La loi sur l'autorégulation du courtage renvoyée à un contrôle de constitutionnalité par le Conseil d’État

08.08.2022

Gestion d'entreprise

Par une décision du 25 juillet 2022, le Conseil d’État sursoit à statuer sur le recours initié par l'association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP) et renvoie au Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, la conformité à la constitution de certaines dispositions législatives issues de la loi du 8 avril 2021, relative à la réforme du courtage.

De quoi s’agit-il ?

Le requérant avait précédemment exercé un recours gracieux devant le Premier ministre aux fins d’abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021, portant modalités d’application de la loi du 8 avril 2021.

Par une décision implicite de refus, le Premier ministre n’a pas donné suite.

L’ANCDGP a donc logiquement saisi la section contentieuse du Conseil d’État d’un recours afin de solliciter l’annulation de la décision implicite de refus du Premier ministre, invoquant que le litige qui l’oppose au Premier ministre nécessitait néanmoins d’interroger préalablement le Conseil constitutionnel par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) concernant la légalité de certains textes de la loi, dont le décret déclinait l’application.

Remarque : il est rappelé que la réforme de la constitution en 2008 a introduit ce dispositif de la question prioritaire de constitutionnalité, en permettant à tout justiciable en litige devant n’importe quelle juridiction de solliciter de la juridiction, la saisine du Conseil constitutionnel, afin que la conformité à la constitution de n’importe quel texte de loi puisse être vérifiée a posteriori de son entrée en vigueur par le Conseil constitutionnel.

Remarque : Le dispositif n’est pas direct, puisque la juridiction saisie du litige doit d’abord examiner le caractère sérieux et nouveau du motif, pour transmettre ensuite sa décision à la Cour de cassation ou au Conseil d’État (en fonction de l’ordre juridictionnel concerné), qui eux-mêmes examinent la recevabilité de la QPC avant de la transmettre (ou pas) au Conseil constitutionnel.

Remarque : S’il est saisi, le Conseil constitutionnel a, quant à lui, 3 mois pour trancher la question. Si le Conseil constitutionnel estime que le texte de loi est non conforme à la constitution, le texte est abrogé.

En l’espèce, l’examen de la décision du 25 juillet 2022 n’apporte pas beaucoup d’informations sur les motifs retenus par le Conseil d’État afin de juger « sérieux » les griefs présentés par le requérant.

Le Conseil d’État se contente de les reprendre en les qualifiant de sérieux.

Ont été jugés sérieux les deux griefs présentés ci-dessous.

Les dispositions de l’article L. 513-3 du code des assurances et son pendant L. 519-11 du code monétaire et financier porteraient atteinte au principe d’égalité devant la loi

Le Conseil d’État juge sérieux l’argument du requérant aux termes duquel, ces textes pourraient porter atteinte aux droits et libertés garanties par la constitution, notamment le principe d’égalité devant la loi, la liberté d’entreprendre et la liberté d’association.

Les requérants contestent qu’il soit fait obligation aux courtiers d’assurances et à leurs mandataires d’adhérer obligatoirement à une association professionnelle agréée, alors même que d’autres professions réglementées délivrant les mêmes services n’y sont pas assujetties, à l’instar des agents généraux d’assurance, des établissements de crédit, des sociétés de financement, des établissements de paiement, des intermédiaires en financements participatifs, des mandataires des établissements de crédit ou des assureurs.

Force est néanmoins de constater que les mandataires d’assureurs ou d’établissements de crédit et les agents généraux agissent comme « préposés de leurs commettants », et que dans ce contexte, leur statut et le cadre légal de leur exercice sont différents.

Les dispositions légales, notamment celles relatives à la directive « Solvabilité II », instaure de facto des contrôles assez drastiques de leurs activités par leurs mandantes.

Les mandataires d’assureurs et les agents généraux font l’objet d’une surveillance accrue de leurs mandantes, voire exercent sous la totale dépendance de leurs mandantes.

On ne peut donc pas comparer la délivrance de leurs services aux services rendus par les courtiers qui agissent sur le mandat de leurs clients dans des conditions totalement libres.

Pour ce qui concerne les autres catégories exonérées, force est de constater que l’essentiel d’entre elles est agréé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et non immatriculées.

Ces entités exercent sous le contrôle permanent du régulateur avec l’obligation pour elles de reporter très régulièrement sur leur activité.

Le dispositif d’autorégulation ne s’inscrit donc pas de façon discriminante et n’introduit pas pour les professionnels du courtage d’assurances et du courtage en opérations de banque une discrimination dans l’exercice de leur métier, mais permet d’introduire, afin de protéger les consommateurs et de professionnaliser ces professions, une meilleure approche et un meilleur lien avec les autorités, afin d’assurer le respect des obligations impératives que le code des assurances ou le code monétaire et financier leur impose pour l’exercice de leur métier.

Les associations professionnelles sont principalement investies de missions pédagogiques et d’accompagnement, destinées à permettre à ces professionnels isolés de pouvoir mieux appréhender les problématiques réglementaires auxquelles ils sont confrontés.

Ainsi, l’argument tiré du fait que les prestations de services rendues par les professionnels exonérés seraient réalisées dans des conditions identiques à celles rendues par les professionnels assujettis et instaureraient du fait du dispositif d’autorégulation des courtiers, une situation d’inégalité de traitement devant la loi, est selon nous inexact en fait, comme en droit.

