La prérogative d’exercice comptable se dirige-t-elle vers une impasse ?

La prérogative d’exercice comptable se dirige-t-elle vers une impasse ?

16.03.2017

Gestion d'entreprise

Les logiciels participent notamment à la tenue des comptes des entreprises, une activité que certains considèrent comme faisant partie de la prérogative d’exercice. Mais attaquer leurs éditeurs pour exercice illégal de la profession d’expert-comptable ferait peser des risques énormes à différentes parties prenantes...

"C’est politique". C’est la réponse que nous ont fait plusieurs experts-comptables à la question suivante : pourquoi les éditeurs de logiciels de comptabilité, tels que Cegid, Intuit, Sage ou EBP, ne sont-ils pas attaqués en justice pour exercice illégal de la profession d’expert-comptable ?

Deux poids deux mesures ?

Pourquoi poser une telle question ? Pour deux raisons. Premièrement, parce que certains considèrent que l’exercice illégal commence dès la saisie des écritures. C’est la thèse défendue par le département juridique du CSOEC et par l’avocat Jacques Grange dans un article publié dans le numéro d’octobre 2015 de Sic, une revue éditée par ce même CSOEC — nous rappelons que nous ne partageons pas forcément cette analyse car, selon nous, la jurisprudence reste confuse à ce sujet. Or, selon le Larousse, la saisie informatique n’est pas exclusivement manuelle : il s’agit de l’enregistrement d’une information en vue de son traitement ou de sa mémorisation dans un système informatique. Les logiciels peuvent donc être considérés comme des teneurs de comptes en ce sens qu'ils interviennent dans la génération automatique d'écritures.

La deuxième raison de notre interrogation renvoie à la question suivante : y-a-t-il deux poids deux mesures sur ce sujet ? En effet, comment comprendre que des acteurs du numérique ne sont pas accusés d'exercice illégal de la profession d’expert-comptable alors que certains prestataires, qui ne sont ni des éditeurs de logiciels ni des experts-comptables ni des AGC, sont traînés en justice sur ce terrain-là ?

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Question d’image

Une première piste de réponse renvoie au capital essentiel de l’expert-comptable : son image de marque. Quel serait le ressenti du public si l’Ordre des experts-comptables attaquait en justice des éditeurs de logiciels pour exercice illégal ? Il y a fort à parier que les entrepreneurs, voire même les particuliers, considèrent la profession comptable comme s’opposant au progrès technique. Une situation guère envisageable de ce point de vue-là.

Blocage du secteur

D’autres pistes d’explication peuvent être explorées. Ainsi, si un éditeur de logiciel se faisait condamner sur ce terrain-là, cela pourrait bloquer partiellement, voire totalement, le secteur. Car qui peut imaginer que les cabinets comptables puissent travailler sans logiciel de comptabilité ? Le sujet concerne même d’autres programmes informatiques : ceux qui alimentent, parfois intégralement, des écritures. Exemple type, la mémorisation d’une vente dans un logiciel métier lequel va ensuite générer automatiquement l’écriture correspondante dans le journal enregistré par le logiciel comptable.

Risque de complicité d’exercice illégal

Il se pose également la question du risque juridique qui pèserait sur les experts-comptables eux-mêmes. En effet, si un éditeur de logiciel était accusé d'exercice illégal, les cabinets qui l’utilisent pourraient être — théoriquement — attaqués en justice pour complicité d’exercice illégal. Rappelons qu’en 2011, la Cour de cassation avait PDF iconconfirmé un jugement d’appel sur ce terrain-là. Il s’agissait dans cette affaire d’un expert-comptable qui avait, en connaissance de cause, établi et révisé des bilans portant sur des dossiers préparés par des prestataires qui n’étaient pas professionnels de l’expertise comptable.

Les ressources apportées par les exposants

Il se pose aussi la question des ressources qu’apportent à l’Ordre des experts-comptables des éditeurs de logiciels par exemple en exposant au congrès annuel ou en insérant des pages de publicité dans des revues éditées par l’Ordre des experts-comptables. Des revenus qui risqueraient de disparaître si ces mêmes éditeurs étaient traînés en justice. Bref, il ne semble guère possible de mettre en cause ces acteurs du numérique pour exercice illégal de la profession d’expert-comptable au motif qu'ils participent à la tenue comptable. Et le progrès technologique ébranlera probablement à terme d'autres activités comptables réservées. C'est pourquoi cette analyse soulève des questions plus générales. Premièrement, la France doit-elle maintenir un accès réservé au secteur comptable ? Dans l’affirmative, comment faire ? Deuxièmement, on sait que cette poussée du numérique se manifeste dans d’autres domaines dont l’accès est — théoriquement — réservé comme par exemple les secteurs juridiques ou de la santé. Dans ces conditions, le droit national et/ou de l’Union européenne restent-ils adaptés à l’ère du numérique ? Autant de sujets sur lesquels les candidats à la présidentielle seraient bien inspirés de se pencher.

Ludovic Arbelet
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