Stéphane Dubois, DRH du groupe Safran, a été élu, le 29 juin, "DRH de l’année 2023". En charge de la RSE, il a créé la direction groupe des responsabilités humaines et sociétales en 2020 et négocié un accord de transformation de l’activité la même année. Il vient de finaliser un accord en faveur de l'emploi des seniors, en avril. Interview.
Vous avez signé, en 2020, un accord de transformation pour faire face à la forte baisse d’activité engendrée par la crise sanitaire, prévoyant à la mise en place de l’activité partielle longue durée. Trois après quel bilan dressez-vous ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La motivation première de cet accord était de maintenir et de préserver les compétences. Et de ce point de vue, le bilan est très positif : nous étions près de 45 000 salariés à cette époque et nous serons exactement le même nombre d’ici à la fin de cette année ; les recrutements compensant les départs à la retraite des baby-boomers. Autrement dit, non seulement il n’y a pas eu de plan de sauvegarde pour l’emploi mais nous avons préservé nos savoir-faire, notamment les expertises critiques, dans un contexte de fortes tensions du marché du travail.
Vous avez conclu, en avril dernier, un nouvel accord, avec la CFDT, CFE-CGC, CGT et FO, cette fois consacré aux seniors (voir en pièce jointe). Les négociations se sont déroulées en pleine crise des retraites. Avez-vous pris en compte la nouvelle réforme ?

Le fil rouge de la négociation était de préserver les compétences. Notre rôle, en tant qu’RH, est d’accompagner les salariés dans l’évolution de leur métier ou de les aider à se reconvertir grâce à des efforts importants portés sur la formation. Nos métiers évoluent énormément, sous l’effet conjugué des transitions énergétiques et digitales. D’ores et déjà tous nos métiers quasiment intègrent l’intelligence artificielle. Il faut donc pourvoir organiser le travail en interne pour garder les salariés dans de meilleures conditions.
Or, traditionnellement les personnes les moins formées dans les entreprises ont plus de 50 ans. Nous avons voulu renverser cette tendance. Car c’est à 50/55 ans et non à 60 ans qu’il faut anticiper les évolutions professionnelles, c’est-à-dire adapter la carrière aux enjeux de l’allongement de la vie au travail et de l’usure professionnelle. A ce titre l’accord prévoit un bilan avec la médecine du travail et les RH sur le parcours professionnel. L’objectif étant de faire le point sur le métier occupé, les possibilités de formation ou de reconversion. Il s’agit à la fois d’up-skilling (brique supplémentaire de compétences) ou de re-skilling (reconversion). Par exemple, des ingénieurs en mécanique peuvent évoluer en architecte industriel et en architecte digital, avec des parcours de 600 à 900 heures de formation.
Vous avez également prévu des objectifs chiffrés de recrutement et de maintien dans l’emploi des salariés expérimentés. Tiendrez-vous vos engagements ?

Nous sommes dans une phase de recrutement massif, environ 17 000 embauches par an dans le monde et à peu près 5 500/ 5 600 en France. La plupart sont focalisés sur les jeunes diplômés néanmoins environ 10 % de nos recrutements concernent des personnes de plus de 50 ans. C’est pourquoi cet engagement est important. D’une part, pour maintenir une pyramide des âges équilibrée, avec environ 30 % de nos effectifs âgés de plus de 50 ans. D’autre part, pour organiser la transmission de nos savoir-faire. Un vecteur clef pour une entreprise de haute technologie.
L’accord prévoit également du temps partiel aidé. Cette mesure est-elle différente de votre précédent accord ?
L’une des nouveautés porte sur l’articulation entre le temps partiel aidé et retraite progressive, avec l’objectif de favoriser la transition entre la vie professionnelle et la retraite de manière graduelle. Il s’agit ici d’une simple continuité. A ce titre, l’accord prévoit un cumul de la retraite progressive avec le temps partiel aidé.
Jusqu’à présent, un salarié inscrit dans un dispositif de retraite progressive avait tendance à travailler à temps plein les premières années pour cesser toute activité la dernière année. Même si le contrat de travail terminait administrativement bien après.
Justement plusieurs personnes sont actuellement en dispense d’activité. Or, la loi du 14 avril 2023 sur les retraites reporte, à partir du 1er septembre, date d’application de la réforme, le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier du taux plein pour les salariés nés à compter de septembre 1961. C’est-à-dire sans décote. Comment allez-vous compenser les trimestres manquants ? Vous lancez une négociation sur ce sujet. Quelles sont les pistes à l’étude ? Et quel le surcoût dû à la réforme ?

