La ministre du travail présente un projet de loi sur l'emploi des seniors "fidèle" à l'accord des partenaires sociaux

La ministre du travail présente un projet de loi sur l'emploi des seniors "fidèle" à l'accord des partenaires sociaux

11.05.2025

Gestion du personnel

Le projet de loi transposant les trois accords nationaux interprofessionnels sur l'emploi des seniors, l'assurance chômage et les parcours syndicaux a été présenté, mercredi 7 mai, en Conseil des ministres. L'occasion pour la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, d'insister sur les enjeux du texte dont l'examen débutera au Parlement le 5 juin.

Un changement sémantique peut-il suffire à insuffler une nouvelle impulsion à un sujet qui patine depuis tant d'année, l'emploi des salariés seniors ? Alors qu'en 2003, les branches et les entreprises devaient négocier sur "les salariés âgés", il s'agit désormais d'évoquer "les salariés expérimentés en considération de leur âge" (cette dernière partie d'expression ayant été ajoutée à la demande du Conseil d'Etat dans son avis sur le projet de loi). C'est en tous les cas bel et bien l'ambition de la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet.

A l'issue du Conseil des ministres, mercredi 5 mai, la ministre est venue présenter à la presse le projet de loi qui transpose - "fidèlement" selon ses mots - les accords nationaux interprofessionnels portant sur l'emploi des seniors, les parcours syndicaux et l'assurance chômage. "Ils ont tous pour point commun d’être le fruit du dialogue social qui a pu aboutir avec responsabilité à du compromis sur des sujets que l’on peut qualifier sans trop s’avancer de « clivants » ", s'est félicitée la ministre.

Emploi des seniors

Ce texte est l'une des briques de l'offensive politique en faveur de l'emploi des seniors. "Ce projet de loi s’inscrit parfaitement dans la grande initiative Emploi des 50+ que j’ai lancée mardi dernier [le 29 avril] pour une mobilisation générale en faveur de l’emploi des travailleurs expérimentés", a déclaré la ministre qui s'est donnée trois objectifs : "changer la loi, changer les regards et changer les pratiques". Plusieurs leviers juridiques sont en effet mobilisés dans le texte. 

Il s'agit en premier lieu de renforcer le dialogue social sur le sujet alors que plus aucune obligation sur le sujet n'existait depuis les ordonnances de 2017 qui ont supprimé le contrat de génération, contrat qui avait supplanté les obligations de négocier en 2013.

Obligation de négocier dans les branches (article 1)

Les branches professionnelles devront - de nouveau - négocier sur ce sujet, de manière spécifique. Le projet de loi prévoit ainsi - en respectant le triptyque ordre public, champ conventionnel et dispositions supplétives qui existe depuis la loi Travail de 2016 :

  • une obligation d’ordre public de négocier au moins une fois tous les quatre ans sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés dans les branches professionnelles après établissement d'un diagnostic ;
  • la possibilité pour les branches de définir la périodicité et le contenu de cette négociation dans le respect des dispositions d’ordre public ;
  • et, à défaut d’accord, une négociation qui devra se tenir tous les trois ans.

L’accord de branche pourra comporter un plan d’action type pour les entreprises de moins de 300 salariés. Si aucun accord n'est conclu, l’employeur pourra l’appliquer au moyen d’un document unilatéral après avoir informé et consulté le CSE ainsi que les salariés, "par tous moyens".

La négociation devra porter sur (sauf dispositions conventionnelles spécifiques) :

  1. le recrutement de ces salariés ;
  2. leur maintien dans l’emploi ;
  3. l’aménagement des fins de carrière, en particulier les modalités d’accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel ;
  4. la transmission de leurs savoirs et compétences, en particulier les missions de mentorat, de tutorat et de mécénat de compétences.

D'autres sujets pourront y être ajoutés : 

  1. le développement des compétences et l’accès à la formation ;
  2. les impacts des transformations technologiques et environnementales sur les métiers ;
  3. les modalités d’écoute, d’accompagnement et d’encadrement de ces salariés ;
  4. la santé au travail et la prévention des risques professionnels ;
  5. l’organisation et les conditions de travail. 

► A noter : les informations nécessaires à la négociation sont déterminées par décret. Le décret pourra également préciser la teneur du diagnostic préalable, indique l'étude d'impact.

Négociation dans l'entreprise (article 2)

Les entreprises ne sont pas en reste. Là encore, elles devront négocier au moins une fois tous les quatre ans (ordre public), pour les entreprises d’au moins 300 salariés, sur l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés, sauf accord de méthode fixant une périodicité différente (champ conventionnel). A défaut, la négociation devra être engagée tous les trois ans (dispositions supplétives). La négociation sur les salariés expérimentés devient ainsi une négociation à part entière, distincte de celle sur la gestion des emplois, des parcours professionnels (GEPP) et sur la mixité des métiers.

