La jurisprudence encadre la mise en oeuvre du principe de non-régression
18.12.2017
Environnement
Deux décisions précisent que ce principe s'applique aux décisions réglementaires, en l'espèce à un décret modifiant la liste des projets soumis à étude d'impact, à l'exclusion des décisions à caractère individuel.
Deux décisions de justice viennent d'éclaircir la mise en oeuvre du principe de non-régression sur les points suivants : dans quelle mesure était-on en situation de régression ? Une décision individuelle est-elle soumise à ce principe ?
Environnement
La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)
La loi Biodiversité du 8 août 2016 a consacré, au sein du code de l'environnement, le principe de non-régression du droit de l'environnement, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment (C. envir., art. L. 110-1, II, 9°).
Ce principe, a été particulièrement contesté et souvent mal compris par des parlementaires persuadés qu’il allait geler la législation environnementale ou favoriser le « toujours plus » de protection. Toutefois, la non-régression n’impose pas un gel de la règle de droit mais un non-abaissement du niveau de protection de l’environnement. De plus, la non-régression ne s’applique pas à la règle de droit (qui peut toujours évoluer) mais au niveau de protection de l’environnement souhaité. Si par exemple, la protection d’une espèce n’est plus justifiée – parce qu’elle n’est plus menacée, rien n’interdira au pouvoir réglementaire d’alléger sa protection.
La Fédération Allier Nature avait saisi le juge administratif à propos de la liste des projets soumis à étude d'impact (C. envir., art. R. 122-2, annexe). Elle critiquait en particulier la rubrique traitant des dispositions des a) et d) de la rubrique 44 du tableau annexé à cet article, relatives respectivement aux " pistes permanentes de courses d'essai et de loisirs pour véhicules motorisés d'une emprise supérieure ou égale à 4 hectares" et aux "autres équipements sportifs ou de loisirs et aménagements associés susceptibles d'accueillir plus de 5 000 personnes".
Cette rubrique, comme beaucoup d'autres, avait en effet été modifiée par un décret n° 2016-110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes. L'intervention de ce décret s'est traduite par un allégement notable de la liste des projets soumis à évaluation systématique : en effet, nombre de ces projets sont soumis facultativement à étude d'impact, après examen au cas par cas de l'administration, en lieu et place d'une étude d'impact systématique (v. notre actualité "Évaluation environnementale : suite de la refonte" du 18 août 2016).
Le juge accepte de comparer l'état du droit avant et après ce décret. Il confirme que l'invocation de ce principe peut s'appliquer à un texte réglementaire (décret en l'espèce) pourvu qu'il soit postérieur à la loi biodiversité (de quelques jours en l'espèce). Surtout, il définit le niveau à partir duquel la qualification de régression peut s'appliquer.
Il n'y a pas de qualification possible de "régression" au cas où un projet initialement soumis à étude d'impact systématique n'est finalement plus soumis qu'à une étude au cas par cas : "une réglementation soumettant certains types de projets à l'obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale alors qu'ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l'objet d'une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là-même, le principe de non-régression de la protection". Le juge estime en effet que les projets restent potentiellement soumis à évaluation environnementale ;
En revanche, la "régression" peut qualifier un projet auparavant soumis à étude d'impact au cas par cas, mais qui ne l'est plus après modification du décret. Encore faut-il que la régression concerne des projets suffisamment impactants : "une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l'obligation d'évaluation environnementale après un examen au cas par cas n'est conforme au principe de non-régression de la protection de l'environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n'est pas susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine".
En l'espèce, la régression étant confirmée, le juge annule les rubriques a) et d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2. On notera toutefois que le Conseil d'Etat ne donne aucun délai à l'administration pour rectifier le tir. Comme le juge n'annule pas une disposition du décret modificateur (ce qui aurait peut-être permis d'appliquer le droit antérieur), mais une disposition du code de l'environnement, il ouvre du même coup un vide juridique dont certains aménageurs pourraient profiter...
Mais les associations pourraient également s'immiscer dans la brèche pour demander l'annulation de dispositions supprimant une évaluation environnementale pour certains projets.