Sur les trois ans à venir, nous avons 1 000 personnes concernées par des aménagements de fin de carrière. Les nouvelles bornes d’âge de départ représentent un surcoût d’environ une vingtaine de millions d’euros.
Nous lançons donc des négociations pour mettre en place une dégressivité soutenue par l’entreprise pour arriver, in fine, au fur et à du recul de l’âge de la retraite, à des montants qui seront proches de ceux que la personne pourrait toucher à sa retraite.
Une autre piste porte sur la conversion de l’indemnité supra légale de retraite.
Mais une chose est sûre : il n’y aura pas de réintégration dans l’entreprise. C’est totalement incohérent, certaines personnes ont déménagé en province, à l’étranger et elles se sont éloignées du travail au fil des mois.
Les partenaires sociaux prévoient une négociation sur les seniors. Qu’en attendez-vous ? Etes-vous favorable à un CDI seniors, réclamé par le patronat ?

Sur bien des points, notre accord est plutôt précurseur. Mais je suis plutôt opposé à un CDI seniors. Les politiques qui soutiennent financièrement des contrats de travail n’ont jamais été d’une grande efficacité. De plus, ce type de contrat accrédite l’idée que les seniors sont mieux payés et, par conséquent, qu’ils sont une charge supplémentaire pour l’entreprise. Or, cette idée est fausse. L’écart n’est pas significatif entre les différentes tranches d’âge pour justifier la mise en place d’un tel contrat.
D’un point de vue sociétal, le CDI senior instaure, en outre, une forme de discrimination positive qui socialement n’est pas responsable. Et surtout ne permet pas de donner du sens au travail.
A ce propos, serez-vous signataire du Manifeste sur le Sens au travail rédigé par une vingtaine de DRH et parrainé par Jean-Dominique Sénart et Nicole Notat ?

Je soutiens totalement cette initiative. La question du sens au travail est aujourd’hui cruciale. Ce qui induit pour les entreprises de reconnaitre "réellement" la contribution des salariés à la stratégie de l’entreprise. Chez Safran, cet engagement se concrétise par l’adhésion de chacun au projet de décarbonation de notre activité, un enjeu majeur pour notre secteur. D’ores et déjà, 75 % de notre effort de R&D est tourné vers cet objectif.
Ce projet est attractif pour les jeunes générations. La décarbonation leur donne la possibilité de participer à la quatrième révolution aéronautique. La première consistait à faire voler des engins plus lourds que l’air. La deuxième, à le faire en sécurité. La troisième à démocratiser le voyage aérien. L’enjeu est de réussir la décarbonation sans remettre en cause aucune des trois étapes précédentes.
N’oublions pas, nous sommes à un moment charnière de l’aéronautique.
Vous avez créé en 2020, la direction des responsabilités humaines et sociétales ? Pourquoi cet intitulé ? Pensez-vous que la DRH doit évoluer ?

Je suis en charge à la fois de la RSE et des RH. Ma conviction ? Une entreprise a une responsabilité vis-à-vis des collaborateurs. Celle-ci a deux aspects. La première, c’est que nous devons nous assurer de l’employabilité de chaque collaborateur, pour faire en sorte que chacun puisse s’adapter et qu’aucune catégorie de personnel en soit sacrifiée. C’était le sens de l’accord de transformation de 2020.
La seconde responsabilité est de transformer la société. On ne peut pas avoir de politiques cohérentes, ambitieuses en occultant ce principe. Les entreprises doivent s’engager de façon claire pour relever les défis de demain. Chez Safran, la décarbonation fait partie de notre ADN. Le discours RH doit incarner cette ambition. Il doit être en cohérence avec l’ajustement des compétences, indispensable pour réussir cette mutation.
De plus, les préoccupations personnelles des collaborateurs, comme la question environnementale, doivent trouver un écho favorable au sein de leur organisation. A défaut, ils perdent le sens au travail. Il s’agit de deux facettes d’une même pièce.
C’est pourquoi la DRH doit se réinventer, en intégrant à la fois les questions sociétales et environnementales. C’était l’objectif visé il y a trois ans avec la création de la direction des responsabilités humaines et sociétales.
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