► Le projet de loi supprime ainsi les références (7e alinéa de l’article L 2242-21 du code du travail) permettant jusqu’à présenter de traiter éventuellement, dans la négociation GEPP de l'emploi des seniors.

La négociation devra là encore être précédée d'un diagnostic. Elle devra porter sur les mêmes items que ceux de la négociation de branche (sauf accord de méthode conclu).

► Pour les entreprises ayant conclu un accord sur les salariés expérimentés, les stipulations de leurs accords ayant le même objet primeront sur celles prévues par l’accord de branche.

Ce thème "était jusqu’à présent noyé dans la négociation globale sur la gestion des emplois et des parcours professionnels en entreprise (GEPP) pour les entreprises de plus de 300 salariés", insiste Astrid Panosyan-Bouvet. L'étude d'impact rappelle en effet que "jusqu'à présent la négociation ne vise que « l’emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences » ainsi que « l'amélioration des conditions de travail des salariés âgés ». Ces thématiques très générales ne permettent pas aux partenaires sociaux d’envisager l’ensemble très vaste des sous-thèmes que constitue une négociation sur les salariés expérimentés. De plus, dès lors qu’elle fait partie des thèmes de négociation supplétifs, elle peut être écartée, par un accord de méthode, par les partenaires sociaux. Ainsi, du fait de l’absence d’obligation de négocier, une minorité d’entreprises négocient sur l’emploi des seniors".

Dispositifs de mi-carrière (article 3)

Le projet de loi renforce ensuite les dispositifs dits de mi-carrière. La loi du 2 aout 2021 a créé une visite médicale de mi-carrière. Le projet de loi prévoit de mieux lier la visite médicale de mi carrière du salarié avec l’entretien professionnel, afin que celui-ci constitue un bilan incluant les aspects relatifs aux préconisations du médecin du travail, ses compétences, ses qualifications, sa formation, ses souhaits de mobilité, aux actions de prévention de la désinsertion et de l’usure professionnelles.

L'entretien doit être organisé au plus tard dans les deux mois qui suivent la visite médicale de mi-carrière. L'entretien doit également permettre d'aborder les mesures proposées, le cas échéant, par le médecin du travail.

Pour préparer cet entretien, le salarié peut bénéficier de l’appui d’un conseiller en évolution professionnelle. A l’issue de l’entretien, un document est rédigé dont une copie doit être remise au salarié ; ce document récapitule sous forme de bilan l’ensemble des éléments abordés.

Un second rendez-vous est organisé dans les deux années qui précèdent le 60e anniversaire du salarié. 

Création d'un CDI senior expérimental (article 4)

Le projet de loi entérine la création d'un contrat de valorisation de l'expérience, à titre expérimental pour une durée de cinq ans.

Ce CDI, est ouvert aux demandeurs d’emploi inscrits à France Travail d’au moins 60 ans, ou dès 57 ans si un accord de branche le prévoit.

La mise à retraite ne peut être envisagée que lorsque le salarié a atteint l’âge légal de départ et qu’il remplit les conditions de liquidation à taux plein.

Le salarié ne devra pas avoir été employé au sein de l'entreprise ou au sein d’une entreprise appartenant au même groupe, au cours des six mois précédents.

Les missions devant être exercées dans le cadre de ce contrat peuvent être précisées par convention ou accord de branche étendu.

Lors de la signature du contrat, le salarié devra remettre à l’employeur un document, transmis par la Cnav mentionnant la date prévisionnelle à laquelle il justifiera, le cas échéant, des conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein. En cas de réévaluation ultérieure de cette date, le salarié devra en informe son employeur et lui transmet une version mise à jour de ce même document.

Lors de la mise à la retraite, l’employeur sera exonéré de la contribution patronale spécifique de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite pendant une période de trois ans à compter du jour suivant la promulgation de la loi.

Passage à temps partiel (articles 5 et 6)

Le projet de loi renforce l’encadrement des motifs de refus de l’employeur saisi d’une demande de passage à temps partiel ou à temps réduit dans le cadre de la retraite progressive. Ainsi, précise le texte, "la justification apportée par l’employeur rend notamment compte des conséquences de la réduction de la durée de travail sollicitée sur la continuité de l’activité de l’entreprise ou du service ainsi que, si elles impliquent un recrutement, des tensions pour y procéder sur le poste concerné".

L'étude d'impact précise que "depuis la LFRSS pour 2023, l’employeur ne [peut] s’opposer à une telle demande que si la durée de travail souhaitée par le salarié qui en fait la demande est incompatible avec l’activité économique de l’entreprise. Toutefois les partenaires sociaux ont souhaité préciser que la justification apportée par l’employeur pour ce motif doit tenir compte, notamment, de l’impact du passage à temps partiel sur la continuité d’activité de l’entreprise ou du service concerné et des tensions de recrutement objectives sur le poste concerné".

► La ministre du travail a souligné une autre modification de taille prévue par l'ANI de 2024, l'ouverture de la retrait progressive dès 60 ans, "même si elle ne figure pas dans ce projet de loi parce qu’elle ne nécessite pas de transposition législative".

