En l’espèce, la directrice générale de deux sociétés qui exercent une activité d’agent immobilier s’est vue confier par chacune d’elles un mandat d’agent commercial de prospection et de transaction de vente d’appartements, maisons et terrains. Les contrats ont été signés par le dirigeant de la société-mère unique associée des deux entreprises et par la directrice générale.
Cette dernière a ensuite constitué une autre société dont elle est la gérante. Quelques années plus tard, cette société a émis dix factures de commissions sur des ventes ou locations à l’égard des deux entreprises mandantes. Contestant ces factures, ces entreprises ont révoqué la directrice générale et obtenu en référé l'autorisation de pratiquer des saisies conservatoires sur les biens et avoirs de la société dont elle est gérante.
La société de la commerciale a alors assigné les deux entreprises aux fins de mainlevées des saisies pratiquées. La cour d’appel ayant fait droit à sa demande, celles-ci ont formé un pourvoi en cassation qui est ici rejeté. Pour les Hauts magistrats, le mandataire peut valablement se substituer une personne morale à deux conditions :
- que le contrat d’agent commercial permette la substitution de mandataire ;
- et que la personne morale détienne la carte d’agent immobilier.
L’agent commercial immobilier personne physique peut se substituer une personne morale…
L’article 9 du décret du 20 juillet 1972 permet à l’agent immobilier d’habiliter toute « personne physique », y compris un agent commercial, à négocier, s’entremettre ou s’engager pour son compte.
Avec la décision du 3 février 2021, confier un mandat d’agent commercial directement à une personne morale reste prohibé comme contraire aux dispositions d’ordre public de l’article 9 du décret Hoguet, mais la substitution d’une personne morale à l’agent commercial personne physique ne l’est pas, elle est seulement encadrée par la Cour de cassation.
Remarque : la substitution n’est pas une cession de créances ni une cession de contrat. Elle permet de substituer un tiers au signataire initial du contrat. La Cour de cassation juge que le fait de se substituer un tiers ne constitue pas une cession de créances et n’emporte pas obligation d’accomplir les formalités de l’article 1690 du code civil » (
Cass. 3e civ., 12 avr. 2012, n° 11-14.279, n° 418 P + B + I).
...si le contrat d'agent commercial permet la substitution du mandataire...
L’article 1994 du code civil prévoit que le mandataire puisse recourir à un sous-mandat, sauf si la loi ou la convention s’y oppose, puisqu’il dispose que « le mandataire répond de celui qu'il s'est substitué dans la gestion ». De même, l’article L. 134-1 du code de commerce précise que l’agent commercial agit au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants « ou d'autres agents commerciaux ». En l’espèce, la faculté de substitution était ouverte dans la mesure où dès le début, les contrats désignaient la mandataire comme étant la directrice générale personne physique « ou toute autre société ultérieurement créée la représentant dans cette activité ».
Mais les entreprises déboutées en appel faisaient valoir que chaque mandat stipulait que « le présent contrat étant conclu intuitu personae, l’agent commercial s’interdit de céder ou de transférer (…) les droits et obligations en résultant sans l’accord exprès, préalable et écrit du mandant ». Leur argument ne tient pas. D'une part, la substitution n'est pas une cession ni un transfert de contrat. D'autre part, l’intuitu personae du mandat, c’est-à-dire le fait qu’il soit conclu en considération de la personne du mandataire, était ici respecté puisque la substitution de mandataire s’est effectuée avec l’accord du dirigeant de la société-mère unique associée comme représentant des deux entreprises mandantes.
Néanmoins, les Hauts magistrats subordonnent également cette faculté de substitution à la condition que la personne morale substituée soit agent immobilier.
…et si le substitué détient la carte professionnelle d’agent immobilier
La société que l’agent commercial avait constituée et s'était substituée dans l'exécution des deux contrats détenait la carte d'agent immobilier et les juges ont relevé qu'elle exerçait effectivement l'activité d'agent immobilier.
En effet, les factures d’honoraires et de commissions en cause correspondaient à des rétrocessions d’honoraires issues de ce qui avait été facturé directement aux clients acquéreurs. D’où le caractère d’opérations non d’agent commercial mais d’opérations entrant dans le cadre d’une activité licite d’agent immobilier.
Les factures d'honoraires et de commissions émises par la personne morale à l'égard des deux entreprises mandantes, qui correspondaient à des prestations accomplies, étaient donc valables. Dès lors, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’en avoir déduit que les créances alléguées par les deux entreprises mandantes n'étaient pas justifiées et que la mainlevée des saisies conservatoires devait être ordonnée.
Au final, si la substitution d’une personne morale à l’agent commercial personne physique est ainsi admise dans le secteur immobilier, c’est à la double condition que le mandant l’ait expressément autorisée et que la personne morale ne remplisse pas la mission d’un agent commercial mais accomplisse des prestations d’agent immobilier. Il reste que l'étendue des pouvoirs dont l'agent commercial justifie par l'attestation d'habilitation prévue à l'article 4 de la loi
Hoguet du 2 janvier 1970 est moins large que celle de la personne morale agent immobilier qu'il se substitue. En tout état de cause, les rédacteurs de contrat d'agence commerciale doivent se montrer des plus vigilants et bien cerner la volonté des parties initiales au mandat (v. l'ouvrage publié par les Éditions Législatives "
Agent commercial immobilier - Sécuriser les relations entre mandataire et agence immobilière").