Une société de capital-investissement va devenir co-propriétaire de la branche expertise comptable de KPMG en France. L'entrée d'acteurs financiers au capital des cabinets comptables se développe en France et à l'étranger. Et soulève des questions majeures sur l'évolution du secteur.
KPMG France est sur le point de s'ouvrir à une société de capital-investissement. TowerBrook Capital Partners va en effet devenir co-propriétaire, aux côtés des associés ESC GS, de l'activité d'expertise comptable et de gestion sociale du cabinet destinée aux TPE-PME. "Nous nous réjouissons que KPMG en France franchisse aujourd’hui, avec ses associés et avec TowerBrook, une étape décisive dans sa décision stratégique d’autonomie de son activité d’expertise comptable et de conseil aux TPE-PME, d’une part, et de fort réinvestissement dans ses métiers historiques, audit, conseil et tax & legal, d’autre part. En 2025, les entreprises pourront compter sur deux leaders confortés dans leurs trajectoires respectives pour servir, de façon encore plus puissante, les marchés des grands comptes/ETI et des TPE-PME", ambitionnent Marie Guillemot, présidente du directoire, et Axel Rebaudières, directeur général et membre du directoire de KPMG en France.
Cette annonce récente illustre une tendance qui devient structurelle, celle de l'arrivée d'acteurs non traditionnels au capital de structures comptables. Souvent, il s'agit de répondre au besoin de financer des investissements, par exemple dans l'immatériel ou pour acheter un cabinet. Un besoin auquel la libéralisation relative de l'expertise comptable répond à sa façon (lire l'encadré ci-dessous). Aujourd’hui, le capital social d'une société d'expertise comptable peut être détenu par des tiers sans aucune limitation, la seule règle portant sur la détention des droits de vote par les professionnels (lire l'encadré ci-dessous). Ce n'était pas le cas avant mai 2014.
Le capital tant des sociétés d'expertise comptable que de commissariat aux comptes est complètement ouvert, en France, à la condition que les droits de vote soient détenus majoritairement par des professionnels. Précisément, la législation française impose que plus des deux tiers des droits de vote dans les sociétés d'expertise comptable soient détenus par des professionnels de l'expertise comptable (article 7 de l'ordonnance n° 45-2138) — aucune obligation européenne n'est fixée sur ce sujet. L'exigence que plus de la moitié du capital soit détenu par des experts-comptables a disparu en mai 2014 après que la Commission européenne ait fait savoir à la France que la législation nationale posait des questions de conformité au droit de l'Union européenne (voir En ce qui concerne les sociétés de commissariat aux comptes, |
Fin 2024, la société d'investissement Perwyn s'est félicité de sa contribution à la création du groupe comptable Kerogo finance. Ce dernier est composé de Kerobiz, un cabinet dans lequel Perwyn a investi en 2020, et des cabinets Jacques Rozenbaum (Paris) et Audit Conseils (Alsace). Le financier ne cache pas ses ambitions : "avec notre soutien, Kerogo Finance continue de rechercher de nouvelles acquisitions dans le domaine de la comptabilité. Les cibles idéales doivent avoir un chiffre d'affaires supérieur à 5 millions d'euros et reconnaître la nécessité d'évoluer et de s'adapter à un environnement commercial en évolution rapide", affiche Perwyn.
D'autres opérations ont été réalisées dans l'Hexagone ces dernières années. En 2017, les co-fondateurs de Wity, un cabinet comptable 100 % en ligne, font entrer le fonds M Capital Partners dans la holding qu'ils détiennent à 71 %. Objectif de l'opération : obtenir des ressources pour structurer en amont leur projet d’offre globale de conseil 100 % en ligne (plateforme et outils de communication), en particulier pour résoudre la difficulté de financer l'immatériel.
Fin 2018, Amarris Group achète l'intégralité du capital du célèbre cabinet 100 % en ligne ECL Direct. Particularité de l'opération : elle est financée en partie par l'arrivée d'acteurs financiers (BNP Paribas développement, Ouest croissance, Arkéa capital), filiales de banques, au capital d'Amarris group.
Et fin 2021, le fonds commun de placement à risques (FCPR) Experts génération a vu le jour pour "accompagner l’ensemble de la profession comptable dans des projets d’acquisition, de transmission et de développement ou de transformation numérique de cabinets". Particularité de ce véhicule d'investissement : toute personne, physique ou morale, peut y souscrire même si l'objectif affiché consiste à solliciter en priorité les experts-comptables.
Autre exemple, celui du cabinet Dougs qui a levé (en 2023) 25 millions d'euros auprès du fonds d'investissement Expedition growth capital. Objectif affiché : accélérer la croissance par des investissements technologiques, des recrutements et un développement à l'international.
Exemple emblématique, celui d'In Extenso, l'un des plus grands cabinets d'expertise comptable en France qui a aussi une activité de commissariat aux comptes. En 2019, il ouvre son capital, de façon minoritaire, au Crédit Agricole Centre-Est. Une opération destinée à "pallier" la sortie de Deloitte, son actionnaire historique, au moment où, selon son directeur général à l'époque, le cabinet devait investir de "façon assez importante". Mais depuis, la donne a changé. En 2023, les associés ont racheté une partie du capital détenu par cette banque. Il s'agit donc d'un exemple de définanciarisation.
A quelques jours près, cette actualité de KPMG France coïncide avec une annonce de l'Ifiar (international forum of indemendant audit regulators), un espace de réflexion qui regroupe une cinquantaine de régulateurs nationaux de l'audit. Cette organisation, dont fait partie la H2A, considère que la financiarisation des cabinets d'audit légal se développe dans le monde. Et déclare vouloir suivre de près le phénomène.
