La loi santé du 2 août 2021 vise à renforcer la culture de prévention primaire, à travers la nouvelle place donnée au document unique d'évaluation des risques professionnels et au programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail. L'analyse de Vincent Jacquemond, directeur associé, expert en santé au travail de Secafi.
Promulguée le 2 août dernier, la loi "pour renforcer la prévention en santé au travail" a été présentée par le gouvernement comme une véritable avancée sociale, exemplaire en termes de co-construction et de dialogue. Parce qu’elle transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) "pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail" du 10 décembre 2020. Parce qu’elle émane d’une proposition de loi dont le processus d’élaboration est resté dans une approche d’échanges en continu avec les organisations patronales et syndicales signataires. Parce que la loi institue au niveau de la gouvernance un système voulu comme davantage pluridisciplinaire et paritaire. Parce qu’enfin la loi vise à renforcer la culture de la prévention primaire au sein des entreprises, objectif identifié par les partenaires sociaux dès le plan Santé au travail 2016-2020 et repris dans l’ANI de décembre 2020.
Mais qu’en est-il dans la réalité ? Qu’est-ce que cela change pour les acteurs de l’entreprise ?
Premier constat, la loi, à l’instar de tout texte qui vient modifier des articles du code du travail, est complexe à lire, peu simple pour les services en charge de son application dans les entreprises.
Deuxième constat, l’ANI, accord collectif, dont la loi du 2 août est la transposition, est déjà applicable depuis décembre dernier dans toutes les entreprises dès lors que les employeurs sont adhérents des organisations patronales signataires. Cette précision a son importance puisque cela signifie que les dispositions de la loi reprenant à l’identique celles de l’ANI sont en réalité d’ores et déjà applicables, sans attendre les décrets ultérieurs. Cela concerne, au premier chef, la clarification du droit à la formation santé, sécurité et conditions de travail pour les élus du CSE, sujet pour lequel nous avions pointé les incohérences d’interprétation dès la fin de l’année 2019. La loi a le mérite de lever, une fois pour toutes, les ambiguïtés et de confirmer ce que nous défendions : tous les membres de la délégation du personnel du CSE et de la CSSCT ont droit à une formation SSCT d’une durée minimale de cinq jours pour leur premier mandat de CSE. Pour toutes les autres dispositions, la loi est applicable au 31 mars prochain et c’est donc maintenant qu’il convient, dans les entreprises, de s’y préparer.
Troisième constat, la réforme des services de santé au travail est très diversement accueillie. Il faudra sans doute une vigilance particulière quant au nouveau rôle dévolu aux services de santé au travail, dont les missions sont fortement élargies malgré des moyens constants. En effet, ces missions ne doivent pas être confondues avec les obligations dévolues aux employeurs, ni s’y substituer. Il existe un vrai risque de perte de repères sur les rôles et responsabilités de chacun. Enfin, quatrième constat, s’il y a consensus sur la nécessité de renforcer la culture de prévention primaire au sein des entreprises, la loi n’explicite pas comment atteindre cet objectif.
Nous ne pourrons aborder ici tous les aspects de cette loi. En revanche, partant de ce dernier constat, nous pouvons examiner de plus près quelles dispositions de la loi peuvent permettre de répondre concrètement à cette ambition de renforcement de la culture de prévention primaire.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Parmi les dispositions en faveur d’une meilleure prévention, les modifications les plus concrètes concernent la nouvelle place donnée au document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) et au programme annuel de prévention des risques professionnels et d'amélioration des conditions de travail (Papripact). Outils trop souvent formels jusqu’à présent, exercices obligés et peu consultés, ces deux dispositifs doivent retrouver un caractère opérationnel et structurant dans la démarche de prévention. Ces rouages essentiels au dialogue social sur les conditions de travail ont largement été remis sur le devant de la scène pendant la crise sanitaire. Les entreprises qui avaient une vraie culture de dialogue sur la prévention ont su trouver plus rapidement et plus efficacement des dispositions adaptées à leurs activités et acceptées par les salariés en vue de maîtriser le risque Covid. Elles ont ainsi pu maintenir ou reprendre plus rapidement leurs activités, sans générer des foyers de contamination, ni de conflits avec les salariés. Dans d’autres entreprises, au sein desquelles le dialogue social en matière de prévention - parfois perturbé par la mise en place des CSE et la limitation des réunions physiques - n’a pu jouer son rôle, les tensions sociales, les droits de retrait et les contentieux juridiques ont compliqué la reprise d’activité.
