La Cour européenne des droits de l'Homme juge qu'un arrêt de la Cour de cassation a employé des termes pouvant être interprétés comme imputant une responsabilité pénale à un commissaire aux comptes pour un délit pour lequel il était (seulement) mis en examen.
La France vient de se faire épingler par la Cour européenne des droits de l'Homme dans une affaire impliquant un commissaire aux comptes. Laurent Gravier est associé de deux sociétés d'audit qui sont mandatées pour certifier les comptes d'un groupe de sociétés.
Des anomalies dans les comptes
Une enquête, ouverte en 2016, révèle des anomalies affectant ces comptes depuis plusieurs années. En 2017, le Cac (signataire au nom d'une des sociétés d'audit) et les deux cabinets déposent plainte s’estimant victimes de délits de faux et usage de faux et d’obstacle aux vérifications ou contrôles de commissaire aux comptes par dirigeant de personne morale.
En 2019, une information judiciaire est ouverte pour plusieurs infractions dont l'obstacle aux vérifications ou contrôle de commissaire aux comptes par dirigeant de personne morale, la présentation ou publication de comptes annuels inexacts, la diffusion d’informations mensongères sur la situation d’une personne morale par commissaire aux comptes, et la non-révélation de faits délictueux par commissaire aux comptes. M. Gravier et les deux cabinets d'audit se constituent alors partie civile, en tant que victimes, c'est-à-dire qu'ils informent le juge d'instruction qu'ils demandent des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice.
Mais le juge d'instruction déclare irrecevables les constitutions de partie civile du Cac et des cabinets car, selon lui, il existe une "présomption forte" que "la mission des commissaires aux comptes n'ait pas été faite dans les règles de l'art" et que cette présomption soit "susceptible d'entraîner une qualification pénale" ; et que les constitutions de partie civile "soient motivés par un souhait d'échapper à toute responsabilité pénale".
Parallèlement, en 2020, Laurent Gravier est mis en examen pour avoir confirmé des informations mensongères en tant que commissaire aux comptes. Il est également placé sous le statut de témoin assisté pour non-révélation de faits délictueux par commissaire aux comptes.
La même année, la chambre de l'instruction de la cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance d’irrecevabilité des demandes de constitution de partie civile. Elle retient notamment que le Cac requérant n’a pas été personnellement mandaté en qualité de commissaire aux comptes et n'est pas personnellement victime d'infractions dont le juge d'instruction est saisi, donc il n’a pas qualité à agir à titre personnel.
Le Cac et les deux cabinets d'audit se pourvoient cassation. En 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d'appel. Au moment du prononcé de l’arrêt de la Haute juridiction, la procédure pénale dirigée contre le requérant est toujours pendante.
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
C'est dans ce contexte que M. Gravier saisit la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Il estime que les termes des arrêts de la cour d'appel et de la Cour de cassation ont violé son droit à la présomption d’innocence. Ce droit est garanti par l’article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales selon lequel "Toute personne accusé d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie". Le Cac argue que les juges n'ont pas du tout nuancé leurs propos pour refléter un état de suspicion. "Les motifs retenus tant par la chambre de l’instruction que par la Cour de cassation laissent clairement entendre qu’il avait participé à la commission d’infractions pénales pour lesquelles sa culpabilité n’a jamais été légalement établie", considère-t-il.
Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2024, la CEDH rappelle que la présomption d’innocence est méconnue si "une déclaration ou une décision officielle concernant un accusé reflète le sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas encore été établie". Dans le cas d'espèce, elle ne se prononce pas sur le bien-fondé des décisions d'irrecevabilité.
La Cour européenne pointe ainsi les termes employés dans un passage de l'arrêt de la Cour de cassation indiquant que le Cac a "participé à un concert frauduleux visant à masquer une situation financière obérée". Selon la CEDH, la notion de "participation à un concert frauduleux" est "équivoque et s’apparente à la notion de fraude qui ne relève pas de la sphère purement pénale". "Cependant, suivie de et aggravée par l’expression « visant à masquer une situation financière obérée », cette phrase acquiert un sens pouvant être raisonnablement interprété comme imputant au requérant la responsabilité pénale pour confirmation d’informations mensongères par commissaire aux comptes, délit pour lequel il était mis en examen".
La Cour européenne en conclut donc qu'il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. En revanche, elle refuse d'accorder au Cac une indemnité pour dommage moral (article 41 de la Convention) car "le constat d'une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant".
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