Les statuts sont différents, les modalités d’exercice peuvent être différentes.

Les dispositions sur les pouvoirs de sanction seraient de nature à porter atteinte aux droits et libertés garanties par la constitution, notamment au principe d’indépendance et d’impartialité

Dans les mêmes conditions, c’est-à-dire sans commenter plus avant le grief allégué par le requérant, le Conseil d’État juge sérieux le grief aux termes duquel les pouvoirs de sanction donnés aux associations (C. assur., art. L. 513-5, II et L. 513-6 ; C. mon. fin., art. L. 519-13, II et L. 519-14) seraient de nature à porter atteinte au principe de la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement.

Le requérant évoque également une atteinte au principe non bis in idem, en regard de mêmes pouvoirs déjà impartis à l’ACPR, ainsi qu’une atteinte au principe de légalité des délits et des peines.

Le dispositif d’autorégulation s’est inspiré d’autres dispositifs, tels que ceux mis en œuvre pour les ordres professionnels ou les associations professionnelles de conseil en investissements financiers, agissant en corégulation avec l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Le texte de loi comme son décret d’application prévoient que la structure disciplinaire de l’association professionnelle est présidée par une personne tierce recrutée pour ses compétences, mais dont l’indépendance à l’égard de la profession et des membres est contrôlée en amont de la nomination.

Il est également prévu que les membres participants à la commission disciplinaire soient tenus d’effectuer une déclaration d’indépendance préalable, permettant ainsi à la personne convoquée de pouvoir éradiquer tout risque éventuel de conflit d’intérêts.

Les membres de la commission disciplinaire ne peuvent pas non plus être les « vérificateurs » engagés par les associations professionnelles pour procéder aux opérations de vérification.

Il n’apparaît donc pas que le dispositif ait conçu une organisation portant atteinte au principe d’indépendance des fonctions de jugement par rapport aux fonctions d’instruction.

Le pouvoir de sanction qui est conféré aux associations professionnelles par leurs statuts ne semble pas non plus être identique au pouvoir de sanction conféré à l’ACPR.

L’ACPR statue sur le fondement des lois et règlements et applique les règles du code monétaire et financier, quand les associations sont tenues par leurs statuts et rien d’autre.

En l’état actuel des textes, il n’est donc pas possible de considérer que les pouvoirs conférés aux associations sont identiques aux pouvoirs conférés à ceux de l’ACPR, et heureusement, l’ACPR pouvant prendre des mesures de police, prononcer des interdictions professionnelles ou infliger des amendes…

Il conviendra néanmoins d’étudier avec attention les incidences que pourrait avoir l’exclusion d’un membre d’une association professionnelle sur l’exercice de son activité.

À notre sens, en effet, c’est à l’occasion d’un litige initié par un membre exclu d’une association que la question éventuelle de la conformité à la constitution sur cette problématique des pouvoirs de sanction de l’association pourra être étudiée.

En l’état, les textes ne mettent pas en évidence cette problématique.

Le Conseil constitutionnel devrait rendre sa décision entre la fin du mois de septembre et la mi-octobre 2022, puisque le greffe du Conseil constitutionnel indique que les mémoires et interventions devront être notifiées au plus tard le 16 août 2022, le Conseil se réunissant dans le mois qui suit, et la décision étant rendue dans le mois suivant.

Une décision qui fragilise un dispositif en place et vertueux…

Cette séquence intervient à un moment crucial de la mise en place du dispositif d’autorégulation.

La mise en œuvre opérationnelle des associations a été difficile. Le dispositif a déjà dû être décalé pour n’être réellement effectif qu’au prochain renouvellement 2023.

Sept associations professionnelles ont été agréées par l’ACPR, mais la réalité à ce jour met en évidence que bon nombre d’entre elles ne sont pas encore totalement opérationnelles et doivent investir des moyens importants.

La décision du Conseil d’État fragilise nécessairement les associations en place, si ce n’est le dispositif dans son ensemble, ce qui est regrettable, particulièrement si le Conseil constitutionnel était amené à suivre le raisonnement et juger de la non-conformité à la constitution des textes fondateurs du dispositif, les articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier.

En effet, si l’on considère qu’il y a inégalité de traitement devant la loi à obliger les courtiers d’assurances et les courtiers en opérations de banque, ainsi que leurs mandataires à adhérer à une association professionnelle d’autorégulation, soit le dispositif devra être abandonné, soit il devra être généralisé. Dans les deux cas, le dispositif actuel abrogé mettra un certain temps à revoir le jour.

En revanche, l’abrogation du texte relatif au pouvoir de sanction n’aurait pas beaucoup d’incidence sur la pérennité du dispositif, puisqu’il aurait comme conséquence de limiter les pouvoirs des associations professionnelles, sans leur donner la possibilité d’exclure les membres au regard des opérations de vérification.

Cela ne poserait pas beaucoup de difficultés, puisque tel est bien l’esprit de la loi que d’avoir confié une mission principale pédagogique aux associations pour assister les membres et les aider à exercer leur métier dans des conditions conformes, dans l’intérêt bien compris des consommateurs clients qui ont besoin d’être correctement renseignés et accompagnés dans l’acquisition de produits d’assurance et bancaires.

Isabelle Monin-Lafin, Astrée Avocats

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