorsque l’exécution est possible mais qu’elle devient excessivement onéreuse pour l’une des parties et/ou si l’obligation a pour objet le paiement d’une somme d’argent (pour lesquelles l’exécution n’est pas impossible), l’imprévision – sous certaines conditions peut être invoquée.
Le régime de l’imprévision est prévu par l’article 1195 du code civil qui dispose que « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». L’imprévision ne concerne que les contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016.
Le mécanisme légal de l’imprévision ne joue que si les parties ne l’ont pas exclu par une stipulation contractuelle expresse. Ce régime n’est pas d’ordre public et dans un certain nombre de contrats, le mécanisme de l’imprévision est écarté ou aménagé, notamment si les parties ont entendu assumer le risque liée à un changement de circonstances imprévisible. Cela doit donc être vérifié pour chaque contrat.
Le changement de circonstances de l’imprévision s’apprécie de la même manière que l’imprévisibilité de la force majeure. La différence est que la force majeure rend l’exécution de l’obligation impossible, tandis que, dans l’imprévision, le changement de circonstances imprévisible rend l’exécution de l’obligation excessivement onéreuse (mais son exécution est possible). L’exécution excessivement onéreuse traduit un « déséquilibre majeur » ou une « disproportion manifeste » entre les prestations, entrainant une charge exorbitante pour l’une des parties. C’est un bouleversement qui rend le contrat économiquement intenable pour l’une des parties.
Mais l’excessive onérosité peut s’entendre de deux manières : soit en fonction de la valeur respective des prestations (appréciation objective), soit en fonction des facultés du débiteur (appréciation subjective), ce qui permettra d’inclure les obligations de payer une somme d’argent, dès lors que les sommes à payer dépassent substantiellement les capacités contributives du débiteur.
Lorsque les conditions sont remplies, le processus d’adaptation du contrat se déroule en trois phases. Tout d’abord, la partie lésée peut solliciter une renégociation du contrat avec l’autre partie. Il n’y a toutefois pas d’obligation de renégocier pour l’autre partie. S’il y a renégociation, les parties doivent négocier de bonne foi. S’il y a un accord, le contrat peut être modifié ou adapté par les parties (temporairement ou définitivement). A noter que pendant le processus de renégociation, il n’y a aucune suspension de l’exécution des obligations contractuelles. Ensuite, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation (intervention du juge à la demande parties). Enfin, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe (intervention du juge à la demande d’une des parties).
Le recours au juge sera assez difficile à exercer durant l’état d’urgence sanitaire puisque les tribunaux sont en fonctionnement dégradé. Dans un premier temps, c’est donc la renégociation qui pourra être utilisée, l’autre partie ayant intérêt à maintenir le contrat et à renégocier, surtout si l’adaptation est temporaire. Si les difficultés demeurent un certain temps sans accord obtenu avec l’autre partie (pour adapter ou résilier), la partie qui subit ce déséquilibre pourra demander au juge d’adapter ou de prononcer la résolution ou la résiliation du contrat.
A noter qu’il est possible pour une partie qui connaît des difficultés de solliciter une renégociation amiable en dehors du cadre légal de l’imprévision. Cette demande de renégociation amiable n’a pas de caractère contraignant pour l’autre partie, mais elle ne doit pas être négligée car le processus d’imprévision ne pourra pas jouer dans toutes les hypothèses (pas plus que la force majeure).
Il faut, enfin, prendre en compte et analyser les différentes clauses qui permettent de réviser ou de résilier un contrat en cas de changement de circonstances imprévisible, tel que la crise actuelle, et qui auront été stipulées dans les contrats en cours (MAC clauses, clauses de rendez-vous, clauses de renégociation, clauses de hardship, etc.). Ces clauses permettront d’adapter ou de résilier, selon les stipulations, le contrat, et ce quelle que soit la nature des obligations qui doivent être exécutées. Pour les contrats à conclure, pour la rédaction de ce type de clauses, il faudra aussi tenir compte de la crise actuelle et de toutes les conséquences (sanitaires et économiques, à court et moyen terme) qui pourraient en résulter.
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