La médiation : le choix d’Air France et de la Caisse des dépôts

La médiation : le choix d’Air France et de la Caisse des dépôts

02.12.2021

Gestion d'entreprise

Depuis 2018, en cas de litiges, les deux groupes cherchent avant tout à dialoguer. Bonnes pratiques partagées à l’occasion du Campus AFJE 2021.

En 2020, le coût moyen d’une médiation pour un litige inférieur à 150 000 euros est de 8 000 euros et elle occupe en moyenne pendant 10 heures une équipe juridique. Ces données chiffrées présentées par le Centre de médiation et d’arbitrage de Paris, dans son baromètre de la médiation réalisé sur l’année 2020, ont de quoi convaincre. Face à une « justice malade », trop lente et onéreuse notamment en frais d’avocats, qui présente aussi des aléas, les directions juridiques se tournent vers les modes alternatifs de règlement des différends. Deux témoignages ont été livrés lors du Campus AFJE le 26 novembre dernier.

Depuis 2018, la Caisse des dépôts et Air France tentent de recourir autant qu’elles le peuvent à la médiation conventionnelle. « Un processus coopératif » dans lequel un tiers, le « facilitateur » « qui n’est pas un expert de la matière », aide les parties à trouver un accord au conflit qui les oppose, précise Sarah Kreplak-Durand, responsable du département contentieux, règlement amiable et consignations du groupe Caisse des dépôts. La démarche permet « d’élargir le périmètre des solutions » envisageables et de ne pas se laisser « enfermer dans les demandes formulées » devant une éventuelle juridiction.

Petits litiges

La loi l’encourage grandement en cas de litiges inférieurs à 5 000 euros. Depuis la promulgation de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice - et son décret d’application du 11 décembre 2019 - l’article 750-1 du code de procédure civile précise qu’une demande en justice doit être précédée, à peine d’irrecevabilité, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative.

La médiation judiciaire, après saisine d’un juge, est aussi poussée, notamment depuis l’apparition de la crise sanitaire et le premier confinement. Le fonctionnement au ralenti de la justice a accentué le phénomène d’engorgement des tribunaux déjà constaté. « De plus en plus de permanences de médiateurs » sont proposées au sein des tribunaux, évoque Sarah Kreplak-Durand. Cela permet « aux parties, tout de suite après l’audience », de rencontrer un tiers pour faire une tentative. Et « la médiation suspend la prescription », ajoute-t-elle.

« On ne pouvait pas laisser cette conflictualité judiciaire se développer »

C’est une autre loi, la loi dite Macron du 6 août 2015, ayant ouvert la médiation conventionnelle aux litiges qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat de travail, qui a donné des idées à la direction juridique sociale du groupe Air France. Un service rattaché à la DRH centrale qui ne traite pas des sujets corporate ou de droit des affaires. En 2018, après l’embauche d’une doctorante en droit qui préparait une thèse sur le marché de la médiation, la direction juridique sociale a décidé de proposer quasi systématiquement une médiation conventionnelle à ses salariés. Les litiges opposant le groupe à ses employés ont majoritairement attrait à l’exécution des contrats de travail bien plus qu’à leur rupture. Le turn-over est faible chez Air France, mais le groupe, premier employeur en Ile-de-France se retrouvait très fréquemment devant les conseils de prud’hommes ou les juridictions, raconte Franck Raimbault, le directeur juridique social. « On ne pouvait pas laisser cette conflictualité judiciaire se développer », souligne-t-il. Notamment parce qu’elle « coûtait deux fois plus chère en honoraires d’avocats qu’en condamnations », précise Franck Raimbault.

Pour faire connaître la médiation, la direction rédige alors une charte sur le sujet avec la doctorante. Six médiateurs sont également sélectionnés par Air France pour travailler sur les litiges sociaux (il s'agit d’anciens avocats, magistrats, contrôleurs du travail ou encore des psychologues). Ces informations sont ensuite communiquées en interne, via l’intranet du groupe. Un onglet de ce site permet alors à chaque salarié d’exprimer une demande de médiation auprès de la direction juridique sociale d’Air France, en remplissant un formulaire type et en sélectionnant le médiateur choisi. Le médiateur prend ensuite contact avec le salarié pour organiser un premier rendez-vous. Il rencontre, dans un second temps, l’équipe juridique avant qu’une réunion plénière se déroule. « En général c’est suffisant pour savoir si nous avons la possibilité de résoudre ou non ce litige par la voie de la médiation », assure Franck Raimbault.  

Des honoraires d’avocats divisés par dix !

« Le bilan est plus que positif », avance Franck Raimbault. « Nous acceptons 95 % des demandes qui nous sont faites ». Et huit médiations sur dix aboutissent à un accord. La démarche permet aussi des économies de charges. En interne, la médiation représente « quatre fois moins de temps de travail pour l’équipe juridique qu’un dossier plaidé devant le tribunal ». Franck Raimbault comptabilise aussi « dix fois moins d’honoraires d’avocats ». En moyenne, une médiation reviendrait à 2500 euros hors taxe. Tandis qu’un même dossier traité avec l’aide d’un avocat grimperait à 25 000 euros hors taxe. Ces statistiques ont été réalisées sur une vingtaine de médiations qui se sont déroulées sur une année. « C’est une solution très économique » qui a « amélioré l’image d’Air France auprès des juges », conclut-il.

Communiquer et sensibiliser

La Caisse des dépôts a aussi choisi de communiquer sur la médiation. Un groupe de travail composé de juristes a rédigé « un kit de présentation » de la démarche et mené des « actions de sensibilisation auprès des opérationnels dans les différentes directions du groupe ainsi que dans ses filiales », raconte Sarah Kreplak-Durand. La Caisse des dépôts doit faire face à « un contentieux assez diversifié dans des matières différentes (droit bancaire, droit des affaires, droit commercial, entreprises en difficultés, etc.). Il bénéficie d’un médiateur institutionnel ayant « vocation à résoudre les litiges entre la Caisse des dépôts et les usagers de ses services ».

Des clauses de médiations sont « dans la mesure du possible » proposées dans le cadre d’une nouvelle relation contractuelle. Le service de Sarah Kreplak-Durand tente aussi « d’accepter la médiation judiciaire à partir du moment où un dossier s’y prête ». « Sauf en cas de fraude ou sur des aspects pénaux », ajoute-t-elle.

L’équipe recueille des données pour se constituer de la « data » sur ce mode alternatif de règlement des conflits. L’objectif est de prendre du « recul » : de savoir dans quels cas ça marche et dans quels cas cela ne fonctionne pas… Le travail est toujours en cours mais, pour l’instant, la statistique se situerait autour de 50 %, livre Sarah Kreplak-Durand. Il y aurait donc autant de réussites que d’échecs.

 

Sophie Bridier

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