Dispositifs juridiques obligatoires mais formels jusqu’à présent, le DUERP et le Papripact doivent devenir des outils de pilotage concerté de la prévention. Pour l’entreprise, la consultation du CSE sur ces documents est l’occasion de donner de la visibilité à sa politique de prévention, dont la mise en œuvre ne peut plus se résumer à des injonctions. Elle doit, pour être efficace, se traduire par des actions concrètes. Ainsi le programme annuel de prévention devra-t-il désormais comporter la description des ressources mobilisables, un calendrier et des indicateurs de résultat. C’est au travers des échanges, autour des risques identifiés dans les différentes activités de travail et les mesures de prévention concrètes à mettre en œuvre pour y répondre, que peut se développer la culture de la prévention primaire.
La mise à jour du DUERP devant se faire au minimum une fois par an, il nous semble logique, compte tenu de ses liens structurels avec le bilan SSCT et le Papripact, de regrouper la consultation sur la mise à jour annuelle de ces trois documents dans le "bloc" de consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l’emploi. Ce regroupement a du sens pour tous les acteurs de l’entreprise. Il permet d’optimiser l’agenda social et donne au CSE l’occasion de rendre un avis motivé sur l’ensemble de la démarche de prévention en proposant des actions complémentaires dans une logique d’amélioration continue.
Dans le cadre d’un projet impactant les conditions de travail, le DUERP doit également être remis à jour et, donc, faire l’objet d’une consultation. Cela peut être perçu comme redondant avec la consultation prévue sur le projet lui-même (article L.2312-8 du code du travail). Mais une bonne articulation du planning de ces consultations avec les étapes de conception et de mise en œuvre d’un projet permettra à cette consultation d’être parfaitement complémentaire de celle réalisée en amont de la mise en œuvre. L’occasion de faire un état des lieux sur les risques et les apports du projet en termes de conditions de travail mais aussi des difficultés éventuelles de mises en œuvre, avec, là aussi, la possibilité d’identifier et de proposer des améliorations.
Enfin, nous invitons à une vigilance particulière sur l’objectif de traçabilité assigné au DUERP. S’il permet théoriquement de répondre, par une approche plus collective et pragmatique, à la vacance laissée par l’abrogation des fiches pénibilités, en pratique, il peut nécessiter une révision complète de la démarche d’évaluation. En effet, certains DUERP, du fait de la méthode de construction retenue (choix des unités homogène d’exposition, méthode d’évaluation), n’ont actuellement pas un niveau de précision suffisant pour assurer cette traçabilité, en particulier dans le domaine des risques chimiques. Cette révision sera l’occasion de revoir la démarche afin d’évaluer les risques au plus près des situations de travail. Ce qui est, sans aucun doute, le meilleur moyen d’identifier de nouveaux leviers de prévention primaire !
A travers ces dispositions sur le DUERP et le Papripact, la loi du 2 août 2021 donne l’opportunité d’une traduction concrète de la volonté des partenaires sociaux de renforcer la culture de la prévention primaire au sein des entreprises. Mais cela nécessite que les employeurs s’emparent de ces évolutions pour mettre en œuvre une véritable démarche d’amélioration continue de la prévention et des conditions de travail par une concertation renforcée avec les représentants du personnel.
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