"Les membres de l'Ifiar ont observé une tendance internationale croissante des cabinets d'audit à accepter l'investissement du private equity [capital-investissement] dans leur modèle économique. Compte tenu des avantages et des risques potentiels sous-jacents à cette question, l’Ifiar continuera de surveiller l’évolution des investissements du private equity dans les cabinets d’audit et aidera ses membres à prendre en compte les risques et les impacts de ces investissements dans leurs juridictions respectives", affiche ce forum international qui ne dispose d'aucun pouvoir de régulation.
L'Ifiar liste les bénéfices potentiels que certains régulateurs nationaux du secteur attribuent au capital-investissement : des ressources supplémentaires pour investir, notamment dans la technologie, qui peuvent améliorer la qualité de l'audit ainsi qu'une concurrence accrue et davantage d'acteurs.
Mais elle se fait aussi l'écho des risques potentiels que cette financiarisation fait peser sur le secteur : une réduction de la qualité d'audit en raison d'impératifs de rentabilité davantage court-termistes, un risque accru de conflit d'intérêts dû à l'étendue des portefeuilles d'actifs détenus par les fonds d'investissement ou encore une compréhension limitée par ces financiers de la mission d'intérêt public des cabinets d'audit.
Même si l'Ifiar ne fournit aucun exemple, des opérations d'envergure ont été réalisées — à l'étranger — l'année dernière. Grant Thornton LLP, le membre états-unien du réseau mondial Grant Thornton, a annoncé en mars puis en mai l'investissement de New Mountain Capital — une société qui revendiquait à l'époque avoir environ 50 milliards de dollars d'actifs sous gestion — dans Grant Thornton advisors LLC, une structure qui fournit exclusivement des services sans assurance. Et en octobre dernier, un accord supplémentaire a été annoncé. Il vise à combiner cette entité de Grant Thornton aux Etats-Unis avec les activités de conseil et de fiscalité de Grant Thornton Ireland. Une opération soutenue par un groupe d'investisseurs dirigé par New Mountain Capital !
Autre exemple venant des Etats-Unis, celui de Baker Tilly. En février dernier, ce cabinet annonçait l'arrivée prochaine de deux financiers à son bord, Hellman & Friedman (“H&F”) et Valeas Capital Partners (“Valeas”). "L'investissement significatif de H&F et de Valeas permet à l'entreprise d'accéder à des capitaux et à des capacités supplémentaires pour accélérer sa croissance grâce à des investissements dans les talents, la technologie et d'autres acquisitions stratégiques visant à fournir les meilleurs services clients de leur catégorie", argumente Baker Tilly.
"Est-ce que votre cabinet serait intéressé pour faire entrer des financiers au capital ?", demandions-nous fin 2023 à Thierry Denjean, président fondateur du cabinet Denjean et associés. Réponse : "On ne s'interdit rien. Mais on a une particularité : tous les associés s'investissent beaucoup professionnellement et techniquement chez leurs clients. Un fonds d'investissement ne pourra pas suivre ce même projet d'entreprise mais pourra peut-être nous donner d'autres moyens pour investir encore davantage sur l'humain".
L'arrivée de financiers au capital de cabinets comptables pourrait aider les associés de certaines structures à transmettre leurs parts sociales ou actions. Surtout pour celles dont le ticket d'entrée est élevé en raison de leur prise de valeurs. Sur ce sujet, l'une des questions récurrentes qui se pose au secteur comptable est celle de la succession de Christian Latouche. "Qui va reprendre Fiducial une fois que le fondateur sera parti ? Ce n’est pas clair. Est-ce qu’une banque va y aller ? Est-ce qu’un autre cabinet va y aller mais avec le soutien d’une banque parce que ça coûtera très cher ?", se demandait en 2022 l'enseignant-chercheur Frédéric Fréry.
Pour ce dernier, les problèmes d'attractivité des cabinets comptables à l'égard des collaborateurs pourraient aussi contribuer à la financiarisation du secteur. "Vous avez un problème de recrutement qui est considérable, rappelait-il. Peut-être que l’une des raisons aussi à ce problème c’est que votre métier est devenu vraiment très compliqué. Vous êtes formé pour être expert-comptable mais vous devez aussi être manager, DRH, community manager, commercial... enfin faire plein de choses qui finalement sont très en dehors de ce pourquoi vous êtes à la base formés qui est un métier technique et financier, développait-t-il. Ça peut finir par décourager un certain nombre de gens qui veulent être expert-comptable et qui disent que, finalement, salarié c’est bien", développe-t-il. Bref, "il y a aussi un besoin de financement s’il faut salarier les gens", résumait-il.
Mais par certains aspects, l'entrée d'acteurs non traditionnels pourrait détériorer le recrutement et la fidélisation des associés et des collaborateurs. Car elle pourrait conduire à scinder davantage les activités d'audit et de conseil. Pour au moins deux raisons : premièrement, pour éviter les conflits d'intérêts qu'entraînerait l'arrivée de fonds d'investissement d'autant plus lorsqu'ils détiennent de nombreuses entités dans leur portefeuille d'actifs. Deuxièmement, on peut se demander si les financiers ne vont pas pousser la spécialisation des tâches afin d'optimiser la rentabilité de leurs investissements. Bref, la financiarisation du secteur pourrait remettre en cause le modèle pluridisciplinaire cher à de nombreux groupes comptables.
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