La falsification par le DJ d'un document produit en justice constitue-t-elle une tentative d'escroquerie qui engage sa société?

La falsification par le DJ d'un document produit en justice constitue-t-elle une tentative d'escroquerie qui engage sa société?

12.06.2024

Gestion d'entreprise

Le directeur juridique qui recrée informatiquement un document afin de remplacer l’original pour les besoins d’un litige commercial peut engager la responsabilité pénale de sa société. Dans cette chronique, Etienne Delattre, avocat associé chez Harold Avocats, décrypte la décision de la Cour de cassation du 24 avril 2024.

La Cour de cassation valide la condamnation d’une société, pour des faits délictueux commis par son directeur juridique (tentative d’escroquerie au jugement), alors même que ce dernier n’était pas identifié comme organe ou représentant de la société au titre de la prévention, ni identifié comme tel par le jugement du tribunal correctionnel.

A l’origine du litige, un contrat de location de véhicule de longue durée

Dans cette affaire, une société a loué un véhicule à une autre société dans le cadre d’un contrat de location de longue durée.

A la suite de la rupture brutale du contrat par le locataire, les parties se sont orientées vers le Tribunal de commerce.

Dans ce cadre, la société de location a versé aux débats un document que la société locataire suspectait d’être contrefait, ce dernier ayant été recréé informatiquement pour les besoins du litige commercial par le directeur juridique de la société, afin de remplacer le contrat original qui n’avait pu être versé aux débats.

La société locataire a alors porté plainte des chefs de faux, usage et escroquerie au jugement. A l’issue de l’information, le juge d’instruction a renvoyé la société de location devant le tribunal correctionnel du seul chef de tentative d’escroquerie.

La société de location a été condamnée par le tribunal correctionnel pour ce délit.

Gestion d'entreprise

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La Cour d’appel confirme la tentative d’escroquerie de la société de location

La Cour d’appel de Versailles a confirmé le jugement, considérant que :

  • Le directeur juridique de la société est tenu de connaître les dispositions légales, de les faire appliquer dans son service ainsi que de déterminer les modalités de traitement et de suivi des procédures contentieuses, et qu’il ne pouvait ainsi ignorer que le document recréé informatiquement pour les besoins du litige commercial, afin de remplacer le contrat original qui faisait défaut, constituait un faux,
  • En effet, le directeur juridique a validé a posteriori la création informatique de ce contrat, sa production, ainsi que celle de pièces falsifiées, au soutien de l’assignation de la société de location devant la juridiction commerciale.
  • Les faits délictueux ont donc été commis pour le compte de la société de location par le directeur juridique de celle-ci qui dispose de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de la mission que lui a donnée le représentant légal de la société, qui l’a d’ailleurs chargé de représenter cette dernière dans le cadre de la procédure pénale.

La société condamnée a alors formé un pourvoi en cassation.

Les conséquences juridiques de la falsification n’ont pas d’incidence sur la tentative d’escroquerie au jugement

L’escroquerie au jugement consiste, pour le plaideur, à mettre en place une machination destinée à tromper le juge, ou plus largement « la justice », afin qu’il (elle) rende une décision portant préjudice à la victime.

La production d'un document simplement mensonger est susceptible de caractériser l'élément matériel de ce délit.

Il semble établi, dans l’arrêt commenté, que la production d’un faux contrat, pour remplacer le contrat original qui faisait défaut, servait les intérêts de la société de location devant le tribunal de commerce.

Pour sa défense, la société de location expose que les documents falsifiés n’avaient pas de conséquences sur le transfert de propriété du véhicule

Cet argument est inopérant pour juger de l’existence d’une tentative d’escroquerie au jugement, qui a pour seul objet une décision juridictionnelle susceptible d’opérer obligation ou décharge.

En d’autres termes, peu importe les effets de la falsification, il suffit qu’elle ait eu pour objet de servir les intérêts de la société de location.

L’absence d’obligation d’identifier au stade de la citation la personne ayant la qualité d’organe ou de représentant de la personne morale

La société de location soutient ensuite qu’elle n’a pas été mise en mesure de se défendre utilement car le directeur juridique, à l’origine des faits délictueux, n’a pas été visé comme organe ou représentant de la société au titre de la prévention, ni identifié comme tel par le jugement frappé d’appel.

La Cour rejette ce pourvoi et énonce que l'identification de la personne ayant la qualité d'organe ou de représentant, ayant commis l'infraction pour le compte de la personne morale, n'a pas à être obligatoirement énoncée dans la citation. 

Seule la responsabilité pénale de la personne morale étant recherchée, la détermination de l'organe ou du représentant de celle-ci était nécessairement dans les débats, mettant ainsi la société de location en mesure de s'en expliquer, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.

La responsabilité pénale de la personne morale et la délégation de pouvoirs

L’article 121-2 du Code pénal dispose que les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. 

Dès lors qu’un salarié est titulaire d’une délégation de pouvoirs, il doit être considéré comme le représentant de cette personne morale au sens de l'article 121-2 du Code pénal.

Les juges du fond doivent vérifier que l'auteur des faits avait bien une des qualités requises par la loi.

Dans l’arrêt commenté, la qualité de délégataire du directeur juridique ne semble pas avoir été contestée, la Cour d’appel de Versailles ayant du reste constaté que les conditions de validité d’une délégation de pouvoir étaient réunies : le salarié disposait de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à l’exercice de sa mission.

Pour autant, la société de location soutenait que l’auteur des faits ayant donné lieu aux poursuites n’ayant pas été mentionné dans la citation, ni identifié comme tel par le jugement du tribunal correctionnel, elle n’avait pas été en mesure de se défendre utilement.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation ne cautionne pas ce raisonnement. Tout d’abord, rien n’oblige à énoncer dans la citation l’identification de la personne ayant la qualité d’organe ou de représentant, ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale.

Ensuite, la Cour énonce que, dès lors que la personne morale est poursuivie, la détermination de l’organe ou du représentant de celle-ci était nécessairement dans les débats, mettant ainsi la société de location en mesure de s’en expliquer.

Il faut en déduire que la responsabilité pénale d’une personne morale peut être engagée sans que la personne ayant la qualité d’organe ou de représentant, ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale, soit identifiée au stade de la citation.

Pour autant, cette identification devra nécessairement être opérée dans le cadre des débats judiciaires, ce qui, dans l’arrêt commenté, avait de toute évidence eu lieu devant la Cour d’appel de Versailles.

 

Etienne Delattre
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