La directive européenne sur la transparence des salaires : un levier décisif vers l’égalité salariale femmes-hommes

La directive européenne sur la transparence des salaires : un levier décisif vers l’égalité salariale femmes-hommes

07.04.2025

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Martine Lalevée, consultante au sein du Groupe Alpha, souligne les avancées attendues de la directive sur la transparence salariale en matière d'égalité salariale femmes-hommes.

Le sujet de l’égalité salariale entre hommes et femmes n’est pas nouveau (*), loin s’en faut.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Depuis l’inscription de l’égalité femmes hommes dans la Constitution française en 1946, de nombreux textes législatifs européens ou français sont venus, au fil des années, aider à garantir l’égalité des droits entre les hommes et les femmes et, en particulier, l’égalité professionnelle et salariale.

Tout cet arsenal aura permis au fil des années des avancées dans de nombreux domaines : taux d’emploi, salaires, retraites, équilibre des temps domestiques, représentation dans des postes décisionnels, tant dans le privé que le public. Toutefois, aujourd’hui, les inégalités dans ces domaines restent encore visibles en Europe et en France.

En Europe, en 2023, les inégalités salariales sont estimées à 12 % à temps de travail équivalent en faveur de la population masculine

L’inégalité de rémunération, en particulier, pointe apparente de l’iceberg, est toujours favorable aux hommes.

En Europe, en 2023, les inégalités salariales sont estimées à 12 % à temps de travail équivalent en faveur de la population masculine.

En France, en 2024, l’Insee publiait un écart salarial annuel dans le secteur privé de 23,5 %. Cet écart s’établit à 14,9 %, à volume de travail équivalent, avec, au-dessus de cette moyenne, les entreprises de 50 salariés et plus. Ces écarts moyens de rémunération sont également fluctuants selon le nombre d’enfants, écart de 6,1%, pour une femme sans enfant, jusqu’à 29,5 %, si trois enfants ou plus. 

L’écart de rémunération des cadres à profil identique oscille entre 3 %, pour les moins de 35 ans, et 10 %, pour les plus de 55 ans.

En 2019, dans le cadre d’une de ses priorités politiques, l’égalité femmes-hommes, la Commission européenne se fixe comme principal objectif de combler les écarts salariaux entre les hommes et les femmes sur le marché du travail. En mai 2023, elle adopte une directive sur la transparence des rémunérations, avec une obligation de transcription dans les législations nationales à juin 2026.

Cette directive intègre plusieurs volets et :

  • définit précisément la notion de rémunération, y incluant le salaire de base et tout autre avantage payé en espèces ou en nature par un employeur ; 
  • précise la notion de travail de valeur égale pour mieux comparer les emplois en fonction des compétences, des efforts, des responsabilités, des conditions de travail et tout autre facteur pertinent pour l’emploi et le poste ;
  • incite à la transparence salariale dès le recrutement en publiant sa proposition salariale ou, à tout le moins, une fourchette pour le poste ; 
  • invite à la transparence sur la politique de rémunération, ses critères, ses principes de progression, au travers d’indicateurs élargis sur les écarts de rémunération. Chaque salarié pourra obtenir des éléments explicites pour situer sa dynamique salariale ; 
  • oblige à une évaluation conjointe avec les représentants du personnel pour recenser et prévenir les différences et y remédier si l’écart est supérieur à 5 % ou justifié par des critères sexistes ou non objectifs ; 
  • préconise un volet de réparation et d’indemnisation du préjudice salarial et aussi moral. La charge de la preuve pour non-discrimination passe du côté employeur. 
Tout d’abord, la directive peut permettre de lutter plus efficacement contre les inégalités salariales grâce à la capacité à s’attaquer aux causes sous-jacentes et structurelles qui alimentent ou maintiennent les inégalités

Pour autant dès 1972, les textes existants appelaient déjà les employeurs à assurer, pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes. Les textes définissaient déjà la rémunération comme salaire de base et tous autres avantages et accessoires payés directement ou indirectement en espèces ou en nature par l’employeur. Ils rappelaient que les catégories, critères de classification et de promotion et tous les calculs de rémunération et les modes d’évaluation doivent être communs aux deux sexes.

Alors, qu’est-ce que la transposition de cette nouvelle directive dans la loi française devra insuffler de différent pour combler les écarts subsistants ?

Tout d’abord, la directive peut permettre de lutter plus efficacement contre les inégalités salariales grâce à la capacité à s’attaquer aux causes sous-jacentes et structurelles qui alimentent ou maintiennent les inégalités.

Par l’identification des discriminations existantes qui se nichent dans l’organisation et la lutte contre les biais potentiels en matière de formation, d’orientation, de promotion des collaborateurs. Considérer que tous les chemins sont ouverts à chacun dès lors que la compétence et l’aspiration des salariés sont démontrées est un prérequis important.

Par l’identification plus spécifique des discriminations dans les structures et les politiques de rémunération et la mise en évidence de partis pris sexistes qui ont pu prévaloir à leur mise en œuvre. Il s’agira dès lors de débusquer et de les bannir.