Le texte prévoit un autre dispositif facilitant le passage à temps partiel pour le salarié senior. Une base légale est ainsi donnée à la possibilité de négocier un accord prévoyant les modalités d’affectation de l’indemnité de départ à la retraite au maintien total ou partiel de la rémunération. Sans préjudice du dispositif de retraite progressive, l’accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche pourra ainsi permettre au salarié de passer à temps partiel, une fois arrivé en fin de carrière. Si le montant de l’indemnité de départ qui aurait été due au moment où il fait valoir ses droits à retraite est supérieur au montant des sommes affectées à son maintien de rémunération, le reliquat sera versé au salarié.

Sécuriser le cumul emploi-retraite (article 7)

Enfin, les dispositions sur la mise à la retraite pourront bien être appliquées pour le recrutement d’un salarié qui a déjà atteint l’âge de la retraite à taux plein. Afin de clarifier le dispositif du cumul emploi-retraite, le salarié retraité, recruté en CDI, se verra appliquer l’ensemble des règles de droit commun relatives à la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés
Transitions et reconversions professionnelles (article 10)

Un dernier article du projet de loi concerne les transitions professionnelles. Il prévoit ainsi "une habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance afin de faciliter le recours aux transitions professionnelles, qu’elles soient internes ou externes à l’entreprise, et de réformer les dispositifs existants en la matière, afin de les rendre plus incitatifs et plus lisibles pour les actifs, comme pour les employeurs". Comme le précise le Conseil d'Etat dans son avis, "le recours à une habilitation législative permettra au gouvernement de prendre, y compris en cas d’échec des négociations, les dispositions qu’il estime nécessaires en matière de facilitation des transitions professionnelles".

Rappelons en effet que va s'ouvrir dans les jours qui viennent une négociation afin de remettre à plat les différents dispositifs de transition professionnelle existants.

Fin de la limitation des mandats syndicaux successifs (article 8)

Le projet de loi prévoit également de supprimer la limitation à trois du nombre de mandats successifs qu'un membre du CSE peut accomplir. Jusqu'à présent, cette règle s'impose à toutes les entreprises d'au moins 300 salariés, mais les entreprises de 50 à 299 peuvent y déroger en l'indiquant expressément dans le protocole d'accord préélectoral, la règle ne s'appliquant pas aux CSE des entreprises de moins de 50 salariés. 

Le texte modifie donc l'article L.2314-33 du code du travail en le réduisant à sa plus simple expression. Les alinéas 2 ,3, 4, 5 et 7 sont supprimés, de même que l'article R.2314-26 qui n'a plus lieu d'être. Ce changement ne suscite aucun commentaire dans l'avis définitif du Conseil d'Etat car ses observations antérieures ont été reprises par le gouvernement.

A la lecture de l'étude d'impact, cette mesure ne semble présenter que des inconvénients : cette limitation "peut avoir potentiellement pour effet d'affaiblir la représentation des salariés, en limitant la transmission des compétences et en réduisant l'implication des élus expérimentés", conclut notamment le document.

A l'inverse, l'étude d'impact énumère tous les avantages liés à la suppression de cette limite.

La fin de cette limite permet : 

  • "d'assurer une représentation des salariés de l'entreprise au CSE dans un contexte de diminution des engagements syndicaux chez les jeunes salariés" ;
  • "de permettre la valorisation des parcours syndicaux des salariés par une expérience et des compétences acquises à travers un temps long de la représentation du personnel" ;
  • "d'assurer le renouvellement des élus du CSE par la transmission des savoir-faire au sein du CSE" : 
  • "aura un impact favorable dans les entreprises. La mesure limitera potentiellement les carences aux élections professionnelles, faute de présentation de candidats du fait de la limitation du nombre de mandats" ;
  • "dans les entreprises, pourront être mis en place des "mentorats" entre les élus au CSE et les jeunes salariés souhaitant s'investir dans le dialogue social de leur entreprise"
Assurance chômage (article 9)

Dernier ANI transposé, celui sur l'assurance chômage. Si une grande partie des stipulations de l’accord de novembre est entrée en vigueur le 1er avril, il fallait une dernière disposition législative pour réduire les conditions d’activité requises pour les primo-affiliés à l’assurance chômage. C’est ce que prévoit le texte.

Le projet de loi donne ainsi une base légale à une mesure de la convention relative à l’assurance chômage du 15 novembre 2024 prévoyant une condition spécifique d’affiliation à l’assurance chômage pour les primo-entrants, définis comme les salariés privés d’emploi ne justifiant pas d’une admission au titre de l’allocation d’aide au retour à l’emploi dans les 20 années précédant leur inscription comme demandeur d’emploi. Cette mesure avait été exclue de l’agrément du 19 décembre 2024 car elle était dépourvue de base légale.

Florence Mehrez avec Bernard Domergue
Vous aimerez aussi