La facture électronique, eldorado incertain des éditeurs de logiciels

La facture électronique, eldorado incertain des éditeurs de logiciels

29.10.2024

Gestion d'entreprise

L'abandon du service de facturation que devait offrir (gratuitement) le PPF (portail public de facturation) constitue une opportunité pour les futures plateformes privées. Mais il rend plus difficile de faire accepter la réforme auprès des entreprises et soulève une question juridique.

Les éditeurs de logiciels de facturation peuvent se frotter les mains. L'annonce, par Bercy, de l'abandon du volet facturation du portail public de facturation (PPF) les débarasse d'une concurrence de taille, celle gratuite que devait offrir l'Etat. Un service essentiel qui était pourtant promis dans le cadre de la réforme de la facturation électronique entre assujettis.

Sous-équipement des TPE

Cette actualité fait notamment l'affaire de ceux qui convoitent le marché des petites entreprises. Ce qui est le cas de Cegid. "En France, 2 millions 800 mille entreprises n’utilisent aucun produit de gestion. Même pas un produit de facturation ou de comptabilité. La facturation électronique va complètement changer la donne", se réjouissait déjà en septembre Pascal Houillon, CEO de Cegid, avant même l'annonce de l'abandon du volet facturation du PPF.

A titre de repère, Antoine de Riedmatten, président du directoire d'In Extenso, estimait en 2022 que "sur les TPE, qui font le gros de notre activité, l’équipement en produit de facturation n’est que d’environ 50 %. 50 % de ces TPE font leur facture sur Word ou Excel".

Une étude que France Num vient de publier (Icône PDFBaromètre France Num 2024, à laquelle ont répondu 10 125 TPE-PME (6 425 entreprises de 0 à 9 salariés et 3 700 entreprises de 10 à 249 salariés), apporte plusieurs éclairages. En gros, les deux tiers des entreprises (toutes tailles confondues) disposent d'un logiciel de facturation. Dans le détail, on voit que plus les entreprises sont petites (en nombre de salariés) moins elles sont équipées en logiciel de facturation — cette information, qui ne figure pas dans l'étude, nous a été communiquée par la direction générale des entreprises. Les mêmes enseignements se manifestent pour l'équipement en logiciel de comptabilité (voir le graphique ci-dessous).

 

Plus l'entreprise est grande, plus elle est équipée en logiciel de facturation
 

Source : Icône PDFBaromètre France Num 2024 / Actuel expert-comptable

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Un marché potentiel colossal

Le marché potentiel des logiciels de facturation électronique est même encore plus important. Car utiliser un logiciel de facturation aujourd'hui ne garantit pas qu'il sera conforme demain à la réglementation laquelle nécessitera de passer par une solution agréée, c'est-à-dire une plateforme de dématérialisation partenaire (PDP). Certaines entreprises équipées aujourd'hui devront ainsi changer de solution informatique. Potentiellement, ce marché devra adresser tous les assujettis à la TVA. Cela représente, Icône PDFselon la DGFip, 8,7 millions d'entreprises en 2023 : 4,2 millions d'entreprises qui ont déposé une déclaration (hors entreprises versant de la TVA via les guichets uniques) + 4,5 millions d'entreprises qui sont dans le régime de la franchise en base (les entreprises en franchise en base étant assujetties à la TVA, elles sont concernées par la réforme de la facturation électronique).

Quel traitement pour les non assujettis ?

On peut y ajouter des entités non assujetties. Car même si elles ne sont pas concernées juridiquement par la réforme, elles le seront peut-être de fait. "En tant qu’expert-comptable nous avons des clients assujettis et des clients non assujettis. On ne va pas faire le tri parmi eux. Comment va-t-on s’assurer que la facturation arrive aussi aux non assujettis à la TVA puisqu’ils ne sont pas par défaut inscrits sur les plateformes ?", s'interrogeait ainsi l'année dernière un professionnel.

Une dérogation européenne valable jusque fin 2026

Toutefois, une question juridique et économique plane sur l'avenir de la réforme. En effet, imposer la facturation électronique entre assujettis à la TVA nécessite, dans l'état actuel des textes, une dérogation à l'échelle européenne. Or, la France l'a obtenue début 2022 (voir la décision d'exécution (UE) 2022/123 du conseil) pour la période allant du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2026. Elle devra donc faire une demande pour proroger cette dérogation. Et elle devra l'accompagner d’un rapport qui évalue notamment "les effets de ces mesures sur les assujettis et, en particulier, si elles augmentent les charges et les coûts administratifs".

Mécontentement de la CPME

Un sujet qui fait d'autant plus débat pour les TPE-PME à la suite de l'annonce de l'abandon du volet facturation du PPF. "L’existence d’une plateforme publique jouant le rôle d’un service minimum de la dématérialisation permettra aux entreprises les plus éloignées de la dématérialisation de limiter leurs coûts, l’État prenant à sa charge l’essentiel des coûts fixes", pointait en 2020 Icône PDFle rapport de la DGFip sur la TVA à l'ère du digital en France. Un point que relevait en 2023 Jérôme Fournel, à l'époque directeur général des finances publiques. "J'ai demandé à la Commission européenne une dérogation pour pouvoir faire de la facture électronique à condition de mettre en place un système de portail public gratuit de facturation électronique qui est la condition pour me sortir du cadre juridique européen tel qu’il est aujourd’hui", avançait-il au congrès de l'Ordre.

Des représentants de TPE et de PME ont d'ailleurs manisfesté leur mécontentement suite à l'annonce de Bercy. "Alors que l’on nous avait promis une réforme indolore, sans coût supplémentaire, via un accès à une plateforme publique gratuite, les entreprises seront finalement obligées de passer par une plateforme privée — et donc payante — pour satisfaire à leurs obligations. La CPME s’oppose au projet de facturation électronique payante", adresse ce représentant des PME.

L'U2P est également mécontente. "Les entreprises n’auront d’autre choix que de recourir à des plateformes de dématérialisation privées pour se conformer à leurs obligations légales. Elles devront ainsi opérer un choix de prestataire dans un paysage complexe comptant déjà plus de 70 plateformes de dématérialisation privées et dont la liste est appelée à s’allonger", regrette-t-elle. Bref, le climat se tend. Et il faut rappeler que la réforme a déjà été reportée deux fois.

L'enjeu de la proposition de directive Vida

Une solution radicale est toutefois sur la table, celle de l'adoption d'une Icône PDFproposition de directive qui modifie la directive sur la TVA. Souvent appelé Vida (VAT in the digital age), ce texte, qui ferait de la facture électronique la norme par défaut, autoriserait les Etats membres à l'imposer sans qu'il ne leur soit nécessaire d'obtenir une dérogation à l'échelle europénne. Mais la proposition de directive Vida, qui date de fin 2022, reste en discussion au sein du Conseil de l'Union européenne, seule institution qui peut l'adopter... et à condition d'obtenir l'unanimité des Etats membres. Une prochaine réunion du Conseil est prévue le 5 novembre sur ce sujet.

Ludovic Arbelet
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