Par une forte exigence de transparence salariale dès l’offre d’embauche et tout au long du parcours des salariés. Des indicateurs explicites pour mesurer la réalité de la situation dans l’organisation sont exigés. Les critères utilisés pour déterminer la rémunération et sa progression dans l’organisation devraient conduire à imposer des pratiques vertueuses pour peu que les partenaires sociaux et les représentants du personnel se saisissent de cette obligation faite aux entreprises et y soient véritablement associés.

Par la qualité de la négociation collective dans la lutte contre les inégalités salariales entre les femmes et les hommes.

Par la capacité donnée aux salariés à être informés et actifs individuellement. Ils peuvent également former réclamation et obtenir réparation et indemnisation.

Toutefois, ces seuls textes ne peuvent aboutir aux équilibres recherchés que si d’autres sujets avancent en parallèle dans la société

On le comprend, de nombreux ingrédients complètent les textes déjà en vigueur, avec des exigences de moyens. Ils invitent les salariés et leurs représentants à une veille plus active en leur garantissant une meilleure visibilité.

Toutefois, ces seuls textes ne peuvent aboutir aux équilibres recherchés que si d’autres sujets avancent en parallèle dans la société, tels que la lutte contre les violences inter-genre, la culture de l’égalité dans le cadre des éducations parentale, scolaire, universitaire, associative, professionnelle et l’autonomie économique des femmes.

Les entreprises devront également préparer cette transposition avec l’envie de réussir. Elles auront fort à faire pour celles qui, malgré les obligations déjà en vigueur, n’ont pas encore adopté de méthodologie de bon sens pour lutter contre la discrimination salariale.   

Elles auront à se doter d’outils et de process pouvant répondre à ces nouvelles exigences :

  • définir de façon précise et factuelle les emplois à valeur égale et des compétences clés, techniques ou humaines, qui justifient les niveaux de rémunération ;
  • expliciter les principes de leur politique de rémunération, de promotion et d’évaluation des salariés ; 
  • réviser les principes de la politique de recrutement en pesant le poste dès sa publication.
Il s’agira également pour elles d’impliquer toutes les parties prenantes des organisations, du conseil d’administration aux dirigeants, en passant par les directions des ressources humaines, le management, les représentants du personnel et les salariés eux-mêmes

Elles devront inscrire dans les pratiques et la culture d’entreprise la transparence sur les rémunérations, vaste chantier s’il en est en France, avec toute la pudeur qui entoure la notion salariale dans ce pays.

Il s’agira également pour elles d’impliquer toutes les parties prenantes des organisations, du conseil d’administration aux dirigeants, en passant par les directions des ressources humaines, le management, les représentants du personnel et les salariés eux-mêmes.

Elles devront aussi donner au dialogue social de la place sur ce sujet. Mais n’oublions pas qu’en 2023, les entreprises privées de plus de 10 salariés ne sont que 35,8 % à être dotées d’un CSE selon la Dares, limitant de facto le dialogue social.

Enfin, assurer le respect de cette nouvelle législation sera également une clé de succès. On le constate déjà, les entreprises qui ne sont pas au rendez-vous de leurs obligations sont peu inquiétées. Pour mémoire, l’index égalité professionnelle engageait les entreprises à la transparence et aux résultats. Or, au 1er mars 2025, seules 80 % des entreprises concernées ont publié leur note. 6 % des répondants, soit 1 717 entreprises ont obtenu 0 sur le critère congé maternité, les mettant en infraction vis-à-vis de la loi de 2006. Mais, depuis 2019, 101 pénalités concernant l’index ont été prises, soit moins de 10 % des mises en demeure. Les moyens de contrôle restent limités à date. Alors, si prévoir de corriger et de réparer les situations déviantes constatées, est un plus, obtenir leur mise en application avec une vraie efficacité est une autre affaire.

On mesure là que la dissuasion est particulièrement faible et le respect des textes imparfait.

Car rien ne sert de légiférer si la bonne application des textes n’est pas assurée.

 

(*)  La loi du 22 décembre 1972 pose le principe de l’égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de valeur égale ; la loi du 11 juillet 1975 interdit les offres d’emploi réservées à un sexe ; la loi du 13 juillet 1983 transpose la directive européenne sur l’égalité de traitement professionnel (recrutement, rémunération, promotion, formation) ; la loi du 9 mai 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes encourage les mesures de rattrapage pour remédier aux inégalités constatées ; la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale et entre les hommes et les femmes impose des négociations pour supprimer les écarts de rémunération ; la loi du 27 janvier 2011 instaure des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance ; la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes instaure une nouvelle obligation, celle de déposer un accord ou plan d’actions relatif à l’égalité professionnelle. Elle interdit d’accès aux contrats publiques et de commande publique les entreprises ne respectant pas les exigences d’égalité ; la loi du 5 septembre 2018 crée un index égalité professionnelle ; la loi du 24 décembre 2021 instaure des quotas de postes de direction dans les grandes entreprises (40 % de femmes dirigeantes d’ici 2029) accélérant l’égalité économique.

Martine Lalevée
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